Hotel Éternité (suite poétique),
dit par Élise Turcotte
Boucle d’oreille
Mon cœur a vieilli dans son
enveloppe nacrée.
Ce vent de février nous blesse,
nous, les affamées,
les vieillards,
les louves.
Je cogne à la porte
de ma propre maison.
L’heure de rien m’accueille,
étrange poupée debout,
chanson tordue :
ma doublure embusquée.
« Haute tension / Poésies françaises d’aujourd’hui », extrait (Le Castor Astral)
Si je regarde les choses différemment, elles seront différentes.
- J'aime le mot joli, a-t-elle répondu en souriant à Philippe.
- Le mot joli est joli, oui, a-t-il dit.
- La force des mots, dit-il, c'est la force des rêves.
C'était une maison assez cossue qui tranchait sur les autres maisons du quartier. Elle avait de toute évidence été agrandie et rénovée avec goût. A l'intérieur, la décoration était impeccable, presque trop, rappelant la mode des intérieurs entièrement meublés par des décorateurs dans les années soixante. Tout était parfait, douillet, et très légèrement démodé. Démodé dans des détails qu'on ne voyait pas tout de suite. Des rideaux un peu lourds dans le salon. Des motifs repris de pièce en pièce. Des cendriers énormes en verre dépoli. On aurait juré que ceux qui habitaient ici étaient des gens plutôt âgés. Mais Lorraine avait à peine trente-cinq ans. Sa maison était un miroir de ce à quoi ressemblerait sa vie plus tard.
Un fil si ténu et désincarné m'attachait au passé tandis que le présent n'était jamais assez présent. Je pensais aux serpents qui quittent leur peau et la laissent sécher au soleil derrière eux. Le présent se tenait peut-être là, dans l'instant précis où l'ancienne peau se recroqueville alors que le serpent commence à s'éloigner.
- Qu'y a-t-il à l'intérieur de l'amour?
- Hier, j'ai dit que je t'aimais.
- Oui, tu l'as dit.
C'était comme nous embrasser. Une phrase décalée, en avance sur moi. J'avais dit «je t'aime», ce qui voulait dire «je veux t'aimer». Quelques semaines plus tard, cela voudrait dire «je vais t'aimer.» Donc, je l'aimais.
Elle s'appelle Hélène, ma voisine. Elle a de grands cheveux roux qu'elle brosse tous les matins la tête en bas. Quand elle se relève, ses cheveux ressemblent à un groupe d'oiseaux qui s'envolent. C'est un mouvement de danse. Je vois son mouvement de danse par ma fenêtre, et parce que cela existe tous les matins depuis bientôt trois ans, on peut bien dire qu'il se passe quelque chose. Ses cheveux s'envolent. Les petites gouttes de pluie sont en train de geler sur les branches de l'arbre. Tous ces mouvements sont de même nature.
Je n'ai pas peur de l'amour, ni d'être abandonnée. J'ai peur d'aimer trop et de revenir à pied le soir avec mes phrases tombées puis ramassées dans un précipice.