Dans ce très bon livre,
Karim Akouche nous propose un visage de l'Algérie cinquante ans après l'indépendance, un visage grêlé de souffrances, de misère et d'espoirs déchus.
Trois jeunes garçons se retrouvent pour partager leur amitié, leurs aspirations, leurs envies.
Pour eux, depuis la victoire pour l'Indépendance obtenue après huit ans d'une guerre meurtrière contre la France, le peuple d'Algérie n'a jamais vraiment eu son mot à dire. C'est d'abord le système du parti unique faux semblant de démocratie, avec au pouvoir le controversé Ahmed Ben Bella, puis Houari Boumédiène "le Staline arabe" suivi de Chadli Bendjedid. Cette période où la corruption gangrène le pays est suivie de la décennie noire durant laquelle les "fous d'Allah" sèment guerre civile et désespoir.
Zof, Zar et Ahwawi sont à l'image de leur pays. Entre révolte et résignation, ce sont des enfants perdus. Pourtant, le souffle de vie et d'espoir qui anime leur coeur est grand. Ils sont plein d'énergie, plein de bonne volonté, même si Zof le berger a renoncé, Zar le brillant étudiant et Ahwawi l'artiste continuent à y croire, ils veulent agir pour leur pays, ils veulent voir les enfants sortir de la misère et de la rue pour envahir les écoles et apprendre.
Les années passent et quand un à un leurs projets tombent à l'eau, ils perdent confiance en leur pays.
Acculés contre un mur d'incompréhension, c'est le désespoir qui l'emporte. Ils ne savent plus comment sortir de leur condition. Que leur reste-t-il comme horizon, celui de la mer scintillante sur laquelle souffle encore le vent de l'espoir ?
Alors, comme on jette toutes ses forces dans les derniers mètres qui nous séparent de la ligne d'arrivée, Zar et Ahwawi abattent leur dernier atout. Ils se prennent à rêver de l'ultime traversée, celle qui pourra les sauver ils en sont convaincus, mais les passeurs ne sont pas des philanthropes et la Méditerranée, dont les vagues appellent à une vie meilleure, ne garantit pas la destination.
L'auteur ose dire les choses, dénonce le désastre. Les mots de
Karim Akouche font mal mais c'est un mal nécessaire. Ce visage de l'Algérie, celui du désespoir de ses enfants, doit être montré pour ne pas être ignoré, pour qu'enfin chacun comprenne le désespoir qui mène à l'émigration.
Cinquante ans après l'Indépendance, le vide laissé par la France a fait place au néant orchestré par le pouvoir. Vendeurs d'espoir, exploiteurs de la misère, profiteurs de la richesse, "fous d'Allah" asservissant le coeur des plus faibles, tous ces acteurs de la vie de l'Algérie ne font plus qu'un sous la plume acérée mais jamais amère de
Karim Akouche. C'est l'ennemi du pays, celui qui souffle la flamme de l'espoir, celui qui brise les rêves, celui qui refuse la lumière, celui qui laisse ses enfants se perdre à jamais.
Merci M. Akouche pour ce roman vivant et imagé, triste aussi, qui donne envie d'en savoir plus sur ce pays magnifique mais malmené.
Merci également aux Éditions Écriture et à Masse Critique Babelio de m'avoir fait découvrir cet auteur qui a su m'interpeller et me toucher.