Vouloir rédiger le catalogue raisonné de l'oeuvre plus qu'abondante d'
Antoni Tàpies (près de 6000 pièces sans tenir compte des gravures, des affiches, des dessins…) relève de la gageure. C'était pourtant le défi que s'étaient fixé une équipe de chercheurs sous la houlette d'
Anna Agusti, historienne de l'art et spécialiste de l'artiste catalan. Les tomes 1 à 4 ont été édités par Könemann et sont en français, tandis que les tomes 5 à 8 ont été édités par la
Fundacio Antoni Tapies / Poligrafa et sont en 4 langues (catalan, espagnol, français, anglais ). Les maquettes et la rédaction des 8 volumes sont toutes identiques. Dans la préface du tome 3, Manuel J. Borja-Villel rappelle avec honnêteté qu'une telle entreprise « permet d'envisager le processus de création d'un point de vue plus proche de celui du créateur lui-même » mettant en évidence les ruptures, les hésitations, les retours en arrière que l'historien d'art a tendance à gommer la plus souvent afin de créer « un schéma linéaire d'évolution artistique fixé d'avance. »
Antoni Tàpies est un des plus importants peintres catalans de la seconde moitié du XX° siècle. Il est né en 1923 et mort en 2012 à Barcelone. Essentiellement peintre, parfois sculpteur, il a également écrit un certain nombre de textes sur l'art. Rapidement, il s'est tourné vers l'abstraction. Souvent, les critiques mettent en évidence l'invention du tableau en trois dimensions (matiérisme), souvent citée comme une caractéristique de Tàpies dans les seventies. C'est-à-dire en même temps que l'Arte Povera, l'art conceptuel, les débuts de
Julian Schnabel, alors que l'insertion d'objets dans son travail remonte aux années 1940. Ne pas oublier également que Tàpies s'est très nettement engagé contre la dictature franquiste, contre le délabrement économique de la Catalogne, contre les injustices sociales. le moment le plus fort étant la période entre 1969 et 1975, année de la mort de Franco. Cette prise de position politique se traduisait par l'utilisation de symboles et de mots écrits directement sur les supports. Des oeuvres telles que « Taula de despatx amb palla» (1970) et « A la memoria de Salvador Puig Antich » (1974) sont réellement révélatrices de cette période (dans le troisième tome).
Un catalogue raisonné reste avant tout un ouvrage scientifique mais ne boudons pas notre plaisir à feuilleter un de ces volumes. La qualité presqu'irréprochable de l'impression des très nombreuses photographies ajoute au plaisir de la consultation. Tout hispanophile devrait avoir au moins l'un ou l'autre de cette biographie en peinture.