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Citations de Éric Vuillard (999)


Un livre étonnant sur la société du spectacle mis en scène ici par Buffalo Bill bien avant les théories de Guy Debord.Magistralement bien écrit.Eric Furter
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Que le bonhomme du Dakota nous pardonne. Qu'il nous ramène de son prétérit, s'il le peut, sa besace de soucis, là où les fragments d'Histoire s'emboîtent comme des mâchoires. Regardons-le une dernière fois.

Aimons sa tristesse, son incompréhension, nous la partageons, ses enfants sont les nôtres, son petit chapeau nous irait peut-être ! Regardons-le. La nuit est blanche. Souffle-moi ce qu'il faut écrire. S'il te plaît, ne me montre plus ton visage, ne me regarde pas. La terre est triste, le corps est seul. Je ne vois plus rien. Et toi, tu es là, roi pauvre, ayant pioché la mauvaise carte.
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Une fois que le Wild West Show eut rempli sa mission civilisatrice et qu’il eut avantageusement remplacé dans la conscience des hommes les Indiens de Chateaubriand, puisqu’on voulait en même temps les privilèges de l’élection et la cohue grisante, ce mélange d’ancien et de nouveau que Buffalo Bill avait incarné, que ce mélange était devenu à la fois odieux et indispensable, chaque nouvelle génération crut soudain lire, dans sa propre nostalgie, le signe d’une irréparable perte. Et Buffalo Bill lui-même avait senti derrière les murs de sa petite maison de brique, entre les vieux meubles en acajou et une estampe de Naples, je ne sais quel avilissement de la réalité. Alors qu’il trottinait vers Madison Square, lors d’un de ses séjours à New York, parcourant les fondations sublimes de la Ve Avenue, s’égayant ou se renfrognant en jetant un oeil aux vitrines des boutiques, se délectant parmi les premiers abonnés du shopping et dégoûté dans le même temps par leur invincible appétit, il devint brutalement évident à Buffalo Bill que la nostalgie n’était pas seulement une résistance vaine contre la nouveauté déchaînée, mais qu’elle était elle-même devenue à présent une forme de notre savoir. La civilisation était devenue cela : un alliage impossible de nouveautés et de regrets. Et pour cette raison sans doute, et pas une autre, Buffalo Bill Cody – lui qui avait inauguré une forme nouvelle, le divertissement de masse – tomba à son tour dans le grand langage oublié.
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C’est alors que fusent les sifflets, les huées. Sitting Bull reste impassible, il effectue son tour de piste. Pas un instant on n’a songé lui faire jouer un épisode des guerres indiennes, un quelconque moment de sa vie : une simple parade devait suffire. Il n’y a pas d’Histoire possible. Le passé est entouré de gradins, et les spectateurs veulent voir ses fantômes. C’est tout. Ils ne veulent pas les entendre. Ils ne veulent pas leur parler. Ils veulent les voir. Ils veulent écarter un instant le rideau et voir l’Indien. Que voyons-nous ? Qu’entendons-nous ? Quel mensonge épelle la bouche de mort ? Quelle est cette voix qui parle ? Quelle est cette fausse parole qui nous dicte nos sentiments ? On dirait qu’elle vient de très profond, du fin fond de nos entrailles de larves, on l’écoute d’une oreille distraite, et on se laisse entraîner impuissants vers les précipices. La foule hurle, l’insulte. On crache. La voilà, la chose inouïe, le Peau-Rouge, celui qu’on est venu voir, la bête curieuse qui a rôdé autour de nos fermes, à ce qu’on raconte ; c’est lui ! Depuis les coulisses, Buffalo Bill fait signe à Frank Richmond, qui tente de calmer les spectateurs. Mais rien à faire, le chef indien doit accomplir son tour de piste sous les injures, jusqu’au bout. Le vacarme est extraordinaire. Les journalistes photographient. Les enfants regardent éberlués. Et Sitting Bull sort lentement de l’arène.
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Mais la petite étincelle était encore ailleurs. L’idée centrale du Wild West Show était ailleurs. Il fallait stupéfier le public par une intuition de la souffrance et de la mort qui ne le quitterait plus. Il fallait le tirer hors de lui-même, comme ces petits poissons argentés dans les épuisettes. Il fallait que devant lui des silhouettes humaines poussent un cri et s’écroulent dans une mare de sang. Il fallait de la consternation et de la terreur, de l’espoir, et une sorte de clarté, de vérité extrême jetées sur toute la vie. Oui, il fallait que les gens frémissent – le spectacle doit faire frissonner tout ce que nous savons, il nous propulse devant nous-mêmes, il nous dépouille de nos certitudes et nous brûle. Oui, le spectacle brûle, n’en déplaise à ses détracteurs. Le spectacle nous dérobe et nous ment et nous grise et nous offre le monde sous toutes ses formes. Et, parfois, la scène semble exister davantage que le monde, elle est plus présente que nos vies, plus émouvante et vraisemblable que la réalité, plus effrayante que nos cauchemars.
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Dans chaque cimetière, il y a une division pour les pauvres, un petit carré mal entretenu, recouvert d’une lourde trappe, sans croix, sans nom, sans rien. Quelquefois un galet est posé par terre, un bouquet sec, un prénom est tracé à la craie sur le sol, une date. C’est tout. Il n’y a rien de plus émouvant que ces tombes. Ce sont peut-être les tombes de l’humanité. Il faut les aimer beaucoup.
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Et pour attirer le public, pour provoquer chez lui ce désir de venir voir toujours plus nombreux le Wild West Show, il fallait qu’on lui raconte une histoire, celle que des millions d’Américains d’abord, puis d’Européens avaient envie d’entendre et qu’ils entendaient déjà dans le crépitement des ampoules électriques, sans peut-être le savoir.
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Soudain, Buffalo Bill entre dans l'arène. Il fait un tour de piste à cheval et vient saluer. Les applaudissements retentissent. Des femmes se tiennent debout sur les chaises, dans une odeur de créosote et de crottin. Le présentateur annonce alors un épisode extraordianire : "La mort de Sitting Bull, avec son véritable cheval et sa vraie cabane, recueillis par les soins de Buffalo Bill lui-même." C'était donc çà ! Rien n'arrête le démon de la mise en scène. Rien ne remplit assez le tiroir-caisse. Et aussitôt les curieux se pressent, la foule veut mieux voir. On ne voit jamais assez. il ya quelque chose de grand et de beau, ou peut-être de très affreux et de très vulgaire, qui nous échappe toujours... (p. 80)
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Nous sommes le public. C’est nous qui regardons le Wild West Show. Nous le regardons même depuis toujours. Méfions-nous de notre intelligence, méfions-nous de notre raffinement, méfions-nous de toute notre vie sauve et du grand spectacle de nos émois. Le maître est là. En nous. Près de nous. Invisible et visible. Avec ses vraies-fausses idées, ses rhétoriques accommodantes. (p. 89)
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LE SPECTACLE est l’origine du monde. (p. 11)
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Lui, l’ancien ranger monté sur scène, il allait révolutionner l’art du divertissement, il allait en faire quelque chose d’autre.
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Tous les regards sont tournés vers lui, Buffalo Bill. Mais il n'incarne pas seulement son personnage, l'ombre estime de son âme. Non. Il a fait sortir la flamme de terre, aspergeant le monde d'une pluie de tracts, prospectus, magazines où sa légende a été, ligne à ligne, fabriquée, peaufinée, et où l'apologie est devenue sans cesse plus habile. Et tout cela pour une oeuvre exemplaire, exemplairement américaine, une formidable contribution à l'histoire de la Civilisation.
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Buffalo Bill, c'est le squelette Gambille, un chevalier du chloroforme! Mais ici, peu importe, l'art est du commerce. Ce qui est naïf est terrible et ce qui ne compte pas est le plus important.
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À l'époque, les régiments de dragons forment le gros de la cavalerie française. On y voit tout un attirail de péplum : crinière, pantalons garance, grand équipement de ceinturon. Mais les Autrichiens ont poussé l'art de la guerre et du plumage encore plus loin que les Français ; leurs régiments se reconnaissent à de subtiles nuances de couleur : le cerise, le rose, l'amarante, le carmin, l'écarlate ou le homard. Les Anglais et les Allemands, eux, sont vêtus de kaki ou de vert-de-gris, c'est plus moderne, mais plus triste. Qu'on imagine à présent toutes ces armées couvertes de galons, de panaches, ces tenues de golf mélangées avec le tartan, le kilt, le pompon, ces képis colorés et ces casques à pointe, toutes sortes de hures picardes ou bataves, sifflant, marchant au pas, dans une grande flaque de soleil ! Voilà une guerre qui se prépare, tout un attirail de sottises, un retard inouï, des progrès bien vilains, un héroïsme qui va être broyé par le fer. Car c'est un monde étrange, double : à la fois très ancien, monde de salpêtre et de roses trémières, monde d'éventails et de mauvaises valses, mais aussi le monde des premiers tanks, des obusiers, des premières grandes machines à faire mourir. Les saint-cyriens iront au feu en belle tenue, on verra de jeunes puceaux, casoars et gants blancs, parader quelques jours, avant que les premières rafales de mitrailleuses ne fauchent leurs plumes.
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