Eh bien ce bouquin peut se vanter de m'avoir fait passer par une belle gamme d'émotions.
Émotions plutôt douces et calmes d'ailleurs, pas violentes du tout.
Préprogrammé par mes amis babéliotes pour lire un chef-d'oeuvre (ça vaut mieux éviter), j'ai immédiatement été déçu. Comment, comment ? On a juste une gamine qui écrit un journal et raconte les affres de sa vie dans une nouvelle école. Ok ses malheurs récents la rendent sympathique, surtout qu'elle ne joue pas de la corde pathétique. Ok elle croit voir des fées, et alors ? Ok elle lit beaucoup, et surtout de la SF… bon ça c'est bien.
Mais il ne se passe pas grand-chose.
Morwenna détaille ad nauseam les tenues des écolières ou nous vend sa généalogie complète sur quatre générations. Cela colle avec ce que l'on attend du journal d'une jeune fille, mais trop c'est trop.
Et puis un événement est décrit (je n'en parlerai pas), et ça a fait tilt.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais auparavant pris le parti de penser que
Morwenna était avant tout une gamine trop rêveuse qui s'inventait des aventures avec des fées. Et là, je me suis « mais en fait non, on est vraiment dans un livre de fantasy », de réalisme magique en fait, dans lequel, pour paraphraser, la magie est réelle, mais pas envahissante pour le profane.
Ça a changé ma façon de considérer
Morwenna qui s'avérait plus âgée que ce que j'avais estimé au départ. Oh elle n'a pas changé sa façon d'écrire, mais j'ai changé ma façon de lire. J'ai fait défiler les passages « morne plaine » et la moindre petite bosse s'est transformée en événement palpitant. La magie légère s'est trouvée par contraste très colorée, au point que la bombance magique de la fin écoeure presque. J'ai beaucoup aimé l'idée de la constitution magique du karass autour de
Morwenna, et des problèmes de conscience que cela lui donne.
Je pense que j'ai vraiment commencé à apprécier ce roman lorsqu'est apparu le club de lecture de SF (j'emploie le mot « apparaître » volontairement, lié au karass). Même si ce club a une tendance à la catégorisation un peu trop poussée pour moi, j'aurais adoré participer à un truc de ce genre quand j'étais jeune, pouvoir communiquer autour de ce thème au lieu de garder ça pour moi.
Morwenna a des réflexions critiques très affutées alimentées par une grande connaissance du genre (je ne peux que rêver d'une telle vitesse de lecture). Cela ne l'empêche pas de réagir parfois sur le vif et c'est souvent drôle (exemple : ses insultes contre Stephen Donaldson qui ose se comparer à
Tolkien à son meilleur niveau). La question qui doit venir à tout lecteur est : est-ce que, sur le plan des critiques littéraires,
Morwenna n'est qu'un double de
Jo Walton ? Ou est-ce que l'auteur a extrapolé, à partir de la personnalité de la jeune fille, qu'elle ne pouvait qu'aimer
Heinlein et ne pas aimer Priest ? Peut-être une interview quelque part répond-elle à cette question…
Autre aspect de
Morwenna qui m'a déconcerté : le fait qu'elle aime la physique et la chimie mais ne comprend rien aux maths. C'est très difficile à concevoir vu de ma fenêtre. Une explication vraisemblable pourrait venir de ses « facilités » magiques. Elles impliquent une certaine capacité à transformer son environnement, mais une capacité sensible, qui n'a pas besoin d'être écrite ou formalisée. Comprendre et transformer son environnement sont aussi des sujets de physique et chimie. Il y a communauté d'objectif sinon de protocole avec la magie. Cependant je me dis que la chimie qu'elle aime est basée sur des expériences. Elle rejetterait les formules chimiques et équations physiques avec autant de force que les maths pures à mon avis.
Donc le bilan final est très positif. J'ai avalé la deuxième partie du bouquin deux fois plus vite que la première. Roman d'apprentissage, ce livre est avant tout une ode à la lecture. Mais sur Babelio il prêche des convaincus.