Citations de Yves Bonnefoy (458)
Le bonheur ne m’a guère souri sur cette terre.
Où vais-je ? Je cherche dans ces montagnes
Le silence, la paix du cœur. C’est ma patrie,
Je n’errerai plus jamais loin d’elle.
Les cimes de partout redeviennent bleues,
Vais-je te dire adieu ? Non, qu’à jamais,
A jamais bruisse l’eau, refleurisse l’herbe !
Et si demeure
Autre chose qu'un vent, un récif, une mer,
Je sais que tu seras, même de nuit,
L'ancre jetée, les pas titubant sur le sable,
Et le bois qu'on rassemble, et l'étincelle
Sous les branches mouillées, et, dans l'inquiète
Attente de la flamme qui hésite,
La première parole après le long silence,
Le premier feu à prendre au bas du monde mort.
Je me souviens, c'était un matin, l'été,
La fenêtre était entrouverte, je m'approchais,
J'apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l'inaccompli ou l'impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L'air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l'enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas,je ne sais encore.
Leurs doigts se touchent
Presque, mais dans le rien de cet écart
S’ouvre l’abîme entre être et apparence.
A quoi bon tant désirer
Mais sans pouvoir ? Avoir voulu parler
Mais sans phrases pour dire ? Avoir regret
Mais seul, et sans qu’un autre ait pu comprendre ?
Le lecteur de la poésie n'analyse pas, il fait le serment de l'auteur, son proche, de demeurer dans l'intense.
Le souvenir est une voix brisée,
On l’entend mal, même si on se penche.
Et pourtant on écoute, et si longtemps
Que parfois la vie passe. Et que la mort
Déjà dit non à toute métaphore.
Nous nous étions fait don de l'innocence,
Elle a brûlé longtemps de rien que nos deux corps,
Et nos pas allaient nus dans l'herbe sans mémoire,
Nous étions l'illusion qu'on nomme souvenir.
Le silence est la ressource de ceux qui reconnaissent de la noblesse au langage.
Ne suis-je la beauté
Que parce que je flatte votre rêve ?
Je suis tapie, effrayée, je suis prête
A me jeter en avant, à griffer,
Ou à faire la morte si je sens
Que ma cause est perdue dans vos regards.
Demandez-moi d’être plus que le monde.
Pansez-moi de vos vœux, de vos souvenirs.
Elle va, et un soir c’est à nouveau
Le grand château étagé sur la mer,
Deux tours, leurs yeux fermés, le ciel, la terre
A dormir nus dans les bras l’un de l’autre.
Tu te penches sur lui. Tes doigts se posent
Sur ses paupières closes. Tu comprends
Que nuit et mort ne furent que ton rêve.
Et ta vie enfouit son front sur cette épaule,
Et qu’importe s’il est trop tard et si tu meurs.
Le mot ronce, dis-tu ? Je me souviens
De ces barques échouées dans le varech
Que traînent les enfants les matins d’été
Avec des cris de joie dans les flaques noires
Car il en est, vois-tu, où demeure la trace
D’un feu qui y brûla à l’avant du monde
– Et sur le bois noirci, où le temps dépose
Le sel qui semble un signe mais s’efface,
Tu aimeras toi aussi l’eau qui brille.
Du feu qui va en mer la flamme est brève,
Mais quand elle s’éteint contre la vague,
Il y a des irisations dans la fumée.
Le mot ronce est semblable à ce bois qui sombre.
Et poésie, si ce mot est dicible,
N’est-ce pas de savoir, là où l’étoile
Parut conduire mais pour rien sinon la mort,
Aimer cette lumière encore ? Aimer ouvrir
L’amande de l’absence dans la parole ?
Le souvenir est une voix brisée, On l’entend mal, même si on se penche. Et pourtant on écoute, et si longtemps Que parfois la vie passe. Et que la mort Déjà dit non à toute métaphore.
Mais c’est la nuit maintenant, je suis seul,
Les êtres que j’ai connus dans ces années
Parlent là-haut et rient, dans une salle
Dont tombe la lueur sur l’allée ; et je sais
Que les mots que j’ai dits, décidant parfois
De ma vie, sont ce sol, cette terre noire
Autour de moi, le dédale infini
D’autres menus jardins avec leurs serres
Défaites, leurs tuyaux sur des plates bandes
Derrière des barrières, leurs appentis
Où des meubles cassés, des portraits sans cadre,
Des brocs, et parfois des miroirs comme à l’aguets
Sous des bâches, prêts à s’ouvrir aux feux qui passent,
Furent aussi, hors du temps, ma première
Conscience de ce monde où l’on va seul.
Nous plongions nos mains dans le langage,
Elles y prirent des mots dont nous ne sûmes
Que faire, n’étant rien que nos désirs.
Cette eau, notre espérance.
D’autres sauront chercher à plus profond
Un nouveau ciel, une nouvelle terre.
À MÊME RIVE
II
Rêver : que la beauté
Soit vérité, la même
Évidence, un enfant
Qui avance, étonné, sous une treille.
Il se dresse et, heureux
De tant de lumière,
Tend sa main pour saisir
La grappe rouge.
QUE CE MONDE DEMEURE
VI
Bois, disait celle qui
S'était penchée,
Quand il pleurait, confiant,
Après sa chute.
Bois, et qu'ouvre ta main
Ma robe rouge,
Que consente ta bouche
À sa bonne fièvre.
De ton mal presque plus
Rien ne te brûle,
Bois de cette eau, qui est
L'esprit qui rêve.
L'ARBRE DE LA RUE DESCARTES
Passant,
Regarde ce grand arbre et à travers lui,
Il peut suffire.
Car même déchiré, souillé, l'arbre des rues,
C'est toute la nature, tout le ciel,
L'oiseau s'y pose, le vent y bouge, le soleil
Y dit le même espoir, malgré la mort.
Philosophe,
As-tu chance d'avoir l'arbre dans ta rue,
Tes pensées seront moins ardues, tes yeux plus libres,
Tes mains plus désireuses de moins de nuit.
La poésie est active dans toutes les formes de création. C'est elle qui en fait la beauté, laquelle est un éveil, un cri d'alarme.
Lire, 2010
Tu cesses de venir dans ce jardin,
Les chemins de souffrir et d'être seuls s'effacent,
Les herbes signifient ton visage mort.
Il ne t'importe plus que soient cachés
Dans la pierre l'église obscure, dans les arbres
Le visage aveuglé d'un plus rouge soleil.
Il te suffit
De mourir longuement comme en sommeil
Tu n'aimes même plus l'ombre que tu épouses.