Internet c'est comme les mauvaises réputations, ça s'attrape aussi vite que la mononucléose à douze ans. Snapchat le refile à Insta, qui l'envoie à Whatsapp pour le refiler sur Twitter et contaminer YouTube.
"Les adultes oublient toujours leur enfance, c'est pour ça qu'ils deviennent des vieux cons", c(est Odette qui disait toujours ça. J'étais d'accord. Si quand tu grandis tu oublies la branlette, je préfère ne jamais être grand.
Au fond, Barbès, c'est pas différent de Baabda. les mêmes têtes de mercenaires qui en ont déjà trop vu, la même odeur de fleur d'oranger mêlée à la crasse, la même musique entre les cris des mômes et les hurlements des alcoolos du café d'en bas , les mêmes visages de vieilles mères fatiguées, la même merde dont tout le monde se fout royalement.
Il veut me montrer son pays mais ne le trouve pas. J'ouvre la page de couverture avec la carte du monde. Il me désigne tout fier la capitale de son pays. J'y lis "République de Moldavie, Chisinau". Je me demande comment il a atterri ici. Il frappe le livre et me regarde. Je comprends qu'il me demande mon pays et le nom de ma mère. Je montre la carte du Liban, ou ce qu'il en reste, et j'écris le prénom de ma mère... Plus le cours avance, plus je l'aime bien. je commence à me sentir proche de ce martien de Moldavie : il a atterri ici un jour par chance ou obligé, je n'en sais rien, mais c'est un pas-Français comme moi, coupé de sa daronne et du pays qui a enterré ses ancêtres. J'étais presque heureux à ses côtés.
Les valises, c'est toujours des souvenirs de vie.
Mais nos rencontres et ces tout petits trucs qui nous liaient faisaient notre bonheur. Trouver un court instant de grâce dans un misérable croûton, c'est un vrai truc de cassos (un peu comme nous en vrai) mais, j'ai juré, l'odeur du pain ça ramène à l'enfance.. On met son nez dedans même si ça brûle le bout de la truffe et on rêve à une mère - celle des beaux livres, gentille et tout, qui ne crie jamais - et à ses bras chauds comme à la naissance.
Les parents perchés dans leurs tours d'ivoire veulent toujours vous faire avouer des choses que vous n'avez pas faites. Mais ils refusent de vous entendre.
Baba, il est comme tous les pères de mes copains. Ils ne parlent pas , travaillent comme des esclaves - des boulots de merde qui salissent et éclatent votre corps en morceaux. Ils n'embrassent pas, mangent et dorment tout seuls, font l'amour à maman, juste pour enfanter, et des garçons de préférence. les filles, c'est que des problèmes. Ils sont comme des ombres à vivre à côté de vous sans vous voir. Les seules paroles dont on pourrait se souvenir quand on sera plus âgé, ils les prononcent avec leurs poings. Ils vous évitent mais ils tapent fort, très fort, pour dire qu'ils sont là. Si tu dois trouver un sens à ton existence, ce sera dans les coups de ton père.
Après la colère des premières semaines sans elle est venue la nostalgie. Ce poison lent sur lequel tu te branles entre délice et torture, comme mon enfance à Beyrouth.
Elle disait que le temps passe si vite qu'on se réveille un jour avec les tempes grises en ne se souvenant même pas de la douleur des premiers pas. Elle disait aussi que l'amour c'est mieux que tous les repas du monde et que les rêves des chats sont peuplés de souris.