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Arimasa Mori (Autre)
EAN : 9782070707485
292 pages
Gallimard (13/10/1986)
4.09/5   59 notes
Résumé :
Un miséreux qui hésite entre le vol et la mort s'abrite de la pluie sous la Porte Rashô, une ruine transformée en charnier. Dans la pénombre du crépuscule, il découvre une vieille hirsute et fantomatique en train d'arracher les cheveux des cadavres..
Violents, étincelants, souvent terrifiants, ces brefs récits plongent le lecteur dans les ténèbres d'un japon de légende, peuplé de sorcières, de brigands et de personnages aussi surprenants qu'inquiétants
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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J'ai lu ce livre alors que j'étais en pleine « période japonaise ». Et j'avais notamment un intérêt particulièrement marqué pour deux aspects de la question : comment les auteurs japonais vivaient-ils le déchirement de leur société, tiraillée entre sa culture et son histoire et une ouverture revendiquée vers la culture européenne – on sait que Mishima en avait fait un cheval de bataille, donnant à son suicide rituel (seppuku) le sens d'une protestation contre l'envahissement de la culture japonaise par les moeurs occidentales -, d'une part, et en quoi la littérature japonaise repose-t-elle sur un travail stylistique particulier.

Après Mishima – le pavillon d'or -, par filiation, j'ai commencé à lire Yasunari Kawabata. Tristesse et beauté, Les belles endormies, Pays de neige. Incroyablement peu connu en France pour un prix Nobel de littérature – le premier japonais a avoir reçu ce prix -, considéré comme un écrivain majeur du XXe siècle, il était d'autant plus attirant pour moi. Pouvoir, au détour d'une phrase, citer un auteur japonais peu connu, quel infini bonheur, non ? Bon, certes, cela a été partiellement gâché lorsque Les belles endormies est devenu un film (Sleeping beauty, 2011), mais l'échec relatif du film et son peu de spectateurs fait que c'est encore jouable…

Avec Tristesse et beauté, la question du style était sur la table. Alors quand j'ai découvert un troisième auteur japonais de la même mouvance mais dont toute l'oeuvre tournait autour de la question du style, je ne pouvais plus y échapper. En effet, comme le dit Roger Bozzetto dans « Littérature et cinéma fantastiques au Japon » (La revue des ressources, 2008), Ryunosuke Akutagawa propose, dans Rashômon et autres contes « des textes originaux, [qui] se réfèrent à d'anciens contes recueillis dans le Konjaku monogatari (XII°siècle). [Il reprend] sous des angles neufs et dans un style littéraire moderne les thèmes des anciens contes. [Il répète, à sa manière,] ce que Pu Song Lin au XVIII° siècle avait fait pour les contes chinois de la dynastie des Han, à savoir transposer dans la prose littéraire de son époque les images et les récits venus du folklore ».

C'est à cette occasion que j'ai découvert cet exercice à ma connaissance propre à la littérature japonaise de reprendre des textes de recueils anciens, de les réécrire, avec un objectif qui, s'il est simple à exprimer, est d'une insondable complexité dans les faits : réécrire des « contes » – la définition ici n'est pas celle que nous acceptons habituellement dans la littérature européenne -, en faisant en sorte à la fois – et c'est bien là toute la difficulté – qu'ils conservent le style propre à leur version originale tout en leur donnant un style propre à celui qui les réécrit. Autrement dit, objectif schizophrène, que chaque conte, extrait d'un recueil différent, conserve sa spécificité (un peu du style de son auteur d'origine), tout en faisant en sorte de donner néanmoins une uniformité de style – celui de l'auteur qui mène l'exercice – à ces récits. Une uniformisation qui conserve la typicité, en quelque sorte ! Ou la quadrature du cercle !

C'est à la fois fascinant, et parfois presque trop. Il faut alors se laisser aller à replonger dans l'ambiance, se laisser porter par le texte. L'ambiance est sombre, voire macabre. Faut-il y voir une trace de la mauvaise santé de l'auteur ? Souffrant du coeur, de l'estomac, des intestins, sujet à des hallucinations et à une neurasthénie tenace, il se suicide à l'âge de 35 ans, en laissant pour seul message « vague inquiétude ». Deux de ses nouvelles, Dans le fourré et Rashômon, justement, ont inspiré à Akira Kurosawa son Rashômon…

Bon, avouons le : je l'ai lu, mais je n'y reviendrai sans doute pas. Ce n'est évidemment pas le livre que je recommande à ceux qui voudraient faire une première incursion du côté de la littérature japonaise. Mais il n'y a pas que les block-busters, il n'y a pas que les page-turners…
Lien : https://ogrimoire.wordpress...
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Ces nouvelles sont le plus souvent glaçantes. Akutagawa avec une maitrise exceptionnelle montre ce qu'il y a de plus cruel ou de plus grotesque dans la condition humaine. En écrivain naturaliste il insiste sur les détails les plus macabres. Les sentiments d'humanité sont vite vaincus par une nécessité implacable ou paraissent inattendus voire surnaturels. Deux des nouvelles présentées dans ce recueil inspirèrent Kurosawa pour son film "Rashômon". A l'époque de Heian Kyôto après plusieurs années de cataclysmes connaît une terrible détresse. La porte de Rashô qui tombe en ruine n'est plus qu'un abri pour les renards et les voleurs. Dans sa galerie on jette des cadavres qui s'y entassent. C'est là qu'un homme attend se protégeant d'une pluie violente. Il vient d'être congédié par son patron et se demande s'il est préférable de devenir voleur ou de mourir de faim. En parcourant la galerie il aperçoit une faible lueur et la silhouette d'une vieille femme qui s'empare de la chevelure d'un cadavre... Cette nouvelle, "Rashômon", est sans doute la plus saisissante du recueil auquel elle donne son titre. Akutagawa plonge avec une inquiétante fascination dans les gouffres du coeur humain.
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Ce recueil d'Akutagawa puise l'essentiel de ses sources dans la longue tradition littéraire japonaise. Jonglant entre contes, apologues, récits réalistes et satires, l'auteur procède aussi à des expérimentations narratives. « Dans le fourré » en est l'exemple le plus marquant : des narrateurs non fiables y exposent à tour de rôle leur point de vue sur un crime qui les a impliqués, et seule l'irruption du fantastique permettra de dévoiler la vérité parmi les mensonges des vivants... À moins que les morts ne mentent eux aussi ?

De fait, Akutagawa pose un regard acerbe et désabusé sur l'âme humaine, comme l'illustrent à la perfection l'immoralité de la nouvelle éponyme, ainsi que le récit swiftien des Kapas, créatures mi-hommes mi-tortues dont le comportement singe celui de l'homme, avec une part de naïveté qui rend leurs travers plus touchants, et pousse le héros à les préférer à ses semblables.

Ce pessimisme n'est pas dépourvu d'images saisissantes. Ainsi l'horreur décadente des « Figures infernales » transparaît-elle dans des descriptions en forme de tableaux empreints de perversion, mise en abyme de l'oeuvre du personnage principal, un artiste tout feu tout flammes qui laisse sa passion l'emporter trop loin, hors du cadre de son paravent. Mais les autres textes chatoient d'un éventail chromatique parfois très différent. Avec « Les vieux jours du vénérable Susanoo », les couleurs du brasier se déposent avec plus d'humour et d'optimisme dans le paysage insulaire d'un Japon mythique, où une divinité acariâtre tente par tous les moyens d'assassiner son gendre. Et si « Le fil d'araignée » reprend la figure de l'enfer (relié au ciel bouddhiste par un lien soyeux) c'est pour y adjoindre une moralité, qui met en avant l'altruisme et l'humilité. Dans le même ordre d'idée, « Le Nez » suggère qu'il vaut mieux se satisfaire de son sort… ce qui n'est pas toujours facile quant on est affublé d'un pif à la Cyrano. Et comme on sait depuis Gogol qu'un nez peut changer de forme, on se prend à rêver…

Les multiples variations de tons et de sujets qui caractérisent ce livre semblent impulsés par les changements d'humeur d'Akutagawa, en apparence aussi subits que ceux du héros de Rashōmon. « Je n'ai pas de principes, je n'ai que des nerfs », disait notre auteur. Des nerfs sensibles, si l'on considère la variété des formes d'expression et de fiction que l'auteur rechercha pour les laisser s'exprimer, à la recherche de « L'illumination créatrice » qu'une simple parole d'enfant peut provoquer.
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Sakuhin-shu
Traduction & introduction : Arimasa Mori

La présente édition est une intégrale, contrairement au petit volume Folio qui lui, ne comporte que quatre nouvelles sur les quinze qui composent le manuscrit originel.

Comme toujours dans un recueil de ce type, certains récits parlent au lecteur de façon plus directe que d'autres. En ce qui me concerne, voici mon palmarès par ordre de préférence décroissant : "Le Nez - le Mouchoir - Chasteté d'Otomi - Les Kappa - Villa Genkaku - Dans le Fourré - Figures Infernales."

Au fil de ses contes, Akutagawa mêle les récits remontant au Japon féodal et les histoires contemporaines. La nouvelle "Les Kappa" est à part car on peut la voir comme une réflexion à la Jonathan Swift émise par l'auteur sur le monde dans lequel il évolue : le narrateur, à la suite d'une chute dans un trou, tombe dans un monde parallèle, celui des Kappa, peuple mi-batracien, mi-humain, chez qui il va résider quelque temps. S'en suit toute une série de digressions des plus intéressantes, mettant en parallèle les valeurs humaines (et spécialement japonaises) et les valeurs kappa. Lorsque notre narrateur retourne dans son monde, on le prend pour un fou et il finit dans un asile d'où il ne désespère pas de s'enfuir pour rejoindre le monde des Kappa qui, désormais, lui manque ...

Finesse et ironie sont les armes favorites d'Akutagawa. Avec elles, il parvient à faire sourire mainte et mainte fois son lecteur alors que, pour peu qu'on analyse la trame des histoires, on s'aperçoit qu'il n'y en a pas une seule qui ne soit tissée de tristesse.

Dans "Figures Infernales", fondée sur le terrible sacrifice consenti par un peintre pour atteindre à la perfection de son art, ou dans "Le Fil d'Araignée", qui met en scène un damné auquel le Bouddha offre une chance qu'il gâche par égoïsme, sans oublier "Ogin", où une famille de Japonais christianisés renonce à "Deus" devant les flammes du bûcher, nous plongeons dans le drame le plus noir, mais avec un élément fantastique que, en dépit du discours de l'Ombre, ne joue pas un rôle si important "Dans le Fourré."

"Chasteté d'Otomi" - en temps de guerre, une jeune femme risque de se faire violer pour préserver la vie d'un chat - "Villa Genkaku" - récit des conséquences de l'adultère d'un mari désormais mourant sur toute une famille - et le superbe "Mouchoir", où l'auteur oppose avec subtilité les coutumes japonaises et les coutumes occidentales, ne seraient pas déplacés dans une anthologie où trôneraient également Tchékhov et Mansfield. Petite touches à peine visibles, demi-teintes, silences qui disent tout, temps suspendu l'espace de quelques secondes primordiales ... : ce sont de vraies merveilles.

Quant au "Nez", où un moine affligé d'un appendice nasal encombrant parvient à se le faire réduire pour regretter ensuite le temps où ce nez le rendait "anormal", c'est, à mon avis, le joyau le plus étincelant de cet écrin serti de nouvelles qu'est "Rashômon." Et même si je ne vous ai pas parlé de celle qui a donné son titre au recueil ni encore de quelques autres, vous auriez bien tort de supposer qu'elles ne valent pas qu'on s'y arrête. Lisez Akutagawa : c'était un conteur de génie.
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Ryūnosuke AKUTAGAWA est un écrivain japonais du début du XXème siècle. Mort à 35 ans, il n'écrivit jamais de longs romans, mais se fit une spécialité de l'écriture de nouvelles inspirées de contes anciens. Doté d'une immense culture, son oeuvre rend hommage à la tradition japonaise et rend compte du choc que constitue la rencontre entre les civilisations orientales et occidentales pendant l'ère Meiji (entre 1868 et 1912), lesquelles s'étaient ignorées pendant des siècles.

En France il est indirectement connu pour l'adaptation cinématographique de sa nouvelle Dans le fourré par Akira Kurosawa sous le titre Rashômon. Elle est bien entendue incluse dans le recueil Rashômon et autres contes qui compte quinze nouvelles publiées entre 1915 et 1927, dont nombre de petits bijoux littéraires.

Figures infernales (1918) est un récit sur la réalisation de son chef d'oeuvre par un peintre si arrogant que le prix à payer importe peu. C'est tout simplement magnifique.

Le nez (1916) est une farce autour d'un aumônier affublé d'un nez surdimensionné. Las de cette diformité il ne pense qu'au moyen de le racourcir. Court et extrêmement bien construit, le texte ne manquera de faire réfléchir sur la dictature de l'apparence. Et pourtant il a été écrit il y a près d'un siècle...

Contrairement à ce que peut suggérer son titre, Rashômon (1915) n'est pas le texte qui a inspiré le célèbre film de Kurosawa, si ce n'est pour son cadre. Il s'agit en revanche d'un récit très fort sur la relation intime entre le mal et la pauvreté.

C'est Dans le fourré (1921) qui est l'inspiration première du film de Kurosawa. Il s'agit d'un récit à sept voix qui envisagent chacune à leur manière la mort violente d'un homme. C'est un texte sur les apparences et la perception que chacun peut en avoir. C'est tout simplement brillant.

Gruau d'ignames (1916) est une nouvelle farce autour d'un homme qui est la risée de tous et qui ne rêve que d'être rassasié de gruau d'ignames. Dans le même esprit que le nez, le texte est bien plus riche qu'il n'y paraît de prime abord, montrant comment la simple libération d'une gourmandise peut libérer un homme de tous ses travers.

Les vieux jours du vénérable Susanoo (1920) est un conte mythologique mettant en scène un dieu orgueilleux qui ne parvient toutefois pas à empêcher sa fille de tomber amoureuse de l'homme qui parvient à déjouer tous les pièges que lui tend la jalouse divinité. Vaincu il reconnaît enfin ses torts, lesquels l'ont empêché d'être pleinement heureux tout au long de sa vie.

Autre conte mythologique, le fil d'araignée (1918) met en scène le Bouddha Çakyamouni qui, par compassion, souhaite racheter des rivières de sang de l'Enfer un voleur qui, dans le passé, a montré lui-même de la compassion pour une araignée.

Le martyr (1918) évoque l'évangélisation du Japon au XVIe siècle par le biais d'une parabole sur la réalité et les apparences. Moins exotique pour le lecteur occidental, le texte n'en est pas moins émouvant.

Autre texte d'inspiration chrétienne, le rapport d'Ogata Ryôsai(1916) est celui d'un médecin peu charitable envers les chrétiens mais qui fait l'expérience de la force de cette foie.

Cette foie est mise à mal dans Ogin (1922), récit très dur sur les persécutions subies par les adeptes de la nouvelle religion.

L'illumination créatrice (1917) est un texte brillant sur les réflexions intimes que se fait un écrivain sur son art face aux critiques, positives ou négatives, de ses lecteurs. Sa part autobiographique est d'autant plus poignante après la lecture de l'introduction de ce recueil, qui explique notamment la tragédie que fut la vie d'AKUTAGAWA Ryûnosuke.

Chasteté d'Otomi (1922) est le récit étrange d'une rencontre entre une servante loyale, un clochard et un chat à la veille d'une bataille. C est à la fois déconcertant et très beau.

Avec Villa Genkaku (1927) on entre dans une époque plus contemporaine par le biais d'un drame familial des plus sordide.

Le Mouchoir (1916) met en scène un professeur de droit qui apprend la mort d'un de ces étudiants par la mère de celui-ci. On retrouve ici le thème de l'apparence et de la réalité. Même si le texte est moins percutant que d'autres sur la même thématique, l'exercice de style est brillant.

Les Kappa (1927) est une nouvelle dans l'esprit des Voyages de Gulliver de Jonathan SWIFT. Un homme interné y raconte son séjour dans le monde des Kappa, étranges petites créatures humanoïdes au sourire malicieux. Comme son illustre modèle, il s'agit d'un récit d'une finesse rare.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Tous ces personnages, dans les tourbillons de flammes et de fumées, en proie aux tortures infligées par les geôliers infernaux à tête de bœuf ou de cheval, fuyaient en tous sens, telles des feuilles mortes dispersées par une bourrasque. Ces femmes plus recroquevillées que des araignées, dont les cheveux s'enroulaient autour des dents d'une fourche, figuraient-elles des sorcières ? Cet homme, la tête en bas comme une chauve-souris au repos, la poitrine perforée par une lance; n'était-il pas quelque jeune gouverneur de province ? Et ces innombrables damnés, flagellés de fouets de fer, écrasés par un rocher que mille hommes auraient du mal à mouvoir, déchirés par de monstrueux oiseaux, mordus par les mâchoires d'un dragon venimeux... Autant de tortures que de réprouvés.
Mais ce qui surpassait en horreur toutes ces atrocités, c'était, accrochant le sommet d'un arbre en forme de défense de bête féroce (aux branches de cet arbre, tout garni de sabres, on voyait de nombreux trépassés transpercés de part en part), un char qui tombait en plein ciel. Soulevé au vent infernal, le store du char laissait voir à l'intérieur une dame de cour vêtue d'un habit si magnifique qu'on l'eût prise pour une impératrice ou une concubine impériale, et dont la longue chevelure noire flottait au gré des flammes, et qui se tordait, la tête renversée. Son visage tourmenté, le char embrasé, tout peignait le suprême degré de la souffrance dans les flammes de la damnation. On peut dire que toutes les horreurs répandues sure le vaste Paravent servait de fond à ce seul personnage. La puissance d'inspiration qui animait cette peinture était telle qu'à la voir on croyait entendre les hurlements même de l'Enfer.
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On disait que cette usine produisait annuellement sept million d'exemplaires. Ce chiffre cependant ne me surprit pas. Ce qui me surprit c'est le fait que, pour une telle production, il ne fallait presque pas de main-d'œuvre. Car pour fabriquer ces livres, il suffisait de mettre dans la gueule en forme d'entonnoir d'une machine, du papier, de l'encre et de la matière grise en poudre. Ces matières premières une fois introduites, il n'y avait pas à attendre cinq minutes pour en voir sortir d'innombrables livres de formats divers : in-octavo, in-douze, in-seize... Regardant des livres tombés en cataracte, je demandais à l'ingénieur kappa planté là, bombant le torse, quelle était cette poudre grise. Immobile, devant la machine noire et luisante, il me répondit d'une voix morne : 

- Ceci ? C'est de la cervelle d'âne. On la dessèche et on la pulvérise grossièrement. Le prix de revient en est de deux ou trois centimes la tonne.

Il est évident que de tels miracles industriels ne se limitaient pas à la fabrication de livres.
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[...] ... A ces mots de Paravent des Figures Infernales, il me semble que l'aspect terrifiant de cette peinture s'impose immédiatement. Des scènes de l'Enfer, il en est d'autres. Mais les toiles de Yoshihidé différaient par leur composition de celles de ses collègues. Les Dix Rois et leur suites étaient relégués, rapetissés, dans un coin du Paravent, et dans tout l'espace libre tourbillonnaient des flammes puissantes au point de roussir le Mont des Glaives et les Arbres hérissés de sabres. De sorte que, hormis les robes jaunes et bleues à la chinoise des suppôts de l'Enfer çà et là dispersés, les langues de feu impétueuses remplissaient tout l'espace dans lequel dansaient avec furie, en forme de swastika, des fumées noires tracées en éclaboussures d'encre et des étincelles de feu projetées en poudre dorée.

Cela seul, par sa puissance évocatrice, aurait suffi à frapper les yeux. Enfin, il n'y avait pas un damné à se contorsionner dans cette géhenne qui eût rien de commun avec ceux des habituelles Figures Infernales. La raison en est qu'en ces multitudes de damnés, Yoshihidé avait représenté des hommes de toutes conditions depuis les courtisans jusqu'aux mendiants, jusqu'aux réprouvés : grands officiers de la Cour, dans leurs impeccables robes de cérémonie, séduisantes dames d'honneur dans leurs robes à cinq plis, récitants avec leurs chapelets au cou, jeunes guerriers à hautes chaussures en bois, fillettes minces dans leur longue robe, devins portant la bandelette sacrée à la main ... il n'est pas possible de les énumérer tous. ... [...]
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[...] ... Ainsi qu'il [le héros de la nouvelle, toujours dénommé soit "l'homme", soit "il"] l'avait entendu dire, les cadavres négligemment jetés jonchaient le sol. Mais, le champ de la lumière étant plus étroit qu'il ne l'avait imaginé, il n'arriva pas à en préciser le nombre. Il pouvait seulement distinguer, sous la faible lumière, des corps nus et d'autres encore vêtus. Il y avait des hommes et des femmes, semblait-il. Tous ces cadavres, sans exception, gisaient sur le plancher, à la manière de poupées en terre, bouches bées, bras allongés. Qui y reconnaîtrait des êtres vivants d'hier ! Certaines parties proéminentes de ces corps, comme les épaules ou la poitrine, éclairées par de vagues lueurs, rendaient le reste plus sombre encore. Ils étaient ainsi comme figés dans un mutisme implacable.

A l'odeur de pourriture, l'homme se boucha instinctivement le nez de sa main, qu'il laissa vite retomber. Car une sensation plus forte vint presque abolir son odorat.

C'est qu'à cet instant ses yeux venaient de discerner une forme accroupie au milieu des cadavres. ... [...]
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[...] ... CONFESSION D'UNE FEMME VENUE AU TEMPLE DE KIYOMIZU

Après m'avoir violentée, cet homme à la robe de chasse bleu foncé ricana sous les yeux de mon époux qui était ligoté. Oh ! comme mon mari a dû lui en vouloir ! Mais ses contorsions ne faisaient qu'enfoncer encore dans sa chair la corde qui le retenait. Instinctivement, j'ai couru, non, j'ai voulu courir de toutes mes forces vers mon mari. Le brigand, sans me laisser le temps de le faire, m'a donné un coup de pied et je suis tombée. A cet instant même, j'ai vu un étrange éclair passer dans les yeux de mon mari. Vraiment étrange ... Ce regard, maintenant encore, chaque fois que je me le rappelle, me fait tressaillir. Ne pouvant me dire le moindre mot, mon mari a enfermé dans son bref regard tout ce qu'il ressentait. Ce qui étincelait dans ses yeux, ce n'était ni de la colère, ni de la tristesse. Etait-ce autre chose qu'une lueur glaciale de mépris ? Frappée plus fortement par ce regard que par le coup de pied du malfaiteur, j'ai inconsciemment crié quelque chose et je me suis évanouie. ... [...]
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Videos de Ryûnosuke Akutagawa (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ryûnosuke Akutagawa
« […] Akutagawa Ryunosuke (1892-1927) tenait cette nouvelle pour l'une des oeuvres les plus fortes de Shiga Naoya (1883-1971). […] Tout en usant de mots familiers réussir à donner une pareille sensation de transparence, voilà ce qui dans tout texte, à quelque genre qu'il appartienne, importe au plus haut point. […] Une telle forme d'écriture dédaigne la fleur pour obtenir le fruit : par la simplicité même, elle accède à l'essentiel comme aucun mode d'expression de la vie quotidienne ne le pourrait. […] » (Junichiro Tanizaki [1886-1965])
« […] Sa légèreté n'est qu'apparente. Elle recèle une puissance insoupçonnée. Ainsi de ces variations de Chopin, subtiles, presque imperceptibles, qui résonnent en nous, se propagent jusqu'au fond de nos entrailles comme la douleur d'une dent. […] » (Hideo Kobayashi [1902-1983])
« […] l'originalité de Shiga Naoya tient au fait que jamais dans aucune de ses nouvelles il ne se laisse aller à l'analyse psychologique de son personnage principal. Il le présente seulement comme un homme qui lutte pour essayer d'établir des relations humaines rationnelles dans le monde qui l'entoure. le personnage apparaît si profondément hanté par cette quête que Shiga Naoya ne s'attarde pas à une étude de son caractère. […] » (Sei Ito [1905-1969])
« […] En janvier 1913 paraît un premier recueil de nouvelles, dédié à sa grand-mère. le 5 août de cette même année, Shiga Naoya est renversé par un train de la ligne Yamanote. Il est grièvement blessé et doit se faire hospitaliser. Il écrit en septembre la nouvelle Han no hanzaï (Le crime de Han) puis, en octobre, part en convalescence à Kinosaki. […] L'une de ses plus belles nouvelles, Wakaï (Réconciliation) […] est publiée en 1917, peu de temps après Kinosaki nite (Le séjour à Kinosaki). […] »
17:55 - Générique
Référence bibliographique : Naoya Shiga, le séjour à Kinosaki suivi de le crime de Han, traduit par Pascal Hervieu et Alain Gouvret, Éditions Arfuyen, 1986
Image d'illustration : Autoportrait de Shiga Naoya daté de septembre 1912.
Bande sonore originale : P C III - O UT O UT by P C III is licensed under an Attribution License.
Site : https://freemusicarchive.org/music/P_C_III/O_UT_1733/O_UT
#NaoyaShiga #LeSéjourÀKinosaki #LittératureJaponaise
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