On n'en peut plus de ces gens qui achètent, achètent, parce qu'ils n'ont pas d'autre plaisir dans la vie, et la meilleure des révolutions consisterait à ne plus acheter et à tous nous habiller en récupérant de vieilles nappes et des draps usagés.
Sa réponse a épouvanté Madame qui s ' est jurée de ne plus jamais lui poser de question idiote.Des questions aussi idiotes détruisent la magie.Et sans la magie la vie à un goût d épouvante...
Si nous étions tous pareils, le monde pencherait d un seul côté et la terre basculerzit
Ma tante dit que le grand philosophe Hegel définirait tout ce qui est arrivé comme une ruse de la raison, une hétérogenèse des fins. C'est-à-dire que parfois on agit de la meilleure façon possible et les choses tournent mal et d'autres fois au contraire, on agit au plus mal et tout s'arrange pour le mieux.
Un jour, Madame a pris son courage à deux mains, et a demandé à l'amant s'il l'aime un peu. Il a souri et il a dit qu'on n'aime pas un peu. Ou on aime, ou on n'aime pas.
Grand-père dit qu'il ne voudrait pas de cette femme, même si c'était la dernière restée sur terre et qu'il s'agissait de la prendre non pas sous son toit ou dans son lit, mais comme voisine de caveau. Mais la grand-mère des voisins est un être humain important parce qu'avec son cerveau plus petit qu'un petit pois, elle est la preuve ontologique de l'existence de Dieu. Comment pourrait-elle en effet, alors qu'elle manque autant de cervelle, marcher, parler, exprimer des pensées et éprouver des sentiments si l'âme n'existe pas ?
Parfois le manque d'amour réveille Madame en pleine nuit, elle se rappelle qu'elle est seule et elle a l'impression d'étouffer, elle va boire un verre d'eau, mais l'amour qui n'est pas là lui coupe le souffle.
Une fois, Madame a confié à la maman des voisins qu'elle veut mourir parce qu'elle se sent malheureuse et inutile. La voisine l'a consolée en objectant que personne n'est inutile sur terre, pas même les bêtes les plus repoussantes et que les fois où ça lui tombe dessus aussi, elle pense à Saint-Paul quand il dit : « Seigneur, garde-moi ici-bas tant que tu me penseras utile. » Tant que le Seigneur nous garde en ce monde, cela signifie qu'il y a une raison.
Grand-père dit, mais sur un ton joyeux, comme s'il parlait d'un tout autre sujet, qu'il aime les changements et qu'il voudrait mourir parce que continuer à vivre reviendrait à accumuler les répétitions.
De sorte que grand-mère Elena se privait aussi de ces papotages et qu'elle restait enfermée à la maison pour ne pas écouter la grand-mère des voisins se vanter et, surtout, sous-entendre des comparaisons avec la nôtre, de famille, et avec les nôtres, de valeurs, quand son flambeur de gendre avait pris la tangente. Elle ne pouvait que se taire parce que désormais il ne lui restait plus rien. Rien. Grand-père lui rappelait qu'il lui restait deux filles et trois petites-filles jolies et gentilles, et aussi, au cas où elle ne s'en serait pas aperçue, un mari, en sa personne. Mais elle ne nous voyait pas. Elle disait qu'on nous avait jeté un sort, que quelqu'un nous avait maudits, parce que nous avions tous les droits d'être heureux, beaucoup plus que cette bidducula maiola, priogu resuscitau* qu'était la grand-mère des voisins, qui mangeait sa soupe en l'aspirant à grand bruit, qui, si elle n'avait pas épousé celui qu'elle avait épousé, paix à son âme, aurait tiré le diable par la queue, et qui, si elle n'avait pas eu le fils qu'elle avait eu, sérieux, travailleur et pieux, qui avait repris leur entreprise de bâtiment à la mort de son père, bien conscient d'abandonner ses rêves fous de construction écologique, bref, si elle n'avait pas eu tout ça, elle aurait dû ravaler ses vanteries.