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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un essai sur les suites de la catastrophe de Tchernobyl, un essai sur l'humain, sur ses sentiments et ses ressentiments.
Un essai coup de poing...
Il faut avouer que pour moi, et pour beaucoup de personnes, Tchernobyl est une catastrophe nucléaire arrivée en Russie en 1986 (j'avais 15 ans). Aujourd'hui, cela est un évènement historique sans vraiment de liens avec notre vie actuelle, à nous français, avec notre petite vie tranquille de consommateurs du XIXème siècle.
Je me souviens à l'époque des reportages d'informations à ce sujet, de ce nuage radioactif qui n'a, semble-t-il, pas passé la frontière française ! Ou si peu...!!!
Aujourd'hui, c'est de l'histoire ancienne. Lorsqu'on entend parler de cet événement, ce sont des chiffres qui ressortent. Des chiffres expliquant les gens déplacés, les chiffres expliquand ce qui a été fait à l'époque au niveau technique, quelques chiffres sur les morts et les malades, le dôme protecteur construit peu après et celui 20 ans plus tard.
Ici, l'auteur partage les témoignages d'hommes et de femmes, qu'ils soient paysans, professeurs, médecins, physiciens.. mais qui ont vécu au plus près cette catastrophe.
Ce qui en ressort est un méli-mélo de sentiments : la peur, l'incompréhension, la crédulité, le désespoir, le fatalisme... mais aussi la survie, la foi. Chaque témoignage rapproche cet accident à la guerre.
Il ne faut pas oublier que c'est arrivé en Biello-Russie, sous un système politique communiste. J'avoue ne pas trop m'y connaître en histoire politique. Ce que j'ai ressenti est qu'il y a eu beaucoup d'acceptations dans les décisions prises. Cette acceptation est due à la culture, à la politique, à l'histoire de ce pays. Ce qui ressort aussi, c'est le désir du retour à une vie normale, le retour à leur lieu de vie.
Dans ce livre, pas de jugements sur les évènements et les causes. C'est arrivé. Chacun tente de vivre ensuite...
Ce livre n'apporte pas de réponse. Cela reste une catastrophe écologique, environnementale et humaine qui perdurera sur des décennies.
Comment cela se passerait-il aujourd'hui ? Que ce soit en Russie ou dans un autre pays ? Y aurait-il autant de mensonge ? le mensonge est-il justifiable pour que le peuple ne panique pas ? Car finalement la panique ne résoudrait absolument rien. Quelle serait la solution ? Y-a-t-il seulement une solution ?
Au final, plus de questions m'assaillent maintenant que j'ai refermé ce livre. Et je pense sincèrement qu'il n'y a pas de bonnes réponses...
A lire, pour ne pas oublier que des milliers de vies humaines ont été bouleversées à tout jamais, et des générations à suivre qui seront tout autant bouleversées, ceci dans un oubli international...
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Dans cet essai/témoignage Svetlana Alexievitch a donné la parole aux voix solitaires qui ont besoin de se souvenir, qui parlent aux vivants mais aussi aux morts.
Les différents monologues sont des moments d'introspection parfois très dérangeants, semblables à une thérapie pour extirper des mots d'horreur, des témoignages glaçants, de dégâts innommables.
Mais étonnamment il y a autant d'amour que d'horreur dans la profondeur de ces déclarations de la part de ceux qui ont côtoyé de près la mort et qui savent ce qu'ils ont perdu.

Dans ce recueil de confessions post-apocalyptiques, l'auteure biélorusse y mêle également des souvenirs de guerre, car pour les victimes toutes les tragédies se ressemblent.

Toutes les catastrophes ont cette double facette de servir à montrer la vraie nature des gens car la mécanique du mal fonctionne même en temps d'apocalypse.

Certains témoins se posent la question de savoir qui sont les coupables de cette gigantesque catastrophe technologique ?

Il en ressort une constatation assez alarmante sur le peuple russe, ukrainien et biélorusse et l'éducation militaire qu'ils ont reçue.
La vie humaine a un prix très bas dans la vision des dirigeants, il existe une sorte de fatalisme asiatique qui fait que les gens acceptent leur sort, aussi tragique soit-il.
Les hommes sont élevés comme des soldats, mobilisés en permanence, toujours prêts à faire l'impossible.
Toute l'énergie est investie dans le processus de survie.
Nourris par la propagande qui propose la mort comme un moyen de donner un sens à la vie, beaucoup succombent à une sorte de fatalisme primitif.

Pourquoi les gens ont gardé le silence quand ils savaient quelle était la dimension de la catastrophe ?

Beaucoup ont obéi sans murmurer à cause de la discipline du parti communiste.
Tous ont accepté d'aller en mission dans la zone catastrophée, par peur d'être exclus, ou parce qu'on leur a promis des primes exceptionnelles.

C'est un livre dur, éprouvant à la lecture et parfois surréaliste.
On repère entre les lignes des bribes intimes, de petites voix qui tentent de se faire entendre de très loin, de manière bouleversante.

Radiations, cancers, aliénations mentales, malformations et mutations génétiques, les enfants de Tchernobyl ont vu leur formule sanguine changer et ont ainsi une autre perspective de la mort.
Ces témoignages bouleversants nous clouent sur place et ouvrent une faille dans la compréhension des dangers auxquels nous sommes tous exposés.

Svetlana Alexievitch a reçu le prix Nobel de littérature 2015 pour "son oeuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque".

Notre devoir de mémoire consiste aussi à garder les yeux ouverts sur ces inhumanités auxquelles on ne doit pas s'habituer.



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Il y a quelques mois, Svetlana Alexievtich a reçu le prix Nobel de littérature pour «ses écrits polyphoniques, hommages à la souffrance et au courage de notre temps».

On ne connaissait pas du tout l'écrivaine biélorusse, journaliste de formation, avant ce prix, mais cela a été l'occasion de la découvrir ce qu'on a fait avec la Supplication, un de ces essais réédités par JC Lattès dans la foulée de son prix et voici ce que Michel a pensé de cet état des lieux du monde de Tchernobyl quelques années après la catastrophe de 1986:

Etat des lieux du monde de Tchernobyl quelques années après la catastrophe du 26 avril 1986, Svetlana Alexievitch fait un devoir de mémoire en rencontrant des hommes et des femmes de Tchernobyl. Chaque témoignage d'acteur direct ou indirect est important et gravé à tout jamais pour faire connaitre et se rappeler la souffrance, la peur et le sacrifice des peuples Biélorusse et Ukrainien.

Tchernobyl a tout empoisonné, l'air, la terre, les corps. La catastrophe a créé un isolement humain et broyé l'avenir.

Chaque témoignage est poignant, vrai, insupportable car Svetlana Alexievitch laisse parler des hommes et des femmes qui ouvrent leur coeur.

Un père explique qu'il est devenu aux yeux du monde « un homme de Tchernobyl » qui a perdu sa ville et sa vie.

Témoignages des compagnes des premiers pompiers arrivés sur les lieux et descriptions crues de la fin de vie de ces hommes sacrifiés, témoignages de scientifiques ou de politique complètement dépassés. Surtout que l'on n'oublie pas.

Comme Primo Levi, Soljenitsyne ou Claude Lanzman, avec ce récit, Svetlana Alexievitch réussit à nous faire entendre l'indicible en donnant la parole aux suppliciés de Tchernobyl. Ecrivain et journaliste biélorusse, elle a reçu le prix Nobel de littérature en 2015, les éditions Lattès réédite « La Supplication » paru en France en 1998. Indispensable.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Svetlana Alexievitch est une journaliste et écrivain biélorusse. Nous connaissons assez mal la Biélorussie, petit pays devenu indépendant en 1990 avec l'effondrement de l'URSS. Pourtant, le 26 avril 1986, la Biélorussie est durement frappée par la catastrophe de Tchernobyl. La centrale ukrainienne déverse sa radioactivité dans toute la région et, le nuage ne s'arrêtant bien sûr pas à la frontière, la Biélorussie reçoit 70 % des retombées radioactives.
Dix ans plus tard, Svetlana Alexievitch a mené l'enquête auprès des rescapés et des survivants. Son livre est la juxtaposition des témoignages – tous poignants – formulés directement par les personnes interrogées ayant vécu de près les événements : les liquidateurs, les femmes des liquidateurs, les enfants, les paysans, les militaires, les scientifiques, les politiques…
Ce livre n'est ni une tentative d'explication, ni le récit de la catastrophe. Vous n'y trouverez ni la chronologie des événements, des décisions ou des erreurs commises, ni les chiffres de la catastrophe, ni les théories scientifiques ou les dossiers techniques décryptant l'accident et ses conséquences.
Cet essai est centré sur l'humain. Svetlana Alexievitch donne la parole aux victimes. On pense à ces reportages vus à la télévision, où les témoins parlent tour à tour, se souviennent et racontent, sans que l'on devine la présence de la journaliste qui n'intervient pas. On imagine ces témoins assis à la table de leur cuisine, dans leur salon ou sur leur lit d'hôpital, répondant aux questions posées.
Fidèle à cette méthode, Svetlana Alexievitch n'expose aucune analyse ou conclusion, c'est donc bien au lecteur de se faire sa propre opinion : sur les failles d'un système, sur la désinformation, sur le manque de transparence, sur la corruption des uns et l'héroïsme des autres.
L'Europe a failli être totalement inhabitable si l'explosion nucléaire avait eu lieu (car elle n'a pas eu lieu, grâce au sacrifice des liquidateurs). Svetlana Alexievitch ne tire aucune leçon, n'élabore aucune théorie… ce qui donne envie d'en savoir plus ! Où en est-on aujourd'hui ? Va-t-on enfin construire le nouveau sarcophage au dessus du réacteur (l'ancien étant en train de s'effondrer) ? Et pourquoi nul ne sait vraiment ce qui se passe en ce moment même, à des milliers de kilomètres de là, du côté de Fukushima ?
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Prix Nobel 2015, Svetlana Alexievitch se donne le mandat, dans La Supplication, de parler non pas de Tchernobyl mais, dit-elle, « du monde de Tchernobyl », de « reconstituer les sentiments, et non les événements. » Présenté sous la forme de monologues, un choeur polyphonique se donne à entendre, se trouvant à éclairer toutes les facettes de cette tragédie telle qu'elle apparaît dans la conscience collective des gens qui l'ont éprouvée : hommes et femmes; enfants, adultes et personnes âgées; pompiers, soldats, liquidateurs, scientifiques, médecins, professeurs; résidents non autorisés, personnes délocalisées… Cela donne pour finir un terrifiant condensé de drames humains, qui enrage tout autant qu'il fascine, la représentation d'une expérience impossible à internaliser psychologiquement, faute de précédents. Oublier ou se souvenir, se demandent les survivants ? Un ouvrage bouleversant…
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"Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl" , prévient l'auteure.

Svetlana Alexievitch laisse la parole aux anonymes. Ce qu'ils ont à dire édifie. L'Evènement, raconté par plusieurs, devient l'histoire. Journalistes, ingénieurs, responsables du parti, voisines, parents, chasseurs, enseignants, ils complètent un puzzle qui commence joliment :
"Certains faisaient des dizaines de kilomètres en bicyclette ou en voiture pour voir cela. Nous ignorions que la mort pouvait être aussi belle." - "Savez-vous, demandait l'académicien, père de la bombe H soviétique, qu'après une explosion atomique, il y a une fraîche odeur d'ozone, qui sent si bon ?" Tchernobyl commence comme Suite française, d'Irène Nemirovsky. On regarde derrière les fenêtres l'arrivée de l'occupant. de prime abord, il semble civilisé, distingué et charmant. Il y a une esthétique de la guerre et une beauté du Diable.

Tchernobyl est une guerre. "Les monuments de Tchernobyl ressemblent à des monuments de guerre." Les souvenirs de Tchernobyl sont des souvenirs de guerre.

Au premier plan, les héros et les Justes : "Les visages des premiers pompiers, noirs comme du charbon. Et leurs yeux... Les yeux de gens qui savent qu'ils nous quittent..." - "Une femme faisait partie de notre groupe. Elle était radiologue. Elle a eu une crise d'hystérie quand elle a vu des enfants jouer dans le sable."
Puis viennent les victimes innocentes : "Maman, est ce que je meurs déjà ?", demande une enfant.

En second rideau, derrière le front, les einsatzgruppen nettoient le terrain repris : "Il vaut mieux tuer de loin, pour ne pas supporter leur regard." - "Nous n'avions plus de balles, alors nous l'avons repoussé dans la fosse et l'on a jeté de la terre par dessus. Je le regrette encore à ce jour."

Les menaces pour obtenir la collaboration : " - Les volontaires iront sur le toit et les autres chez le procureur."
Les promesses : "On disait que la peine encourue était de deux ou trois ans. En revanche, si le soldat chopait plus de vingt cinq röntgens, c'est le commandant qui allait en taule."
Les profiteurs : "Je sais que l'on a volé et sorti de la zone contaminée tout ce qui était transportable. En fait, c'est la zone elle-même que l'on a transportée ici. "

Les justifications des responsables et des sachants : "Dans les meetings, on exigeait la vérité ! Mais c'est mauvais, très mauvais ! Nous allons tous bientôt mourir ! Qui a besoin d'une telle vérité ?" - "Nous avions l'habitude de croire." - "Dès que l'on perd la foi, on n'est plus un participant, on devient un complice et l'on perd toute justification."

Les culpabilités : """J'ai compris plus tard, quelques années plus tard, que nous avions tous participé... A un crime... A un complot."""

Un vocabulaire de guerre ; des traumatismes de guerre. Tchernobyl est un ennemi aussi traumatisant que le nazisme.

"J'ai regardé très loin. Peut être plus loin que la mort." dit la femme d'un irradié dont le visage se décompose.

Tchernobyl est un conflit jeté à la face de l'humanité. Par ses héroïsmes individuels, ses sacrifices volontaires ou non, consentis en tous cas par le froid calcul de la multitude, l'homme a gagné. Tous les hommes.

La supplication est le journal d'une guerre que l'homme a menée contre un Autre (l'Anderer) nommé Tchernobyl.
Tchernobyl, sublimé, n'est plus l'oeuvre de l'homme. Il est seul coupable de lui même.
Le bien a triomphé du mal. Un peu malgré lui. Tchernobyl est un mythe.

"""A part nous, personne ne sait ce qui s'est vraiment passé là bas. Nous n'avons pas tout compris, mais nous avons tout vu."""

Un recueil de témoignages irremplaçables.
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Une succession de témoignages des survivants de la catastrophe de Tchernobyl. Un drame nucléaire aux impacts environnementaux sans précédent qui a foudroyé le destin de milliers d'ukrainiens et de biélorusses. L'auteur nous transmet la voix des anonymes qui ont vécu ce cataclysme. Sans artifice, Svetlana Alexievitch réussit ainsi à nous plonger au coeur de ce contexte historique. Un pouvoir qui ne voulait pas ébrécher l'image d'un régime soviétique pourtant déjà agonisant. Nier les évidences jusqu'à l'absurde. Une population pour qui la collectivité passe avant l'individu et qui a une forme d'abnégation soviétique pour devise. La triste actualité du moment rend cette lecture encore plus intéressante. Il est clair que la Russie actuelle renoue avec les manières despotiques de cette Union soviétique disparue et que l'âme des peuples slaves s'est forgée dans les supplices infligés de son histoire. Un ouvrage de mémoire simple et percutant.
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Le pire c'est que je suis sûre que ça se passerait exactement comme ça en vrai.... Ah merde ! Ça s'est passé en vrai justement… Le 26 avril 1986 (j'avais 13 ans, je m'en souviens bien, mes grands-parents polonais étaient catastrophés) un accident sur le réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl a provoqué une réaction nucléaire en chaîne qui a entraîné une très large contamination de l'environnement et une importante vague de décès à plus ou moins long terme du fait des irradiations ou contaminations. Il s'agit du premier accident classé au niveau 7 sur l'échelle internationale des événements nucléaires (INES) et il est considéré comme le plus grave accident nucléaire jamais répertorié (le second étant la catastrophe de Fukushima en mars 2011).
Jamais répertorié jusqu'à maintenant j'ai envie d'ajouter parce que, n'en doutons pas, ça va venir. Bordel, après ça je me demande comment on a pu décider de maintenir ne serait-ce qu'une seule centrale nucléaire en activité où que ce soit dans le monde. Mais bon, en même temps pourquoi je m'étonne ? Il y a tellement d'intérêts supérieurs en jeu, n'est-ce pas ? (Ah ouais, supérieurs à quoi, faudra qu'on m'explique !) On ne peut pas comprendre (nous les quidams), et puis aussi on ne peut pas faire autrement il faut bien se mettre ça dans le crâne, on est obligé d'avoir des centrales, on en a besoin et bla bla blaaaa…
Alors oui, c'est vrai, je le reconnais, je ne comprends pas grand chose à tout ça, les subtilités scientifiques m'échappent totalement mais par contre il y a des chiffres qui font peur même si on ne sait pas trop à quoi ils correspondent : des milliers de tonnes de césium, d'iode, de plomb, de zirconium, de cadmium, de béryllium, de bore et une quantité inconnue de plutonium ; quatre cent cinquante types de radionucléides différents ; quantité égale à trois cent cinquante bombes de Hiroshima ; trois milles microröntgens de l'heure etc etc. Parlez-moi chinois, c'est pareil (mais par contre rien que d'entendre ça, j'ai envie de me balader avec un masque et une combinaison étanche, pas vous ?).
Hélas, je ne suis pas la seule à n'y rien comprendre, bien au contraire. Les gens autour de Tchernobyl, en Ukraine ou en Biélorussie, n'y comprenaient rien non plus. Pareil pour ceux - pompiers, soldats, réservistes - qu'on a envoyé là bas pour nettoyer (pfff, comme si on pouvait laver ou enterrer la radiation…), ces liquidateurs comme on les appelait n'en savaient pas davantage mais ils y allaient puis ils rentraient chez eux avec un diplôme, une médaille ou une prime. Et aussi pour la plupart avec une maladie qui allait finir par les tuer. Mais ça ils ne le savaient pas.
En plus, personne n'a même essayé de leur faire comprendre, au contraire, il ne fallait surtout rien dire, ne pas diffuser d'information, soi-disant pour empêcher la panique, en réalité surtout pour protéger un régime, un parti, un idéal ou que sais-je encore. Ok à l'époque personne ne croyait vraiment à ce qui venait de se passer, pas même les scientifiques, il faut dire qu'il n'y avait aucun précédent, dans le monde entier, aucun élément de comparaison. C'est un fait. Dans la région de Tchernobyl on peut dire que l'âge de l'atome côtoyait l'âge de pierre et que toute une génération de stakhanovistes enthousiastes a été élevée dans l'idée que l'atome pacifique soviétique n'était pas plus dangereux que le charbon, ou la tourbe. Ils avaient des idéaux élevés, ils avaient foi en la victoire, ils pensaient pouvoir vaincre Tchernobyl en l'ignorant, et par-dessus tout, ils avaient plus peur de la colère de leurs supérieurs que de l'atome. Du coup, ils ont détruit ou falsifié des documents (photos, relevés, mesures de radioactivité, bilans médicaux…) et à cause de ça, beaucoup de témoignages ont été perdus - et pour l'histoire, et pour la science. C'est comme une deuxième catastrophe, nier ce qui s'est produit, le minimiser, c'est comme infliger une seconde fois les mêmes souffrances aux mêmes personnes. Tragique. Et ironique aussi quand on pense qu'à l'époque les centrales nucléaires c'était l'avenir, quelle cruelle blague ! En effet maintenant on peut dire que Tchernobyl est une sorte de laboratoire du monde où on peut étudier le futur (et c'est ce qu'on fait) car dans le fond chacun sait qu'à plus ou moins longue échéance nous serons tous des mutants irradiés…

Donc voilà, le livre de Svetlana Alexievitch nous parle de tout ça, mais pas comme ça. Non, elle donne la parole à ceux qu'on n'a pas entendu ou pas écouté et qui ont pourtant des choses à dire sur ce qu'est - du fond des tripes - Tchernobyl. Elle le fait avec respect, avec pudeur, sans chercher de coupable, sans exhiber l'indicible, mais elle le fait, ou plutôt ils le font, ils racontent. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils viennent éteindre l'incendie ou laver les maisons, ils sont évacués sans comprendre pourquoi mais on les ramène quand même pour cultiver les champs, ils s'aiment, ils font des enfants, ils boivent de la vodka et se lavent les mains car on leur a dit que ça suffisait pour stopper les effets de la radiation, ils sont vieux ou pas encore nés, ils sont innocents, ils pensent avoir vécu le pire avec la dernière guerre, ils ont 5 ans et ne connaissent que l'hôpital, ils n'ont pas le droit de manger les pommes de terre de leur jardin mais pourquoi puisqu'on ne voit rien, on ne sent rien, ils accouchent d'enfants difformes, ils traient leurs vaches et le lait est envoyé dans toutes les usines du pays, les veaux malades sont vendus pour pas cher ailleurs, sans qu'on dise d'où ils viennent, ils refusent de croire ceux qui les alertent car on n'a rien annoncé dans les journaux ou à la télé et que quand même, le gouvernement prendrait des mesures si c'était nécessaire, ils tombent malade, des maladies qu'on n'a jamais vu, ils aiment leur pays, leur village, ils n'en ont pas d'autre, ils refusent de partir, ils ne sont plus rien que des Tchernobyliens. Et les Tchernobyliens meurent de la façon la plus horrible…

Désolée c'était un peu long, mais les retombées de cet accident seront plus longues encore (et nous sommes incapables de les prédire toutes) donc accrochez votre cœur et lancez-vous dans cette lecture car une chose est certaine, le nucléaire sûr n'existe pas.
Lien : http://tracesdelire.blogspot..
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Lorsqu'en 1986, Tchernobyl explose, le monde en est définitivement changé mais ne le sait pas encore car le silence prévaudra pendant des années...
10 ans après la catastrophe, Svetlana Alexeievitch entreprend une enquête minutieuse et approfondie auprès des victimes : que s'est il passé autour d'eux ? qu'ont-ils ressenti ? Quelle a été l'attitude des autorités soviétiques ? Avec beaucoup de pudeur, Svetlana Alexeievitch décrypte les conséquences d'un accident qui s'apparente à l'apocalypse sans y apporter de jugement ou d'explication : au lecteur de tirer les conclusions de ces entretiens.
C'est souvent difficile à lire mais c'est néanmoins une lecture indispensable afin que le monde prenne conscience. Et d'ailleurs que sait-on vraiment de Fukushima ?
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Témoigner, c'est le but de la démarche de Svetlana Alexievitch; après La fin de l'homme rouge sur le démantèlement de l'URSS, La supplication rassemble des points de vue, des témoignages, des commentaires de ceux et celles qui ont vécu de près la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Liquidateurs, pompiers, ingénieurs, chimistes, soldats, citoyens, tous parlent à l'auteure, certains avec retenue, d'autres avec frénésie. Émouvant, choquant, révoltant. Les propos sont enrobés de fatalisme, parfois de superstition mais tous possèdent l'accent de la sincérité. Svetlana Alexievitch s'efface devant ses témoins et tend au lecteur un miroir dans lequel se réfléchissent des êtres humains trompés par leur gouvernement et bernés par la science de l'atome. Un constat très dur mais nécessaire pour la compréhension de notre environnement.
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