Le premier témoignage m'a déjà foutu par terre : c'était celui de l'épouse d'un des pompiers envoyés sur la catastrophe au tout début.
On les a appelés pour un incendie, ils sont partis le coeur tranquille, pensant n'avoir affaire qu'à un simple feu qu'ils maîtriseraient facilement. Il n'en était rien, mais ils ne le savaient point.
Partis sans protection, ils revinrent ensuite sous totale contamination.
Quatorze jours, c'est le délai maximum de votre existence après avoir été soumis à des radiations comme ils le furent.
L'épouse d'un est allée à l'hôpital, s'est occupée de son mari, qui avait été transformé en mini centrale nucléaire. La dégradation du corps est horrible. Son amour était immense, peu de femmes seraient restées auprès de leur mari. Hélas, le prix à payer était le plus fort. L'épouse était enceinte de 6 mois… Je n'en dirai pas plus.
Ce roman est composé de multiples témoignages, que ce soit ceux des habitants, des soldats, des liquidateurs, des témoins, des déplacés… Tous ces témoignages sont ceux et celles des suppliciées de Tchernobyl.
Ceci n'est pas une fiction, rien n'est romancé, ce sont des témoignages bruts. Les gens racontent, se souviennent et chaque récit semble plus glaçant que le précédent.
Ces villages vidés de tous leurs habitants, où sont resté uniquement les animaux domestiques. Tous ces gens qui pensaient revenir ensuite et qui sont parti avec le minimum…
Certains sont revenus, en douce, pour cultiver leur jardin, reprendre leurs affaires, ou pour voler ce que les militaires enterraient, les objets contaminés… Sans penser qu'ils allaient se contaminer encore plus.
Les dirigeants ont sacrifié les populations et les liquidateurs envoyés sur le toit pour enlever le graphite, sans protection.
Parfois, on leur en donnait, mais puisque les chefs minimisaient les effets et payaient bien, les hommes y sont allés, le coeur léger, les tire-au-flanc étant très mal vu, chez eux. Ils avaient une autre mentalité, ils servaient la patrie, ils obéissaient et surtout, la vodka coulait à flot, alors, il ne pouvait rien leur arriver de grave !
Avec le recul et les maladies arrivant, bien des soldats ou des liquidateurs, comprendront les risques qu'on leur a fait prendre au mépris de tout danger. Les roubles qu'on leur donnait en plus, les salaires triples, ne valaient pas les conséquences qu'ils ont subies ensuite.
Il fallait ne rien dire, mettre une chape de plomb sur l'incident (un incident, rien de plus) et brosser les merdes sous les tapis. C'est ce qu'ils ont fait et on devrait les en remercier, car ils ont pris des risques énormes pour les autres.
Le problème étant que la radioactivité, ça ne se voit pas, ça n'a pas d'odeur, alors, comment y croire ? Comment arriver à comprendre qu'il ne faut pas manger les fruits de son verger, cultiver sa terre ou boire le lait de sa vache ?
Les différents témoignages sont bouleversants, ils sont bruts de décoffrage, ils expriment la souffrance, l'incompréhension, les départs pour d'autres lieux, la perte de tout, ainsi que l'exclusion par les autres, puisqu'ils venaient de la zone.
Durant ma lecture, l'émotion m'a souvent submergée, me forçant à faire des pauses et à lire autre chose, afin de ne pas sombrer totalement.
Ceci n'est pas un roman, ni une fiction, ce sont des portraits de gens réels, de personnes fracassées, arrachées à leurs terres, à leurs vies. Des gens que l'on a sacrifiés, des vies que l'on a considérées comme sans valeur. Des victimes à qui on a jamais donné la parole.
Ce sont aussi des soldats (liquidateurs) qui ont été envoyés en première ligne, sans connaître vraiment les risques et certains, même en les connaissant, on tout donné, afin d'épargner des vies. Des liquidateurs qui ne savaient pas qu'ils étaient déjà morts, à force de respirer et de manger des röntgens.
Dame Ida va encore me traiter de "Glauque-trotter" et elle n'aura pas tort…
Pourtant, je ne regrette pas d'avoir osé lire ce recueil de témoignages afin de savoir, de rendre un hommage silencieux à ces femmes, à ces hommes, ces enfants, morts ou déplacés, ces gens à qui on n'a rien voulu dire. À ces gens dont on ne parle jamais.
Et puis, malgré le fait que j'avais 10 ans lors de la catastrophe, il ne m'en restait aucun souvenir, comme si ma mémoire avait tout oublié. On ne peut pas oublier.
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