Grosse sortie de route du cours de l'Histoire, les Britanniques ont signé un traité de "paix dans l'honneur" avec Hitler fin 1941, lui laissant l'Europe en pâture et Staline à gérer.
Exit
Churchill, évincé du pouvoir par le Cercle de Farthing, une poignée d'hommes politiques très conservateurs à l'origine du traité en question.
Repliée sur ses îles, plutôt soulagée d'en avoir fini avec une guerre imbécile et peu concernée par ce qui se passe sur le continent, l'Angleterre ne s'attend certes pas à ce que la tête de file de ces artisans de la paix, Sir James Thirkie, soit retrouvé assassiné quelques années plus tard au lendemain d'une réception à Castle Farthing, propriété de ses amis les Eversley.
On suit alternativement le récit à la première personne de Lucy Eversley, qui a eu le mauvais goût d'épouser un Juif et s'appelle désormais Mrs Kahn dans une société pétrie d'un antisémitisme sans complexe, et celui d'un narrateur omniscient suivant les pas de l'inspecteur Peter Carmichael envoyé sur les lieux par Scotland Yard.
L'atmosphère est saisissante de crédibilité, entre les "bonnes moeurs " et la "bonne éducation" que partage ce très petit monde d'aristocrates et de politiques arrogants, convaincus de leur supériorité et décidant à quelques-uns du sort de leur pays, et par ailleurs ce qui ressort d'une société anglaise post-Seconde-guerre-sans-
Churchill-mais-avec-Hitler-dans-les-pays-voisins.
Lucy, en tant que fille de lord Eversley et en tant qu'épouse de
David Kahn, rapporte dans son récit les deux faces de ce farthing (petite pièce d'un quart de penny), précisant davantage au fil des pages en quoi la Grande Bretagne est impactée et influencée par la politique nazie sur le continent.
Elle et son époux sont en butte à un rejet massif de la part des proches et membres du Cercle de Farthing, et de nombre d'autres.
Pourtant, tous deux ont été invités pour ce week-end de réception.
Ils pourront s'en mordre les doigts à loisir :
David Kahn est rapidement soupçonné du meurtre de Lord Thirkie, uniquement parce qu'il est juif.
L'inspecteur Carmichael est extérieur à ces considérations familiales, mais il subit de fortes pressions pour faire pencher l'enquête vers la culpabilité de
David Kahn. Il a également à faire face aux préjugés des uns et des autres, et doit lui aussi dissimuler pour ne pas être cloué au pilori.
L'intrigue policière peut sembler élémentaire, elle est surtout classique. J'ai eu beaucoup d'intérêt à en suivre les rebondissements jusqu'à sa conclusion, prévisible peut-être mais glaçante.
Quant à l'ébauche de cette Angleterre uchronique,
Jo Walton y a mis un soin tel qu'on y croit sans réserve… La façon dont l'antisémitisme et l'homophobie s'expriment sans retenue jusque dans les moindres échanges, montre un fonctionnement social volontairement aveugle aux persécutions subies sur le continent par ces deux communautés.
Ce n'est pas agréable à lire, mais ça pose un cadre crédible.
D'ailleurs, tout est plausible, tout se tient. Les personnages sont finement montrés, leurs sentiments affleurent sous des apparences bien policées ou bien au détour d'une réflexion dont on ne se demande pas toujours si elle est le fruit d'une maladresse ou le signe d'une grande malveillance.
L'aspect politique prend de l'ampleur au fil de la narration, s'appuyant sur quelques personnages et évènements historiques qui l'ancre dans un "réel alternatif" très intéressant.
J'ai vraiment apprécié ce premier tome de la Trilogie du Subtil Changement, la bien nommée.
J'espère que les deux suivants confirmeront cette très bonne impression.