« Hors du lit conjugal, l’homme était toujours le chef de la femme. Et dans l’acte sexuel même il était supposé actif, donc supérieur à la femme qui était censée subir ses assauts avec passivité. » Pour concilier cette domination de l’homme et le caractère inaliénable de la dette réciproque, les casuistes, déjà évoqués, trouvent alors une nouvelle idée : les femmes doivent rendre leur dû conjugal uniquement si le désir est explicitement exprimé par l’homme, tandis que les hommes sont invités à rendre leur dû conjugal même lorsque les femmes émettent des signaux faibles de désir. Cette règle, supposée aider la nature timide du sexe des femmes et rééquilibrer la dette sexuelle, enferme leurs désirs dans le mutisme.
De cette « ouverture », cette accession à son propre désir, pouvant être symbolisée par la pénétration (mais pas uniquement), elle distingue les « effractions nourricières » et les « effractions traumatiques ». Les premières sont les rapports sexuels qui viennent construire le féminin en acceptant l’« ouverture » évoquée plus haut. Les secondes sont les rapports qui ont une dimension traumatique, sans participation vertueuse à la construction du féminin. L’enjeu de cette étude du « travail du féminin » est aussi de nourrir les réflexions sur le « refus du féminin » comme un roc, c’est-à-dire un axe de construction des individus.
C’est par ailleurs la répétition de situations malaisantes, de la blague misogyne et de tout ce qui relève du sexisme ordinaire jusqu’à l’outrage sexuel (aussi parfois appelé « harcèlement de rue ») où les femmes se sentent dépossédées de leur corps, comme s’il était un objet de droit commun, qui est particulièrement éreintante. Le corps et la sexualité deviennent dès lors non plus des objets honteux à cacher au corps social ou à ne montrer qu’à certaines conditions et selon certains regards, mais des objets visibles qui permettent de se réapproprier du pouvoir : « Nos corps ne sont plus leurs instruments d’oppression, ils seront nos instruments de libération. »
Si une fierté et une valeur sont attribuées à la femme qui refuserait l’acte sexuel (Dieu sait quel genre de réputation et de mots attendent celles qui s’y laisseraient glisser), il y a d’un autre côté quelque chose de l’ordre de la victoire lorsqu’une femme s’abandonne à un homme et accepte la relation sexuelle. L’érotisation de la résistance des femmes (à la fois comme vertu et comme jeu sexuel) participe à l’idée que d’une part les femmes ont une libido moins importante que celle des hommes et que d’autre part il est normal de forcer et et insister pour « obtenir » un acte sexuel. Mais pire encore, elle rend le consentement féminin suspect et peu désirable.
: « Les rapports sexuels entre époux sont notamment l’expression de l’affection qu’ils se portent mutuellement tandis qu’ils s’inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage. »Pourtant, dans les faits, il semble que la notion de devoir conjugal met généralement en scène un homme demandeur et une conjointe demandée. Cette dichotomie s’appuie sur des croyances, des héritages, des discours, des pratiques… qui établissent une distinction entre les libidos féminine et masculine mais qui reposent aussi sur la dualité supposée entre la passivité de la sexualité féminine et la proactivité de l’activité sexuelle masculine.