Il y a de bonnes et de mauvaises raisons de faire la critique d'un livre.
Parmi les bonnes raisons, je dirais que ce livre n'ayant eu jusqu'à présent aucune critique, il est temps d'en adjoindre une ; car tout livre bon ou mauvais le mérite. Parmi les mauvaises, je mettrai en avant la drôlerie du titre qui m'a donné envie d'en savoir plus.
Andreï Amalrik a eu son heure de gloire en Occident avec un livre prophétique,
L'Union Soviétique survivra-t-elle en 1984, publié à Paris en 1970, qui prédisait, à cinq ans près, la chute du communisme. Certes Amalrik se trompait dans les causes qui produiraient cet effondrement – il les voyait dans une guerre de l'URSS avec la Chine qui n'a pas eu lieu -, mais il avait senti les faiblesses d'un système dont les meilleurs penseurs de l'époque - comme
Raymond Aron et quelques autres - surestimaient la force.
Les quatorze amants de l'affreuse Mary-Ann sont un recueil de six petites pièces de théâtre écrites par un jeune auteur de 26 ans qui a eu déjà maille à partir avec les autorités soviétiques en étant chassé de l'université où il était inscrit pour suivre des cours sur l'histoire de la Russie. Amalrik souligne qu'il a été influencé par
Ionesco et par
Beckett – et non par
Sartre ou Camus qu'il ne connaissait pas – mais aussi par les auteurs russes classiques, notamment
Gogol (que tout le monde connait) et Soukhovo-Kobyline et Kharms (inconnus de la plupart des Occidentaux).
La première pièce, en un acte, Ma tante habite Volokolamsk, comprend notamment une bonne dose de comique de répétition dans l'absurde. Là l'influence de Becket est évidente. Dès les premières phrases prononcées, on sent bien que les autorités soviétiques n'ont pas dû en goûter l'humour :
Les quatorze amants de l'affreuse Mary-Ann, qui donne son titre à l'ensemble du recueil comporte des scènes qui feraient hurler les féministes genre
Annie Ernaux, avec un humour lourdement machiste à la
Charlie Hebdo du bon vieux temps.
Un nez ! Quel nez ? Mon nez ! est une pièce en seize petits épisodes, adaptée de la nouvelle de
Gogol.
Les trois autres piécettes sont aussi teintées de cet absurde qui ne pouvait que heurter la Nomenklatura soviétique.
Globalement que faut-il en penser ? Travail de jeunesse qui semble annoncer une oeuvre majeure ? Survalorisation d'un auteur par un Occident prêt à discerner du génie à tout opposant au régime soviétique ? Ma foi j'ai le plus grand mal à trancher. Ce sera au lecteur de se faire une opinion à l'issue d'une lecture qui aura au moins eu le mérite de le distraire et de le faire sourire.