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Aozora Bunko (02/11/1922)
5/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Etoiles Notabénistes : ******

Yôba
Traduction : Elisabeth Suesutgu pour le recueil de nouvelles "La Magicienne" paru chez Picquier Poche

ISBN : certainement inconnu à l'époque de la sortie de la nouvelle mais 9782809703979 pour l'édition Picquier Poche

Cette "Magicienne", qui donne pourtant son nom au recueil de nouvelles d'Akutagawa sorti chez Picquier Poche, n'est peut-être pas la meilleure du volume bien qu'elle en soit la plus longue. Néanmoins elle fascine par l'art magistral avec lequel l'auteur fait jaillir autour de nous une atmosphère lourde, glauque et maléfique qui, quelles que soient nos croyances (ou notre incroyance) personnelles, ne peut que nous glacer le coeur.

Bien que le fantastique ait ici la partie belle, l'intrigue se veut en principe sentimentale : une jeune fille, Toshi, servante dans une famille dont le fils, Shinzô, est amoureux d'elle, possède des qualités de medium qui intéressent fortement l'une de ses lointaines parentes, la dénommée Shima, elle-même connue par le bouche-à-oreille comme une puissante sorcière ayant puisé sa science dans les rituels shamaniques ; Shima est vouée au culte d'une divinité ambiguë dont on peut croire que, à l'issue de la nouvelle et malgré la mauvaise réputation qui est la sienne, elle se range aux côtés des deux jeunes gens et les aide à échapper à l'affreuse Shima ; mais celle-ci ne peut accéder aux précieuses prédictions du dieu sans la présence d'une medium à ses côtés. Or, Toshi est réellement une excellente medium ...

Toutefois, ce que l'on retient de cette "Magicienne", bien plus que l'histoire, un peu complexe ou alors traitée de façon trop romanesque pour une nouvelle, c'est, répétons-le, l'ambiance. A son sujet, on peut parler de magie, cette magie asiatique si particulière que Lafcadio Hearn a si bien restituée lui-même dans des contes comme "Le Visage." En littérature comme au cinéma, le fantastique asiatique obéit à des codes non pas opposés mais naturellement plus subtils que les codes occidentaux. (Notez que, à l'heure où je tape ceci, il y a peut-être sur le Web un Japonais ou un Chinois qui écrit exactement la même chose mais dans le sens inverse ... )

Il y a d'abord ces petits faits que nous conte l'auteur - car c'est bien l'auteur qui, ici, prend la parole - quand il nous parle de la manière étrange, inquiétante et pourtant impitoyablement logique dont, en certains lieux de la ville, en général non loin d'un carrefour et dans des quartiers très précis, s'élèvent brusquement de petits tourbillons de bouts de papier abandonnés sur le sol et qui semblent vouloir s'élever vers le ciel mais dans un ordre quasi hiérarchique. Et toujours, ces tourbillons sont en quelque sorte "menés" par un papier de couleur rouge. le vent n'apparaît, semble-t-il, qu'après que ce bout de papier ait décidé, de lui-même, de rallier à sa cause un certain nombre de ses congénères. Dans quel but ? Cela, on l'ignore ...

Vient ensuite l'histoire, qui se déroule toujours de nuit ou au crépuscule, de l'avant-dernier ou du dernier tram ou autobus qui fait halte devant un arrêt où - l'auteur l'a constaté bien souvent, alors qu'il était paisiblement installé à l'intérieur du véhicule - n'attendait aucun passager éventuel. Ce trottoir vide n'empêche cependant pas le conducteur d'ouvrir sa portière pour la refermer presque tout de suite. Et il arrive que ce conducteur soit lui-même frappé par l'inanité de son attitude. Mieux, il arrive au moins une fois - Akutagawa en a été témoin - où, se parlant à lui-même, le malheureux a affirmé avoir vu, oui, bel et bien vu, une file de passagers désireux de grimper dans son bus. D'ailleurs, Akutagawa semble l'avouer, lui aussi a entrevu, de temps à autre et sans qu'il sache pour quelles raisons, toujours au même arrêt, cette file de passagers qui se faisaient remarquer par leur lenteur ou l'inexpressivité (ou encore la fatigue) peinte sur leurs visages.

Et puis, comment ne pas parler de la rivière, la Tategawa, qui vient lécher les quais du port et avec laquelle la vieille Shima semble entretenir un rapport vraiment étrange puisque, même par temps de neige et de gel, elle sort chaque matin, à l'aurore, pour s'immerger dans ses flots glacés ? C'est en effet dans le quartier du port que Shima tient sa boutique d'herboriste et de jeteuse de sorts en tout genre. Nul ne sait à quoi elle a pu ressembler au temps perdu de sa jeunesse mais, dans son âge mûr, c'est indiscutable, elle a - sa voix elle-même a - beaucoup du crapaud, mais un crapaud vraiment hideux, avec quelque chose de lovecraftien dans l'allure et plus encore dans les intentions.

Il est pourtant, sur les quais, comme une correspondance aux endroits mystérieux où s'élèvent parfois les mystérieux petits tourbillons de bouts de papier abandonnés à leur sort sous la pluie d'hiver, un espace, délimité par deux gros chiens en granit, que, en dépit de tous ses pouvoirs, Shima ne parvient pas à "voir." Très précisément, elle ne peut voir ce qui s'y passe. Un refuge idéal pour nos deux amoureux même si Toshi ignore absolument tout des raisons de la cécité provisoire et si localisée de sa redoutable "tante." Et s'il existe un endroit comme celui-là sur les quais, le lecteur est en droit de se demander s'il n'y en a pas d'autres, disséminés dans la ville selon des règles dictées par le monde surnaturel.

Quant à la maison où exerce Shima, en particulier la pièce où elle se tient pour recevoir ses visiteurs, c'est tout un poème. La suie y prédomine : au plafond, sur les poutres ... L'ensemble est miteux mais l'autel réservé au dieu adoré par la sorcière est évidemment soigneusement entretenu. le lecteur occidental, et qui connaît ses classiques fantastiques par coeur, risque, en lisant la description qu'en donne l'auteur de songer à des lieux comme Ipswich par exemple ou encore Arkham ... Tout cela est nimbé de lueurs d'un verdâtre cafardeux - à tout prendre, la suie, dans sa noirceur grasse, semble au moins plus franche - et l'on voit avec horreur Shima s'y déplacer vers Shinzô, venue la défier, avec des reptations d'anguille ou de serpent de mer ...

Oui, si on lit "La Magicienne", c'est avant tout pour l'ambiance qu'elle dégage, une ambiance à la fois si dense et si étouffante, avec tout plein de petits détails tant à droite qu'à gauche, ayant ou non un rapport direct avec Shima et ses pratiques (comme les affreux papillons noirs qui suivent littéralement Shinzô à la trace à un certain moment), que peu à peu s'insinue dans la sensibilité du lecteur la certitude absolue que, volontairement ou par le seul fait du hasard, Akutagawa Ryûnosuke a été souvent confronté à ce monde distordu, glacé, malveillant ou bienveillant selon les époques et, partant, totalement incompréhensible.

Le privilège du poète, de l'artiste - ou bien celui que vous accordent certaines drogues qui apaisent vos souffrances ? N'oublions pas non plus que, au naturel, l'écrivain souffrit très jeune d'hallucinations et qu'il devait mettre fin à ses jours par une surdose de Véronal.

Akutagawa Ryûnosuke, un prodigieux styliste mais qui paya chèrement le Don qu'il avait reçu. Lorsque nous nous immergeons dans son oeuvre, ayons donc une pensée pour les souffrances qu'il dut endurer et brûlons un bâton d'encens dont les volutes parfumées, s'élevant dans les airs comme les petits papiers dans leur tourbillon magique, feront savoir à ses mânes enfin libérées qu'il n'a pas écrit en vain. ,o)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... Shinzô, l'air épuisé, se mit debout à son tour. Au moment où ils s'apprêtaient à passer devant les chiens de granit pour rejoindre la rue déserte, les larmes montèrent brusquement aux yeux de la jeune fille. Sa nuque que la douleur faisait pencher apparut éclatante de blancheur dans la nuit et elle répéta : "Je voudrais être morte." C'est à ce moment qu'au pied du poteau télégraphique où s'étaient évanouis tout à l'heure les deux papillons noirs apparut confusément quelque chose qui ressemblait à un œil humain, énorme. C'était un œil sans cils, la pupille glauque, comme recouverte d'un voile bleu pâle, et il était impossible de déterminer dans quelle direction il regardait. Et il devait bien faire un mètre !

D'abord, les contours se dessinèrent avec la légèreté de l'écume, puis l'œil s'immobilisa quelque peu en retrait du sol et flotta un moment, mais bientôt la pupille couleur de suie se rapprocha obliquement de l'extrémité. Le plus étrange est que cet œil énorme, qui en se fondant dans les ténèbres mouvantes de la rue, prenait une couleur terne et fade, n'en causait pas moins une indéfinissable impression de malaise. Instinctivement, Shinzô serra les poings et, tenant Toshi serrée derrière lui pour la protéger, il resta les yeux fixés sur l'apparition fantastique, avec l'énergie du désespoir. En même temps, il eut l'impression que tous les poils de son corps étaient réellement soulevés par le vent, et un frisson lui parcourut le dos, si violent qu'il crut que sa respiration allait s'arrêter. Il paraît qu'il eut beau essayer de crier, nul son ne sortit de sa bouche. Heureusement, l'œil, qui pendant quelques instants avait dardé sa pupille chargée de haine sur les deux jeunes gens, s'estompa peu à peu et pour finir, la paupière tomba comme une écaille. Il ne resta plus que le poteau télégraphique, nulle forme suspecte. Toutefois, ils virent s'élever en voltigeant quelque chose qui ressemblait à des papillons noirs ... [...]
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[...] ... Ainsi par exemple, l'hiver, s'il vous est arrivé de vous promener tard le soir dans la grande avenue de Ginza, je suis certain que votre œil a été attiré par les papiers qu'on avait jetés sur l'asphalte (il y a bien une vingtaine, si on les compte) qui se retrouvent en un seul endroit à voltiger au vent. Si ce n'était que cela, je n'éprouverais pas le besoin de vous le faire remarquer, mais je voudrais attirer votre attention sur les endroits précis où les papiers tourbillonnent. Entre Shinbashi et Kyôbashi, il y en a immanquablement trois du côté gauche, et un à droite ; par-dessus le marché, ce sont sans exception des endroits proches d'un carrefour, ce qui m'incline à penser qu'il n'est pas impossible que le phénomène ait un rapport avec l'atmosphère. Mais si vous y prêtez un peu plus attention, vous constaterez que dans tous les tourbillons, quels qu'ils soient, se trouve mêlé un papier de couleur rouge - publicité pour le cinématographe, bout de mouchoir déchiré, ou encore marque de boîte d'allumettes -, bref, si les objets sont d'une extrême diversité, il reste qu'immanquablement on constate la présence de la couleur rouge. Et alors qu'on croyait que le vent allait emporter tout d'un même élan, seul le papier rouge s'élève bien droit, avant de se mettre à tournoyer. Alors, du léger nuage de poussière qu'il soulève, parvient une voix à peine perceptible, puis les papiers blancs qui étaient épars çà et là s'évanouissent brusquement dans le ciel au-dessus de l'asphalte. Non, ils ne disparaissent pas. Formant bientôt un cercle, ils se mettent à tourbillonner sans discontinuer. Il en va de même lorsque le vent tombe, et selon mon expérience jusqu'à ce jour, c'est le papier rouge qui cesse le premier de voltiger. Parvenu à ce point, je pense que de vous-même, vous allez trouver étrange ce comportement. Il va sans dire que je m'interroge également. En fait, il m'est arrivé à deux ou trois reprises de m'arrêter dans la rue pour observer, à travers le large reflet d'une vitrine proche, la danse ininterrompue des papiers. Je ne vous cache pas que c'est parce que j'avais le sentiment qu'en fixant ainsi mon attention à ce moment, il me serait donné d'entrevoir, ne fût-ce que vaguement, comme dans un halo, des choses que l'œil humain ne voit pas d'ordinaire, même si cette vision devait être aussi floue que le vol d'une chauve-souris dans l'air du soir. ... [...]
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Videos de Ryûnosuke Akutagawa (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ryûnosuke Akutagawa
« […] Akutagawa Ryunosuke (1892-1927) tenait cette nouvelle pour l'une des oeuvres les plus fortes de Shiga Naoya (1883-1971). […] Tout en usant de mots familiers réussir à donner une pareille sensation de transparence, voilà ce qui dans tout texte, à quelque genre qu'il appartienne, importe au plus haut point. […] Une telle forme d'écriture dédaigne la fleur pour obtenir le fruit : par la simplicité même, elle accède à l'essentiel comme aucun mode d'expression de la vie quotidienne ne le pourrait. […] » (Junichiro Tanizaki [1886-1965])
« […] Sa légèreté n'est qu'apparente. Elle recèle une puissance insoupçonnée. Ainsi de ces variations de Chopin, subtiles, presque imperceptibles, qui résonnent en nous, se propagent jusqu'au fond de nos entrailles comme la douleur d'une dent. […] » (Hideo Kobayashi [1902-1983])
« […] l'originalité de Shiga Naoya tient au fait que jamais dans aucune de ses nouvelles il ne se laisse aller à l'analyse psychologique de son personnage principal. Il le présente seulement comme un homme qui lutte pour essayer d'établir des relations humaines rationnelles dans le monde qui l'entoure. le personnage apparaît si profondément hanté par cette quête que Shiga Naoya ne s'attarde pas à une étude de son caractère. […] » (Sei Ito [1905-1969])
« […] En janvier 1913 paraît un premier recueil de nouvelles, dédié à sa grand-mère. le 5 août de cette même année, Shiga Naoya est renversé par un train de la ligne Yamanote. Il est grièvement blessé et doit se faire hospitaliser. Il écrit en septembre la nouvelle Han no hanzaï (Le crime de Han) puis, en octobre, part en convalescence à Kinosaki. […] L'une de ses plus belles nouvelles, Wakaï (Réconciliation) […] est publiée en 1917, peu de temps après Kinosaki nite (Le séjour à Kinosaki). […] »
17:55 - Générique
Référence bibliographique : Naoya Shiga, le séjour à Kinosaki suivi de le crime de Han, traduit par Pascal Hervieu et Alain Gouvret, Éditions Arfuyen, 1986
Image d'illustration : Autoportrait de Shiga Naoya daté de septembre 1912.
Bande sonore originale : P C III - O UT O UT by P C III is licensed under an Attribution License.
Site : https://freemusicarchive.org/music/P_C_III/O_UT_1733/O_UT
#NaoyaShiga #LeSéjourÀKinosaki #LittératureJaponaise
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