Dans cette nouvelle dystopie, Margaret Atwood joue avec les codes du genre et nous entraîne dans un roman à la fois glaçant et farfelu. Dès les premières lignes, nous voilà emportés dans l'histoire de Charmaine et Stan, son mari, subissant de plein fouet la crise économique qui sévit aux États-Unis. Sans domicile, sans emploi, le couple subsiste dans leur voiture en tentant de protéger leurs maigres possessions. Jusqu'au jour où Charmaine tombe sur un spot publicitaire qui semble leur proposer LA solution à leurs problèmes…
Le Projet est un vaste programme mettant en scène deux villes jumelles : Concilience et Positron. L'une ville ordinaire, l'autre ville-prison, signer les documents d'engagements permet aux participants de trouver une place dans la communauté de Concillience, un logement, un emploi. Devant cette promesse de jours meilleurs, nos deux protagonistes n'hésitent pas signer. Cependant, loin de l'idylle qu'on leur avait promis, la vie à Concilience est basée sur les interdictions, les contraintes, le conformisme. Mais prêts à tout pour retrouver un peu de dignité, les personnages ne semblent nullement s'en incommoder. Après tout, si les choses sont ainsi, c'est pour que « tout aille bien ». On est parfois étonné par leur façon de se leurrer, aveuglés par leur désir profondément humain d'être heureux, à mesure que le système qui les entoure dévoile ses failles et devient, lui, de plus en plus inhumain.
L‘Homme se retrouve rétifié sous la plume de Margaret Atwood, devient un objet de désir purement sexuel, un acteur économique, une marchandise. La ville de Consilience devient rapidement un théâtre clos, les participants du projet y vivent leur petite routine à cercle fermé : une fois rentré, il est impossible d'en sortir. Dans une routine de conformité, de maisonnettes bien rangées avec draps, serviettes, théières commandés sur le catalogue de la ville, Yoga et films non violents des années 50 diffusés à la télé, travail pour tous et journées régulées, le lieu fermé se transforme en incubateur, faisant resurgir la vraie nature des personnages. Fantasme, sexualité débridée, paranoïa, la ville en vase clos révèle ce qu'il peut y avoir de pire en chacun.
J‘ai été fascinée par ce roman de société qui se lit comme un thriller d'abord, puis comme un récit d'espionnage loufoque ensuite. Le cynisme de l'auteur m'a énormément plu, son style vif, intelligent et absurde captive alors qu'elle remet en question l'idée de liberté des hommes, celle de penser par soi-même, de réellement désirer ce qu'on pense vouloir. Faut-il choisir entre la facilité ou la liberté ? La facilité n'est-elle pas une forme d'enfermement ?
Avec cette histoire dérangeante, Margaret Atwood nous propose une dystopie jubilatoire dans laquelle des personnages froids et calculateurs se servent de l'aspiration au bonheur pour contrôler les masses et plonger dans la déshumanisation des hommes. La critique de la société alternant farfelu, absurdité et moments glaçants fait immédiatement penser aux plus grands noms de la SF, le Soleil vert d'Harry Harrisson nous viendra à mainte reprise à l'esprit. Cet univers dystopique réempruntant le décors des fifties dans une Amérique en pleine crise économique m'a conquise.
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