Deux adolescentes, l'une juive new-yorkaise récemment arrivée en Israël, l'autre fille de réfugiés palestiniens. Trajectoires parallèles ou de collision ? Une grande finesse du dessin et une surprenante poésie des mémoires mises à l'épreuve des dérives actuelles.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/21/note-de-lecture-
partages-gwenaelle-aubry/
Sarah, juive ashkénaze née et élevée à New York, est récemment arrivée en Israël, lorsque sa mère, affolée par le 11 septembre 2001, a choisi ce refuge-là face à la folie meurtrière des temps. Elle ne peut s'empêcher d'observer cette nouvelle société qui est désormais la sienne avec un regard légèrement incrédule – ou rien pour elle ne sembler couler de source comme pour (presque tous) les autres. Elle a dix-sept ans.
Leïla, Palestinienne d'une famille de réfugiés « historiques », chassés de leurs terres en 1948, n'a jamais quitté son camp de Cisjordanie (que les uns appellent toujours in petto Territoires occupés tandis que les autres utilisent un Judée-Samarie de moins en moins illusoire à mesure que progressent les colonisations illégales). Située de facto à la frontière précise de deux mondes disjoints, puisque son père occupe un emploi pour les forces israéliennes alors qu'une partie de sa famille s'active du côté des opposants les plus radicaux à l'occupation, elle s'invente d'autres horizons dans ce ciel particulièrement bouché. Elle a également dix-sept ans.
Trajectoires parallèles ou chemins de collision ? Frôlements par coïncidence ou agencements du mauvais sort ? C'est ce que choc à distance de deux monologues intérieurs à la fois si proches et si distants nous propose de résoudre, de saisir et de peser, dans un surprenant, discret et pourtant brûlant feu d'artifice poétique.
J'ai raconté dans une autre note de lecture comment j'ai découvert
Gwenaëlle Aubry par son magnifique «
Personne », grâce à
Hélène Gaudy. En suite logique de ce beau choc littéraire, il y eut donc ce «
Partages », publié trois ans après, en 2012, toujours au Mercure de France.
L'occupation (et désormais la colonisation de moins en moins voilée) par Israël de cette partie de la Palestine qui s'étend au-delà des « frontières de 1947 » et donc du droit international, consacrant ainsi aussi étrangement qu'assurément un véritable droit du plus fort – demeure un sujet littéraire – et politique, bien entendu – difficile, particulièrement en France. Si les autrices et auteurs de cette « gauche israélienne » plus ou moins en voie de disparition depuis trop d'années déjà se voient rarement directement contestés par chez nous (et si l'on observera au passage qu'une série israélienne aussi caricaturale vis-à-vis des populations de Gaza et de Cisjordanie, prises dans leur ensemble, que « Fauda » ne peut éviter, dans sa dernière saison, d'évoquer le statut de citoyens de deuxième classe, de facto, des Arabes israéliens), et si les autrices et auteurs palestiniens sont largement maintenus dans l'invisibilité, les voix en français parvenant à éviter le simple échange d'anathèmes (alors même que de franches absurdités comme « le métier de mourir » connaissent la consécration des prix littéraires et d'une certaine critique) demeurent relativement rares. On avait pu noter, parmi d'autres sans doute et dans trois registres bien différents, le bouleversant témoignage sensible de
Sabine Huynh («
La sirène à la poubelle », 2015), la superbe et ramassée projection science-fictive de
Sébastien Juillard («
Il faudrait pour grandir oublier la frontière », 2015) et la formidable polyphonie archipélagique d'
Emmanuel Ruben («
Sous les serpents du ciel », 2017), soutenue par son carnet d'écriture impressionnant («
Jérusalem terrestre », 2015), et dont l'écho hante encore, à plus d'un titre, son récent «
Les méditerranéennes ».
Il faut donc absolument y ajouter ce «
Partages », tour de force de sensibilité et d'intelligence, qui parvient avec une grande finesse à affronter les enjeux politiques et humains sous-jacents tout en inventant au long de ses 170 pages une double langue poétique inattendue qui fait la part belle à la mémoire et à ses mutations provoquées par l'Histoire, collective comme individuelle, jusqu'au tragique par essence.
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