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Citations de Éric Vuillard (994)


Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas.
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Depuis longtemps, on éprouvait une impression troublante, pénible, il y avait tout un tas de choses qu'on ne comprenait pas. On avait du mal à comprendre pourquoi Dieu, le dieu des mendiants, crucifié entre deux voleurs, avait besoin de tant d'éclat, pourquoi ses ministres avaient besoin de tellement de luxe, on éprouvait parfois une gêne. Pourquoi le dieu des pauvres était-il si bizarrement du côté des riches, avec les riches, sans cesse ? Pourquoi parlait-il de tout laisser depuis la bouche de ceux qui avaient tout pris ?

Pages 13-14, Actes Sud, 2019.
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Une entreprise est une personne dont le sang monte à la tête. On appelle cela une personne morale. Leur vie dure bien au-delà des nôtres.
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Ainsi, des quatre coins de l'Empire surgirent des hordes de misérables. Müntzer chantait, la foule venait. Le landgrave de Hesse n'en croyait pas ses yeux. Puis ce furent les ouvriers des villes, les fous, toute la paysannerie se souleva brusquement. Il y eut un grand effroi chez les nobles et les bourgeois. Les femmes quittaient le foyer, les enfants marchaient à travers champs la suite du Saint-Esprit. Les jeunes filles, les vagabonds, la populace atroce, les bêtes même ! On vit ainsi toutes sortes de gens, allant par deux ou trois, tout seuls aussi, partis sans bagage, sans rien. On ne savait pas ce qu'ils voulaient. Les seigneurs et leurs bandes armées n'osaient plus rien faire ; ils les regardaient passer, effarés. Une vague crainte commençait de naître. Que fallait-il décider ? On n'avait jamais vu ça. Tout le monde laissait derrière lui sa maison, sa cahute, et rejoignait la foule errante. Et où allaient-ils tous ces gens ? On l'ignorait. On craignait même de les disperser. Ils dormaient dans les bois, dans la paille, rêvant.

Pages 60-61, Actes Sud, 2019.
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Et maintenant, voici que le pape appelle à la croisade contre le roi de Naples, et voici que Jan Hus monte en chaire, dans la petite chapelle de Bethléem, et prêche la désobéissance ; il prêche l'amour, la prière, même pour les ennemis du Christ, et tonne que le repentir ne passe ni par l'argent des indulgences, ni par la violence des croisades, ni par le pouvoir des princes. C'est fait. Les mots sont dits de nouveau : "ni par l'argent ni par le pouvoir ni par les princes", ces mêmes petits mots qui changent de forme, de ton mais pas de cible, et qui, lorsqu'ils reviennent au monde, toujours s'acharnent contre l'argent, la force et le pouvoir. Ces mots vont petit à petit devenir les nôtres. Ils vont mettre longtemps, très longtemps à faire leur chemin jusqu'à nous. On les entend mal encore dans les prêches de Jan Hus, mais peut-être ne les avait-on jamais si bien entendus.

Pages 29-30, Actes Sud, 2019.
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Le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice, s'il ne plie jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff.
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On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi. Et on voudrait tant ne plus tomber qu'on s'arc-boute, on hurle. A coups de talon, on nous brise les doigts, à coups de bec on nous casse les dents, on nous ronge les yeux. L’abîme est bordé de hautes demeures. Et l’Histoire est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l’an, des gerbes séchées de pivoines, et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux.
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Quand tu discutes avec un adversaire, essaie de te glisser dans sa peau.

Gramsci
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Cinquante ans plus tôt, une pâte brûlante avait coulé, elle avait coulé depuis Mayence sur tout le reste de l' Europe, elle avait coulé entre les collines de chaque ville, entre les lettres de chaque nom, dans les gouttières, par les méandres de chaque pensée ; et chaque lettre, chaque morceau d'idée, chaque signe de ponctuation s'était retrouvé pris dans un bout de métal. On les avait répartis dans un tiroir de bois. Les mains en avaient choisi un et encore un et on avait composé des mots, des lignes, des pages. On les avait mouillées d'encre et une force prodigieuse avait appuyé lentement les lettres sur le papier. On avait refait ça des dizaines et des dizaines de fois, avant de plier les feuilles en quatre, en huit, en seize. Elles avaient été mises les unes à la suite des autres, collées ensemble, cousues, enveloppées dans du cuir. Ça avait fait un livre. La Bible.

Pages 8-9, Actes Sud, 2019.
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[...] Sûr qu'il en connaissait un bout en sciences politiques, lui qui avait su dire non à toutes les libertés publiques. Aussi, une fois passée la petite minute d'hésitation - tandis qu'une meute de nazis pénètre dans la chancellerie-, Schuschnigg l'intransigeant, l'homme du non, la négation faite dictateur, se tourne vers l'Allemagne, la voix étranglée, le museau rouge, l'oeil humide, et prononce un faible "oui".
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Il faut écrire ce qu'on ignore. Au fond, le 14 juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés ou lacunaires. C'est depuis la foule sans nom qu'il faut envisager les choses. Et l'on doit raconter ce qui n'est pas écrit.
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Mais peut-il y avoir trop d’or ? [...]
Il se passa alors quelque chose de formidable et qui est sans exemple dans le passé. Tant il y avait d’or autour d’eux, sur la table que fouettaient les cartes, sur le sol, derrière eux, entassé, ou encore dans leur poche, à leur chemise, partout, qu’ils éprouvèrent une sorte d’écoeurement. Il y eut une épidémie de dégoût. Un soldat misa un soleil d’or arraché au temple, pièce unique, d’une valeur inestimable, contre deux bouteilles de vin. Il perdit. Le soleil échut à quelqu’un d’autre et le soldat n’en montra nul dépit. L’or s’avilissait.

pp. 246-47
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Et peu importe que ce matin-là Helene ait vu ou non, parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. Peu importe qu'elle ait ou non assisté à ces scènes ignobles où on leur fit brouter de l’herbe. Sa mort traduit seulement ce qu'elle ressentit, le grand malheur, la réalité hideuse, son dégoût pour un monde qu'elle vit se déployer dans sa nudité meurtrière. Car au fond, le crime était déjà là, dans les petits drapeaux, dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti. Et jusque dans les rires, dans cette ferveur déchaînée, Helene Kuhner dut sentir la haine et la jouissance. Elle a dû entrevoir - en un raptus terrifiant -, derrière ces milliers de silhouettes, de visages, des millions de forçats. Et elle a deviné, derrière la liesse effrayante, la carrière de granit de Mauthausen. Alors, elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l’odeur fraiche des myosotis, au cœur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.
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Éric Vuillard
Au fond on a besoin que la littérature soit tournée vers le réel et en dise quelque chose.

(Eric Vuillard à son arrivée dans les salons du Drouant)
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"Mais les entreprises ne meurent pas comme les hommes. Ce sont des corps mystiques qui ne périssent jamais."
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Le 29 avril 1975, les Américains se tirent, ils déménagent. (…)
Tout est mort. Alors, on se rue vers les derniers bateaux, les derniers hélicoptères, les derniers avions américains. Les pilotes trient les passagers, pistolet au poing. C’est la cohue. (…) Des milliers de gens partis sur des embarcations de fortune périront noyés. (…) Mais ne vous inquiétez pas, on a évacué la colonie américaine et les derniers Français. (…) Mais, vers la fin, le retrait fut piteux. Pour les retardataires, ce fut plus chaotique. Il y eut des foules pendues par grappes aux trains d’atterrissage ; et l’on vit l’ambassadeur d’Italie lui-même s’accrocher au grillage comme un vulgaire voleur. (…) Quelle atmosphère de fin du monde, quelle débâcle ! Dans l’espérance dérisoire d’une sortie honorable, il aura fallu trente ans, et des millions de morts, et voici comment tout cela se termine ! Trente ans pour une telle sortie de scène. Le déshonneur eut peut-être mieux valu.
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Dans la baraque où les potences sont dressées, ce qui ressemble à un mauvais hangar, Ribbentrop est passé le premier. Non plus altier, comme il fut souvent, non plus inflexible comme durant les négociations du Berghof, mais accablé à l’approche de la mort. Un vieillard claudicant.

pp. 65-66
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Les grands événements se passent souvent de cette manière, le pouvoir est vacant, silencieux, prudent peut-être, et les grands commis hésitent tandis que les dés roulent sur la table.
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Le monde était un être ténébreux derrière un masque de lumière. Le mal apparaissait sous la forme des divinités sanguinaires, des morts voraces, des bêtes, mais il n’allait jamais seul, il était toujours accompagné d’autre chose dans sa courbe déclive et fuyante.
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Le 23 avril 1789, Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire de la manufacture royale de papiers peints, s'adresse à l'assemblée électorale de son district, et réclame une baisse des salaires. Il emploie plus de trois cents personnes dans sa fabrique, rue de Montreuil. Dans un moment de décontraction et de franc-parler stupéfiant, il affirme que les ouvriers peuvent bien vivre avec quinze sols par jour au lieu de vingt, que certains ont déjà "la montre dans le gousset" et seront bientôt plus riches que lui. Réveillon est le roi du papier peint, il en exporte dans le monde entier, mais la concurrence est vive; il voudrait que sa main-d'œuvre lui coûte moins cher. (...)
La nuit du 23 avril 1789 fut une longue nuit de palabres, de plaintes et de colère.
C'était peu de temps avant l'ouverture des états généraux, plusieurs fois différés. On manifesta. Un jour, deux jours, en vain. Réveillon et Henriot devaient penser que ça leur passerait, qu'entre deux lampées de pinard, entre deux quignons de pain, ils l'avaleraient, la pilule, il le fallait bien! et qu'ils retourneraient tous bientôt dans le matin s'agenouiller devant leurs machines et turbiner pour vivre; car il faut bien vivre! on ne peut passer sa vie place de Grève à gueuler. Mais la protestation ne cessa point.
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