Attention, ceci est une histoire vraie. *
Il existe une légende urbaine qui prétend que les coqs chantent au lever du jour.
Je peux vous assurer que c'est faux.
Il m'arrive une ou deux fois par semaine de dormir chez ma mère.
Et voilà ce que j'entends à deux heures du matin.
- Cocorico !
- Cocorico !
Evidemment, le chant lointain du gallinacé me réveille.
Je n'arrive pas à définir d'où il vient. Du nord, du sud ? D'un voisin proche ou d'un d'une ferme éloignée ?
Et puis il se calme. Je me rendors quelques minutes.
- Cocorico ! chante à nouveau l'autre abrutie de volaille.
Quatre heures du matin, il fait toujours nuit noire.
Pour moi, ce sont presque des nuits blanches.
* du moins dans ce premier paragraphe
- Alors Antyryia, tu as bien dormi cette nuit ?
- Avec le coq ? Impossible de trouver le sommeil.
- Mais de quel coq tu parles ? Je n'ai absolument rien entendu.
- Tu as bien de la chance !
Pendant le déjeuner, l'oiseau reprend son petit manège alors que le jour est levé depuis longtemps.
Etrangement, je suis de nouveau le seul à l'entendre.
Après manger, par la force des choses, une sieste s'impose.
A peine mes premiers ronflements se manifestent-ils que j'entends "Cocorico !" plus près que jamais.
La France n'ayant gagné aucun match de football, il ne peut s'agir à nouveau que de l'odieux volatile.
Imaginez mon état de fatigue, d'énervement, de frustration. Et ça fait des semaines que ça dure !
Je n'en peux plus. Je vais aller débusquer l'ignoble bestiole et la faire taire à jamais.
Je m'empare de la tronçonneuse dans le garage et je m'apprête à faire de tour du voisinage.
Je sonne donc dans toutes les maisons environnantes, mais souvent, on me ferme la porte au nez.
Au mieux on me répond :
- Mais il y a aucun coq ici ! Déguerpissez espèce de maboul, ou j'appelle les flics !
Et pourtant, à nouveau, j'entends "cocorico". Cette fois c'est sûr, ma proie n'est pas loin.
Le cri stressant et insupportable de mon gibier qui coqueline semble venir du quartier opposé.
Alors je traverse les jardins, coupant les grillages, les haies, et les clôtures à grands coups de lames dentelées.
J'y suis presque quand cet enfoiré se remet à chanter, mais cette fois ça vient de l'Est.
Je cours à travers champs dans cette nouvelle direction, je n'ai cure des sirènes que j'entends au loin.
Nul ne pourra me détourner de mon objectif.
J'arrive dans une grange. Cette fois je le tiens.
L'entêtant chant du coq raisonne à quelques mètres seulement, et il ne va pas tarder à se transformer en couinement d'agonie.
Je ne le vois cependant nulle part, si bien que je me mets à fouiller dans la paille, retournant les ballots, explorant chaque recoin.
Et enfin, je le déniche.
Sauf qu'il ne s'agit pas d'un coq de basse-cour.
Mais d'un simple livre.
"La mélodie" d'Emilie Ansciaux, à l'inquiétante couverture signée Chris Weyer.
Mais aucun doute possible, le refrain lancinant émane bien de ces quelques pages.
"Cocorico, cocorico" entonne-t-il, me narguant une dernière fois de son hymne maléfique.
Je démarre la tronçonneuse, prêt à déchiqueter ce maudit roman.
- Veuillez immédiatement poser votre arme et lever doucement les mains, m'ordonne un policier téméraire, probablement alerté par le voisinage.
Mais je ne risque pas d'obéir si près du but.
Et tandis que j'abaisse doucement mon arme, de peur qu'on ne l'accuse de non assistance à livre en danger, le flic me tire trois balles dans le dos.
Dans le même temps, en heurtant "La mélodie", la lame rebondit vers mon visage sans avoir égratigné un seul millimètre de la couverture.
Tandis que mon âme s'échappe de mon corps, je me vois un instant en piètre posture tandis que la tronçonneuse poursuit sa route sanglante, se frayant un chemin vers mon torse, puis mon ventre.
Quelques morceaux de cervelle se mêlent à la paille, bientôt rejoints par la ribambelle de mes intestins fumants.
Et brusquement, mon âme est aspirée à l'intérieur du livre.
* *
*
Comme c'est super long l'éternité ( et c'est un euphémisme ), je me mets à lire les 90 pages de la longue nouvelle concoctée par Emilie Ansciaux.
Je n'ai même pas besoin de mes doigts pour tourner les pages, c'est une expérience très étrange.
Je regrette un peu de ne pas avoir été enfermé dans "Le fléau" de Stephen King qui aurait duré plus longtemps, mais je fais avec ce que j'ai sous la main. Enfin, façon de parler bien sûr.
Emilie Ansciaux est l'une de mes récentes héroïnes. Non pas parce qu'elle est ravissante, ni parce qu'elle a un style très agréable à lire, mais parce qu'elle est l'éditrice de Livr's éditions, une petite maison d'édition belge qui vient de signer un certain … Graham Masterton.
Voilà huit ans maintenant que mon Ecossais favori n'a plus été traduit en français, en raison probablement de tous les vilains lecteurs qui boudent le fantastique et l'horreur.
Et l'attente arrive enfin à son terme puisque le dix février paraîtra en avant-première Ghost Virus, l'un des derniers méfaits de l'auteur culte anglo-saxon.
Dans le genre horrifique, "La mélodie" se défend d'ailleurs plutôt pas mal.
Au départ je me demandais bien en quoi cette novella était réservée à un public averti, mais certaines scènes dans la seconde partie se sont avérées vraiment difficiles et malsaines. Et je ne parle pas de profusion d'hémoglobine, même si le lecteur y a également brièvement droit.
Mais même si je n'ai plus vraiment la notion du temps, je vais essayer de commencer par le début.
Une histoire étrangement similaire à la mienne.
Le narrateur emménage dans une villa à rénover. Célibataire et sans enfants, il s'installe tranquillement quand il entend une petite musique, qui n'est pas sans lui rappeler celle d'un marchand de glace.
Une mélodie qui va se répéter, qui va totalement l'obséder, et qui vient forcément de la maison. Qu'il va consciencieusement fouiller pièce par pièce jusqu'à en trouver l'origine.
Cette première moitié du livre décrit remarquablement bien la plongée dans la folie, véritable descente aux enfers du narrateur.
L'atmosphère est angoissante, rappelant les histoires de maisons hantées.
"Comment est-il possible de s'imaginer mille terreurs dans l'obscurité, et être réconforté par la présence d'une simple couette au-dessus de soi ?"
"Car j'en suis convaincu à présent, je ne vis pas seul dans cette maison."
Et que vient faire Justine là-dedans, son ex avec laquelle il n'est pas resté en très bons termes et qui vient si régulièrement lui rendre visite à l'improviste ?
"Mon dégoût est à la mesure de l'amour que je lui portais et qu'elle a méthodiquement détruit il y a deux ans."
Jusqu'à ce qu'il tombe dans des circonstances épiques sur l'objet du délit, et que le livre bascule dans le surnaturel.
"Mais comment aurais-je pu savoir que la situation allait dégénérer à ce point et si vite ?"
A partir de ce moment, la lecture m'a moins enthousiasmé.
Sans trop en dire le côté fantastique manque un peu de subtilité et part un peu dans tous les sens, avec toujours ce même fil conducteur mais qui privilégie alors l'horreur à l'angoisse.
Il y est question d'éternité … sur quelques paragraphes seulement, et je suis bien placé pour vous dire que la notion d'infini quand on n'est plus qu'une âme enfermée est plus complexe et aurait mérité qu'on s'y attarde davantage.
Plus simplement, cette longue nouvelle aurait mérité quelques pages de plus afin de mieux appréhender l'évolution du personnage principal, et d'affiner la psychologie des personnages secondaires dont le rôle est souvent primordial.
Parce que sans mauvais jeu de mots, j'ai souvent eu l'impression de passer du coq à l'âne.
Quant à moi, je n'ai pas trop le choix. Je vais donc relire ce livre au début si prometteur.
Encore et toujours.
Jusqu'à en connaître toutes les subtilités, jusqu'à le connaître par coeur.
M'imprégnant de cette belle écriture qui a le mérite de suggérer le plus épouvantable sans s'y attarder plus que nécessaire.
Jusqu'à perdre le peu d'esprit que j'avais encore et me noyer dans ma propre folie.
J'aurais certes préféré passer l'éternité à lire autre chose que cette publication en demi-teinte.
"Elles est faîte de larmes, de tristesse, de coups portés trop souvent et trop fort."
Parce qu'être immortel, c'est pas si chouette que ça en a l'air.
Surtout dans ces circonstances.
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En emménageant dans cette maison, l'annonce d'un nouveau départ sonnait à ses oreilles comme une douce mélodie. Faire table rase du passé, aller de l'avant et pourquoi pas mettre un terme à son célibat. Seulement rien de tout ça n'arriva. La douce mélodie se transforme en lente agonie. Il se croit fou et personne ne semble entendre cette musique qui provient de cette maison. Il ne reculera devant rien pour découvrir ce qui lui arrive. Hallucination ? Folie ? Jeu pervers ? Cauchemar ? Venez si vous l'osez.
J'ai fait la rencontre de l'auteure, Emilie Ansciaux, aux Halliénales. A force de passer et repasser devant le stand, je me suis finalement laissé tenté. Il faut dire que lorsqu'on me parle d'histoire sombre, glauque, violente, ça retient toute mon attention.
Je ne peux pas trop vous en dire puisqu'il s'agit d'une nouvelle de 90 pages, je préfère que vous ayez la surprise, mais je vais essayer de donner mon ressenti. Je dois avouer qu'au début, je me demandais ce qu'il pouvait bien y avoir de si horrible pour que ce livre soit réservé à un public avertis. Les trente premières pages, même s'il y avait une ambiance un peu étrange, ne me laissait entrevoir qu'une histoire d'un gars ayant peur du noir et qui angoissait tout seul chez lui. Et puis, d'un coup, je me suis retrouvé propulsé dans un univers Malsain, très violent et glauque au possible.
J'ai vraiment beaucoup aimé la tournure de cette histoire. Je ne suis pas fan du format "nouvelle", car j'ai besoin de détails et de temps pour pouvoir m'imprégner d'une histoire. Cela dit, pour le peu de pages, c'est une réussite, car si le récit est court, il est intense. Certains passages mettent vraiment mal à l'aise, alors âme sensible ou coeur fragile réfléchissez avant de vous lancer. Pour les autres, foncez.
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Il est toujours plus facile de mentir quand on ignore la vérité.
C’est le bruit de la destruction, qui m’apaise et m’indique que je me rapproche de mon but, il ne peut pas en être autrement.
Elle se dit timide et monopolise pourtant l’attention depuis qu’elle est entrée. Où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse. Elle rigole fort, se montre drôle et foutrement belle. Alors j’en suis tombé amoureux.
Ma prison est infinie, donc il m’est impossible d’en sortir.
Comme il est doux de se bercer d’illusions pour éviter de réfléchir à ce qui nous fait peur.