Un philosophe a dit que les plus belles aventures arrivent à ceux qui savent d'abord se les raconter.
On pourrait faire les pires choses à Madame qu'elle répondrait par un sourire.
L'enthousiasme de grand-père a dopé Madame qui lui a cousu des mules dans des chutes de robes, ainsi qu'un beau pyjama rayé dans un vieux tissu à pain.
Grand-père a beaucoup apprécié et maintenant, quand il rentre à la maison, il annonce : " je vais retrouver le confort de mes pantoufles de clown et de mon pyjama rayé de déporté".
J'ai l'imagination fertile, maman ne supporte pas. Elle dit que je mens…. Elle ne supporte pas non plus quand on m'appelle et que je ne réponds pas, et si je réponds, mon corps est là, mais on se demande où est mon esprit.
Et sans magie, la vie a un goût d'épouvante.
Parfois le manque d'amour réveille Madame en pleine nuit, elle se rappelle qu'elle est seule et elle a l'impression d'étouffer, elle va boire un verre d'eau, mais l'amour qui n'est pas là lui coupe le souffle.
Elle redoute le moment où elle sera vieille, et pourtant, il doit bien exister une façon d'avoir de l'amour même quand on est vieille. Un rite magique.
Puis j'ai repensé au philosophe Walter Benjamin et j'ai compris qu'avec ce garçon, ça ne pouvait pas continuer parce que pour lui un arbre n'était qu'un arbre tandis que moi, je pensais sans cesse à tous les mots nécessaires pour lui redonner sa signification perdue. Et je ne pourrai jamais oublier le regard triste et perdu de ce garçon pendant que je lui expliquais de mon mieux pourquoi je ne voulais plus qu'on soit ensemble et que sa tristesse était aussi la mienne. Sauf que nous n'y pouvions rien. Pour me consoler, j'ai pensé qu'il se trouvait peut-être, quelque part sur terre, un garçon pour chercher les mots qui redonnent sa signification à l'arbre, comme moi. Mais pour nous rencontrer il fallait la magie, ou la Fortune, ou le Dieu des voisins, ou les ailes de papa.
Mais comment, jusque là, remarquer la mer qui change de couleur avec les saisons et semble badigeonnée d'un turquoise corrigé d'une pointe de vert sous le soleil, tandis que plus loin, elle est saphir, plus loin encore bleu nuit et, autour des rochers à fleur d'eau, d'un azur nouveau-né? Ou les rochers de Serpentara, ou les Varaglioni qui brillent dans cette immensité de bleus mais qui, par temps de sirocco, prennent une couleur cendrée tandis que la petite île émerge d'entre le nuages? Ou les vagues qui viennent recouvrir les galets de la plage, puis repartent emportées par le ressac et sont tout ce qu'on entend dans ce grand silence, ou bien qui se brisent avec force, nimbant l'air de vapeur, gigantesque aérosol naturel, et c'est peut-être pour cela que le maquis recule devant l'herbe et que nous disons qu'on va en Irlande? Ou nous, qui jouons à plisser les yeux pour former le cadre où insérer des photos de la Méditerranée et aussi, avec un peu de chance, des dauphins qui bondissent et se réjouissent d'un rien, juste bondir
Notre position est 39°9’ au nord de l’équateur et 9°34’ à l’est du méridien de Greenwich. Ici, le ciel est transparent, la mer couleur saphir et lapis-lazuli, les falaises de granit or et argent, la végétation riche d’odeurs. Sur la colline, dans les lopins de terre arrachés au maquis qu’on cultive entre leurs murets de pierre sèche, le printemps resplendit du blanc des fleurs d’amandiers, l’été du rouge des tomates et l’hiver de l’éclat des citrons.
Un jour Madame a pris son courage à deux mains, et a demandé à l’amant s’il l’aime un peu. Il a souri et il a dit qu’on n’aime pas un peu. Ou on aime, ou on n’aime pas. Madame était allongée sur le lit, nue à côté de lui, qui s’est relevé brusquement, s’est rhabillé, est passé dans la pièce d’à côté. Alors Madame a senti l’épouvante la frôler, elle s’est rhabillée aussi en se promettant de ne plus jamais poser de questions aussi idiotes. Des questions aussi idiotes détruisent toute la magie et, sans magie, la vie a un goût d’épouvante.