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EAN : 9791034903696
176 pages
Liana Lévi (04/02/2021)
3.46/5   212 notes
Résumé :
Dans un petit pays à l'intérieur des terres sardes, le Campidanese, rendu à la monoculture d'artichaut et aux mauvaises herbes, la vie des habitants se déroule sans trop de secousses, à l'abri des murs gris ciment des maisons rénovées. Un pays « perdu », sans plus aucune vocation, comme échoué, oublié du monde qui l'entoure. Jusqu'à ce qu'arrivent « les envahisseurs » : une poignée de migrants venus de loin et de volontaires qui les accompagnent, censés s'installer ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (47) Voir plus Ajouter une critique
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C'est une étrange fable que nous conte Milena Agus dans Une saison douce. Un huis clos se déroulant dans un petit village sinistré de Sardaigne, avec un arrière-plan de fantômes. Les ombres mouvantes, qui se déplacent en silence comme derrière un écran de fond de scène, sont les « envahisseurs », des Subsahariens, de ceux qu'on nomme habituellement les migrants. Seuls quelques-uns passeront de l'autre côté et deviendront, un tant soit peu, protagonistes de cette histoire. D'eux, on ne saura pas grand-chose. Sauf exception, telle cette jeune femme, violée sur le chemin, qui donne naissance à un enfant métis. Mais cela reste aimable, au détour d'une phrase. Elle a subi des coups durs mais reste gaie, nous dit-on. Comme un autre Noir, qui s'occupe du jardin. Il a été séparé de ses enfants. Il les cherchera dès que ce sera possible. La narratrice doute qu'il les retrouve un jour. de cette dernière, comme des autres villageoises, on ne sait pas grand-chose non plus, c'est un magma indifférencié d'où émergent à peine quelques têtes.
Il y a le « nous » des femmes du village, qui se décident à aider ceux qui ont été posés là, il y a le « eux », indifférencié, des envahisseurs. Et entre les deux groupes, se trouvent les « humanitaires », ceux qui ont les contours les plus nets ; ceux qui se meuvent individuellement, avec leurs émotions et leurs rêves, dans ce brouillard essentialisé. Les histoires qui vont se croiser ici sont celles qui adviennent entre ces derniers. Ou entre les villageoises et eux, dans un temps suspendu qui réveille ces femmes que leurs enfants, partis depuis longtemps, ne viennent plus voir. Tandis que quelque part, en zone limitrophe, se meuvent des « Blancs » hybrides, un homme syrien que les femmes sardes trouvent « beau comme Omar Sharif » – il s'exprime, son corps est animé, sa compagne existe dans son prolongement –, ainsi que son neveu et un gosse arabe rétif, et la jeune Noire à l'enfant. Ces six-là, contrairement aux autres, ont des prénoms. Puis il y a les « autres », ceux qui rejettent, qui sabotent le jardin et voudraient bouter dehors les envahisseurs, dont on ne sait rien.
(...)
Les choses se tissent donc entre Sardes. Ceux qui vivent dans le village et les humanitaires qui s'occupent des migrants. On pourrait le croire, en tout cas. Mais, finalement, se tisse-t-il vraiment quelque chose ? Quand lesdits envahisseurs, transbahutés comme des ballots, seront transférés, les humanitaires partiront avec eux. Que feront alors les villageoises, prises dans ce même magma, à peine plus différencié, ce même abandon ? Celles dont on apprend au détour d'une phrase que leurs maris préfèrent les belles africaines ? Redeviendront-elles des « ombres les unes pour les autres » ?
« L'arrivée des envahisseurs nous avait changées : nous avions besoin d'horizons plus vastes et les collines alentour, malgré leurs courbes douces, nous firent soudain l'effet de murailles. »
Oui, Milena Angus signe une étrange fable. Et on se dit en refermant le livre qu'il faut que les humains aient la mémoire bien courte pour que les habitants de la Sardaigne, île qui a vu se succéder tant d'oppresseurs et de tyrans au cours des siècles, qui a subi tant de razzias, de saccages et de massacres, pour que les gens de France et d'Europe qui, croyait-on, gardaient souvenance du bruit des bottes nazies, de la terreur et des camps de la mort, en viennent à laisser mourir femmes, hommes, enfants en mer et nommer envahisseurs des survivants qui demandent le statut de réfugiés.

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« Le fait est que les humains sont sans doute ainsi faits : toujours en mouvement. » D'un côté une vague de migrants venus tout droit d'Afrique, débarqués dans un village sarde perdu au fin fond du Campidano. de l'autre une vague de désertion qui les a précédés, la descendance des habitants de ce même village partis voir ailleurs si l'existence valait mieux le coup d'y être vécue. Parfait se dit-on alors, dans une logique de vase communicant : voilà de quoi compenser les uns, voilà de quoi satisfaire les autres. Sauf que la nature humaine encline à se déplacer n'est pas tout aussi apte à accepter la différence, ni s'adapter à l'imprévu :
- Les locaux âgés sont mal embouchés. Encore accrochés à l'espoir du retour des leurs, ils accueillent à leur manière butée cette horde de migrants avec leurs humanitaires, tous venus d'on ne sait où, vite qualifiés d'envahisseurs
- Les migrants quant à eux n'envisageaient pas vraiment l'Europe à l'image de ce village décrépi, vieillissant et sclérosé. Encore moins par l'entremise de la Ruine qui leur a été allouée, le temps de trouver autre chose.
D'autres dynamiques se mettront alors en place. Un mouvement d'attraction et de compassion tout d'abord, d'un groupe de « sardes campidanaises d'heureuse et pipelette nature », enfin débarrassées de leur rejet initial, mais aussi un mouvement de repli sur soi et de rejet définitif pour les Autres, ces maris fermés, ces villageois irrémédiablement obtus aux migrants comme aux humanitaires qui les accompagnent. le village est désormais divisé, même si les liens se créent par ailleurs. Des liens palpitants, le savoir-faire de l'autrice parvenant à nous faire aimer ses personnages à travers leurs aspérités, en donnant du relief à cette humanité en souffrance. Avec Miléna Agus, personne ne semble épargné, mais personne n'est délaissé non plus. le ton déployé, impertinent et drôle, donne toute la saveur à ce récit vu de l'intérieur, avec une narratrice et son « nous » pour évoquer l'action de ces villageoises aidantes, un judicieux point de vue au service de ces femmes libres, drôles, exubérantes, insolentes et fières, en plus d'être actives : « Nous avions au moins une bonne raison de vivre : nous rendre utiles à ceux qui avaient eu encore moins de chance que nous. Mais que pouvions-nous faire ? Nous avons un dicton, nous les Sardes : « Commence par sauver tes brebis, tu penseras au reste plus tard. » »

N'empêche, sans avoir la prétention de résoudre le douloureux sujet des migrants, ce roman aux contours vaguement utopiques s'attife par moments de la panoplie du sauveur, de par les idées d'échanges mises en place, la dynamique humaine qui s'y instaure, tout en prenant les richesses là où elles se trouvent, c'est à dire pas forcément où l'on croit. Une chouette bouffée d'oxygène, vitaminée de rires et de tendresse bougonne.



« Toujours en rêve, Le Professeur, en dévisageant Lorena, lui disait : « Et pourtant, qu'est-ce que tu me fais bander. Tu me fais bander à mort. Mais tu n'affoles pas mon coeur. »
Lorena manquait défaillir, mais le rêve prenait fin avant qu'ils ne passent à l'acte. »
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Au coeur des terres sardes dans un trou perdu dont tout le monde se fichait bien , habitants d'un village de bicoques et de rues délabrées , de vieilles baraques rafistolées , là où même le train ne s'arrêtait plus——- il passait en sifflant, en ignorant le hameau ——- où la plupart des habitants sont de vieux couples ne substituant tant bien que mal , plutôt mal , de la monoculture d'artichauts , un jour «  Les Envahisseurs » débarquent, et personne , sur le coup ne veut de cette caravane de Migrants Exilés ……

C'est qu' «  avant l'invasion du village par ces migrants et les humanitaires blancs , qui les accompagnaient , il y avait eu celle des aides - soignantes étrangères » , venues d'Europe de l'Est que les derniers célibataires du lieu avaient épousées , fascinés bien sûr par leur blondeur et la finesse de leur taille …
Alors cette fois, c'est non.

Pourtant , ils vont rester …Car où aller ?

Cinq ans après «  Sens dessus dessous  » l'auteure se saisit à nouveau de la tragédie des migrants . …..de manière directe …

Ils vont rester grâce à la volonté des femmes narratrices : les migrantes et les villageoises , car la place principale est donnée aux femmes …dans «  Une saison douce  » .

Dans l'état de torpeur et d'abandon où les villageoises étaient , elles auraient pu se laisser aller à la paresse, au contraire , elles ne jetteront point l'éponge .
Elles trouveront une nouvelle raison de vivre , de rêver , de s'activer, reprenant goût au potager partagé , sachant de nouveau écouter la nature, instaurer un rapport d'amour et de solidarité avec les végétaux qu'elles cultiveront avec «  les noirs et les noires » , elles sauront se rendre utiles auprès de ceux qui avaient eu beaucoup moins de chance qu'elles .

Jusqu'à engager un labeur frénétique en faisant mûrir à nouveau oranges , mandarines , citrons , tomates et pommes de terre , en sauvant un local dit «  La Ruine » en rebouchant les trous , à l'aide de leurs hommes, en remplaçant les portes pourries, fenêtres et volets .

Le village vivra une nouvelle vie , redeviendra une communauté par la force de l'échange, bien qu'au départ rempli de défiance, maris et femmes se réconcilieront , les moments d'inquiétude et de vide se feront moins vifs .

Mais certains «  grincheux noirs » se refusaient tout même à parler la langue car ils désiraient à tout prix rejoindre la véritable Europe , leur place , estimaient - ils n'était pas ici …..
Un jour ? Ils repartirent au grand désarroi des villageois …..

Bien sûr , l'angoisse et la peur , la défiance ne diminueront pas tout à fait .

Conte moderne? , fable humaniste ?.

Ton drôle malgré la douleur du sujet , dynamique des échanges mis en place , remises en question, et renouveau , originalité du traitement de ce sujet si polémique ,méfiance puis entraide acceptation douce , sourires , haine qui cède parfois le pas à l'empathie, genre comédie «  merveilleuse ».

Bienveillance et engagement discret de l'auteure , rêves et condition humaine, c'est tout cela à la fois ce nouvel opus .

Un agacement ,pour ma part trop de pages consacrées à la religion .
Mais ce n'est que mon avis , bien sûr !
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Je l'avoue : j'attendais avec impatience de lire un nouveau livre de Milena Agus – le souvenir de « Mal de pierres » ayant été un vrai coup de foudre littéraire.
Je l'avoue également : je suis toujours perplexe en ayant refermé ce livre depuis quelques jours.

Le thème avait pourtant tout pour me plaire : des migrants fraichement débarqués dans un petit village sarde, tout d'abord regardés avec beaucoup de défiance, puis gagnant peu à peu la confiance des villageois qui comprennent enfin l'intérêt de faire revivre le village avec du sang neuf – fût-il lointain. Tout démarre plutôt mal, puisque les migrants rêvent de Londres ou de Paris, et que pour eux ce petit bout de terre sarde n'a rien d'un paradis.
Est-ce l'emploi du « nous », censé porter la voix des femmes du village, celles qui au départ se répandent en commérages sur cet afflux de migrants, mais peu à peu se laissent gagner par leur enthousiasme ? Ce livre est pétri de bons sentiments et on suit bien volontiers ces personnages féminins, tour à tour agaçantes, irritantes, un brin bornées, et petit à petit curieuses, voire généreuses. Mais quelque chose ne prend pas pour moi et je reste en dehors du récit.

Trop de bons sentiments peut-être ? La vision idyllique d'un village s'emparant de ses migrants, jusqu'à regretter leur départ final pour les capitales européennes ne m'a pas convaincue, et j'en suis bien navrée. On voudrait y croire. Mais ce conte contemporain distille une utopie à laquelle je n'ai pas réussie à croire, la perplexité l'emportant sur l'adhésion : dommage, parce que Milena Agus est une très belle plume italienne, sans aucun doute.
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« Molto carino », voilà ce qu'on dirait en italien, à la lecture de ce délicieux roman qui s'est emparé du sujet des migrants tout en évitant une débauche de bons sentiments. Les migrants, ce sont « les envahisseurs », des familles rejetées par la mer, échouées dans ce village que la jeunesse a déserté depuis longtemps. On y pourrit à l'ombre des arbres secs, on y tombe en morceau comme les tuiles de ces bâtisses que personne n'a envie de restaurer. On paresse, on attend le déluge : « (…) Nous les Sardes, nous sommes incapables de rébellion et à cause de nos rivalités mesquines, l'île est toujours aux mains des spéculateurs étrangers ».
Saïd et Naïma ne sont pas venus pour investir. Ce coin paumé les dégoûte : c'est donc ça l'Europe pour laquelle ils ont failli mourir ? La rencontre se fait sur fond de malentendus, les suspicions grandissent et les clans se forment, ceux qui se renferment et ceux qui ouvrent leur porte – l'histoire des communautés humaines, en somme. Car les villageoises s'attachent : « l'arrivée des envahisseurs nous avait changées : nous avions besoin d'horizons plus vastes et les collines alentour, malgré leurs courbes douces, nous firent soudain l'effet de murailles ».
Milena Angus signe un conte moderne sur cette faculté d'embrasser l'altérité qui fait défaut à nos sociétés modernes. Décidément, les auteurs sardes me ravissent ; j'avais passé de bons moments avec Marcello Fois, Michela Murgia et Salvatore Niffoi.
« Adesso, un sogno ; Milena, se mi leggi ! » Il y aurait un roman magnifique à écrire sur les familles du sud-ouest de la Sardaigne qui se sont enrichies après la guerre avec les mines d'argent. Leur ascension, leur décadence… un sujet passionnant. Votre prochain livre ?
Bilan : 🌹🌹
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critiques presse (9)
Telerama
23 mars 2022
Comment vivre avec cette déception de part et d’autre, cette défiance vis-à-vis de l’inconnu ? Ce sont les femmes, comme toujours dans les livres de l’Italienne Milena Agus, qui vont prendre les rênes de ce curieux équipage.
Lire la critique sur le site : Telerama
Actualitte
28 avril 2021
Autrefois, c'était un vrai village avec son maire, son terrain de football, sa gare… Un petit village sarde ni beau, ni laid mais bien agréable, pas tout près mais pas si éloigné que cela non plus de la mer. Un village vivant.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeMonde
12 avril 2021
L’écrivaine sarde livre un roman des migrants, bienveillant et discrètement engagé.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Culturebox
29 mars 2021
Un conte polyphonique, étranger et fascinant, émouvant et bouleversant, drôle et presque caustique.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Bibliobs
18 mars 2021
Par l’auteure sarde de « Mal de pierres », un roman tragi-comique sur un groupe de migrants qui débarque dans un village du Campidano.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaCroix
04 mars 2021
Milena Agus fait échouer des migrants dans un village perdu de Sardaigne. Une confrontation drôle et généreuse, un conte tendre et polyphonique.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeFigaro
25 février 2021
Des migrants font irruption dans un village sarde. Une merveilleuse comédie.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Lexpress
15 février 2021
Une saison douce, formidable radioscopie d'un village sarde en prise avec des migrants.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LeSoir
08 février 2021
Milena Agus envoie des migrants vers une destination improbable dans « Une saison douce », son nouveau roman.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (55) Voir plus Ajouter une citation
Désormais, coupables de faire cause commune avec les envahisseurs, rejetées par nos amis, par nos maris, par nos mères et par nos belles-mères, nous ne pouvions plus bavarder qu'avec l'ennemi. Et c'est en compagnie de l'ennemi que, souvent, nous allions nous promener dans les environs du village. Il nous semblait n'y avoir rien qui vaille vraiment la peine d'être montré, rien que de la broussaille et des moutons. Mais les humanitaires, citadins pour la plupart, et quelques-uns des migrants, s'enthousiasmèrent. Et grâce à eux, nous qui en avions par-dessus la tête des moutons sardes, nous commençâmes à les voir d'un autre oeil. Nous découvrîmes que nos moutons étaient magnifiques et que chaque troupeau composait un tableau différent. Certains étaient blancs sur le fond gris des pierriers, en route pour le pâturage, d'autres, des taches dorées à flanc de colline. L'un d'eux, solitaire, à l'écart de ses compagnons, nous observait. De loin, vous pouviez confondre certains troupeaux avec les floraisons printanières. Des brebis formaient une couronne autour de leur berger, qui procédait à la traite vespérale, d'autres, en chemin, traçaient des géométries le long des chemins de terre. (pp.48-49)
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«  Sans les réfugiés , nous aurions cédé à la paresse de nous laisser aller , de jeter l’éponge . Plus maintenant. Nous aurions au moins une bonne raison de vivre : nous rendre utiles à ceux qui avaient eu encore moins de chance que nous . Mais que pouvions - nous faire?
Nous avons un dicton , nous les Sardes : «  Commence par sauver les brebis, tu penseras au reste plus tard » …..
«  La première brebis avait été le Potager, la deuxième fut le Verger intérieur de la Ruine , où cet hiver - là mûrirent à nouveau des oranges, des mandarines et des citrons , tandis qu’au pied du mur , le romarin se remettait à pousser . »
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Les migrants, que nous qualifiâmes tout de suite d’envahisseurs, ne trouvèrent pas de jeunes au village. Ici, aucun enfant ne naissait plus, et on nous avait même fermé notre école primaire. Nos petits-enfants, pour ceux qui en avaient, grandissaient sans nous connaître, puisqu’ils vivaient loin d’ici et ne rendaient jamais visite à leurs grands-parents.
Au fond, nos enfants avaient bien fait de prendre leur destin en main et de partir, mais notre crève-cœur, c’était que tôt ou tard, ils nous oubliaient. Au début, ils revenaient, au moins de temps en temps, mais ils s’ennuyaient ici, et regardaient tout de haut. À cause d’eux, nous avions honte des parpaings, du carrelage, du plastique, du fibrociment et de l’aluminium que nous avions substitués à la pierre, à la terre cuite, au bois et aux tuiles ; nous rougissions de nos ordures, qui n’étaient ramassées que deux fois par semaine.
Nos enfants souffraient peut-être aussi de cette humiliation propre aux émigrés quand ils rentrent au pays aussi perdants et vaincus qu’ils en sont partis, ou alors ils se persuadaient que nous autres, paysans peu émancipés et sur le déclin, nous ne comprendrions rien aux gays, ni aux couples hétéros non mariés, aux dépressifs, à ceux qui avaient pris ou perdu trop de poids, ou qui étaient devenus chauves.
Certains, qui à nos yeux s’étaient exilés sans raison valable, nous avaient dit à l’époque qu’ils voulaient juste changer d’air, qu’ici, ils étouffaient.
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« Marie doit s’être sentie très seule, elle aussi, disait le père Efix. Quelle que soit la manière dont les choses se sont vraiment passées son enfant aurait pu rester son père. Mais il en va de même pour toutes les femmes enceintes, les circonstances de la conception ne comptent plus, le mâle s’efface. Le père s’il apparaît, le fera plus tard, et demeura un père putatif.
Il aimait énormément Joseph et le tenait en grande estime. Quelle largesses de vue avait été la sienne, lui qui avait accepté de s’unir avec une femme gravide, peut-être victime d’un viol. Certes, un ange lui était apparu qui lui avait dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ton épouse. » Comment le croire ? Et si c’était une hallucination ? Mais Marie avait le cœur pur et cela lui suffisait.
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Le fait est que les humains sont sans doute ainsi faits : toujours en mouvement. D’ailleurs, dès qu’ils se sont mis debout, nos ancêtres ont marché, encore et encore, à travers l’Eurasie, ils ont franchi le détroit de Béring et sont descendus jusqu’à la Terre de Feu. Après quoi, dès qu’ils ont été capables de construire une pirogue, ils ont débarqué sur toutes les plages du monde.
Nos enfants émigrés nous disaient au téléphone :
« On ne peut pas venir, on est débordés, essayez de comprendre.
– Mais oui, mais oui, on comprend. »
En réalité, nous ne comprenions rien et nous étions blessés.
La plupart d’entre eux n’avaient pas fait fortune, loin d’ici, alors – en cachette de leurs pères, naturellement – nous, leurs mères, nous avions constitué une caisse commune où chacune versait l’argent qu’elle pouvait et régulièrement, nous faisions un virement pour ceux de nos enfants émigrés qui en avaient le plus besoin.
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Soirée de lancement Festival Lettres du Monde avec Milena Agus, Auður Ava Ólafsdóttir et Makenzy Orcel.
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