Une culture de la satiété: Enquête sociologique sur le jeûne comme expérience spirituelle

« Il y a maintenant plus d’ascèse dans le monde que dans l’Église », se désolait un moine autrichien dans un entretien. En contexte chrétien, les monastères constituent depuis environ 1 500 ans les lieux typiques de l’ascétisme. Mais ceux que Max Weber qualifie de virtuoses de l’ascèse semblent avoir peu à peu relégué cette catégorie à une place marginale de leur forme de vie. Pourtant à y regarder de plus près, plus que la pratique, c’est le concept même d’ascèse et la conscience de la vivre qui se sont effacés de la vie monastique (Jonveaux, 2018). Si les monastères ne sont plus des hauts lieux de l’ascétisme, faut-il alors le chercher dans la société? L’Église catholique du début du xxie siècle peine de plus en plus à faire entendre sa voix concernant les prescriptions et enseignements qui touchent au plus près du corps des fidèles. Tout ce qui se rapporte à des restrictions que l’autorité ecclésiale imposerait aux croyants a particulièrement mauvaise presse. Il serait interdit à l’Église d’interdire. Concernant la sexualité, Franco Garelli note pour l’Italie : « 75,2 % des Italiens ne partagent pas l’interdit aux jeunes d’avoir des rapports sexuels avant le mariage, et plus de 80 % désapprouvent l’interdiction aux personnes divorcées et remariées civilement de s’approcher des sacrements » (Garelli, 2011, p. 184). Choisir de renoncer aux plaisirs de la vie et ce, encore plus parce qu’une institution religieuse le pose comme prescription, n’apparaît pas dans la société contemporaine d’Europe occidentale comme un comportement plausible. « Qui renonce en rejetant le monde est considéré comme un original coincé qui a un rapport dérangé à l’envie et à la vie des sens. Le renoncement à la sexualité est particulièrement suspect. […] Malgré tout (ou justement pour cette raison), l’ascèse est aujourd’hui perçue presque uniquement de manière négative » (Michaels, 2004, p. 7-8). Mais parallèlement à cette apparente désaffection pour l’ascèse religieuse, la société séculière voit émerger une attraction toujours plus grande pour les régimes de toutes sortes ainsi que des disciplines corporelles destinées à améliorer le bien-être spirituel.