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EAN : 9782253107552
256 pages
Le Livre de Poche (24/05/2023)
3.92/5   12 notes
Résumé :
Redécouvrir Saint Phalle ? C'est partir, avec Gwenaëlle Aubry, explorer un jardin, un ailleurs, où l'adulte annule la distance avec l'enfance, où l'artiste s'exprime de tout son corps, de tout son regard. Cet ailleurs, avec ses sculptures monumentales et miroitantes, se situe à mi-chemin entre Pise et Rome: « Il Giardino dei Tarocchi ». « Le Jardin des Tarots », car la vie est jeu, la vie est pari, elle est une réponse énigmatique et ritualisée aux violences de l'en... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
L'autrice retrace la vie et analyse les oeuvres de Nikki de Saint-Phalle, célèbre sculptrice du XXème siècle, féministe avant l'heure, sans pudeur ni complexes.
Il m'a été nécessaire de regarder les photographies de son art sur Internet (un catalogue papier aurait aussi bien fait l'affaire) pour suivre le fil du récit.
Le livre est foisonnant, à l'image des sculptures bariolées de l'artiste, dont l'enfance malheureuse, la vie maritale insatisfaite (elle quittera d'ailleurs mari et enfants pour s'accomplir vraiment), l'amour d'un confrère avec lequel elle travaillera (Jean Tinguely), et les douleurs de la vieillesse ont servi d'inspiration.
Elle créera le "jardin des tarots" en Toscane, aidé par un groupe (une tribu) de maçons italiens dans lequel chaque oeuvre gigantesque - à l'intérieur desquelles il est parfois possible d'entrer - représente une carte du jeu. Gwenaëlle Aubry le visitera avant que la crise sanitaire ne s'immisce dans l'écriture de son livre ; à la fin de celui-ci, la réalité actuelle entre en résonance avec cette biographie fort intéressante.
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Pour Nikki Saint Phalle, l'enfance est un monstre auquel elle tentera toute sa vie d'échapper. Artiste enfant aux sculptures primitives et monumentales.

Artiste enfant qui redonne au visiteur de ses oeuvres un regard innocent mais étrangement inquiet.

Artiste enfant soldat peignant aussi bien au pinceau qu'à la carabine.

Toute l'oeuvre de Nikki Saint Phalle sera monumentale, extra-ordinaire et féminine.

Sculptrice mère abritant son enfance, une enfance morte lorsqu'elle fut violée par son père à l'âge de onze ans. Nikki Saint Phalle qui fait de sa souffrance d'immenses bulles de tendresse protectrices et colorées autant que de géantes puissantes et dévorantes. Nikki Saint Phalle papesse et magicienne surréaliste sera de tous les combats politiques, philosophiques et sociaux de son époque.Gwenaëlle Aubry nous invite à une lecture profonde et ludique de l'oeuvre de Nikki Saint Phalle.

Manuel d'histoire de l'Art, récit d'Histoire tout court, mais aussi tendre autofiction, la romancière explore la vie et les blessures de l'artiste et nous propose un autre regard sur son travail.

En refermant son livre, il nous vient une furieuse envie de Toscane pour musarder et se perdre dans son Jardin des Tarots, au Pays des Merveilles de Nikki...
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Saint Phalle Monter en enfance n'est pas une biographie comme les autres car Gwenaëlle Aubry procède à l'analyse de sa dernière oeuvre, en révèle les liens, les perspectives avec son histoire intime, sa personnalité et ses révoltes.
Gwenaëlle Aubry arpente le Jardin des Tarots pendant sept jours à la recherche de la petite fille, Marie-Agnès, un des véritables prénoms de Niki de Saint Phalle. Cette enfant est marquée par la violence, les conventions et les exigences, notamment de son milieu social, mais aussi de la quête de liberté et de provocation qu'elle a su poursuivre pour affirmer son indépendance.
Le jardin des Tarots
Situé en Toscane, il est l'incarnation du rêve de l'artiste depuis sa jeunesse. En effet, avec son premier mari, Harry Williams, Niki de saint Phalle avait visité l'Europe. Elle était tombée en extase dans le Parc Güell de Gaudi à Barcelone. Elle en avait même ramené la technique de Trencadis associée à la peinture projetée.
Décrite comme une matrice, ce jardin ésotérique s'inspire des vingt-huit figures du Tarot divinatoire. Il est constitué d'immenses sculptures de mosaïque. Elles représentent tour à tour des formes qui font la synthèse de son désir de création, de ses préoccupations de femme, de son histoire et de ses révoltes.
Conçu pour être un lieu où les enfants s'amusent, y éclatent de rire, affolés par ces géants si fragiles qui scintillent au soleil. Ils rappellent les contes et légendes qui font tellement peur qu'on en éclate de rire pour la conjurer. de cette enfance, Gwenaëlle Aubry affirme « sans doute sait-elle que ce ne sont pas les monstres qui pourchassent les enfants, mais que l'enfance est elle-même le monstre auquel on tente, sa vie entière, d'échapper. »!
Ce jardin se découvre par un sentier courant de formes en formes. Gwenaëlle Aubry les décrit, les relie pour en découvrir les détails associant les différents écrits personnels de l'artiste, les événements de sa vie mais aussi ses performances et autres installations. Comme une toile d'araignée, l'écrivaine replace le tout dans l'ensemble de son oeuvre détaillant les influences. L'expérience Dada n'est pas des moindres ( » que chaque homme crie ; il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir. Balayer, nettoyer »). Elle y ajoute le Facteur Cheval, l'ami Marcel Duchamp mais aussi Bosch et le Douanier Rousseau.
Mais avec Jean Tinguely, le roi suisse des machines inutiles ou son « Gabin jeune et brun « , Gwenaëlle Aubry raconte cette collision cosmique qui invente ensemble « 3600 façons d'être déséquilibrés ».
Même, l'imposante Impératrice en forme de Sphinx se transforme en appartement – mère protectrice où la chambre se love dans un des seins de la forme. En faisant un parallèle avec Louise Bourgeois, artistes toutes deux nées de violences, la mère protectrice permet de revenir à l'enfance, à l'avant, pour y retrouver l'essence d'un monde où Gwenaëlle Aubry dissèque, suture et recherche comment Niki s'est pansée.
Dans Saint Phalle Monter en enfance, Gwenaëlle Aubry nous invite à lire les signes qui relie la dernière composition à la vie de l'artiste Niki de Saint Phalle pour laquelle elle a travaillé sans relâche pendant plus de vingt ans, presque jours et nuits. L'aide de quelques ouvriers fidèles, attentifs, respectueux devant cette force de création nous permettre d'être ébloui, au sens propre comme au figuré, sous le soleil de Toscane. Pour le plaisir de redécouvrir sous un jour particulier une oeuvre foisonnante !
Chroniques avec photos ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2021/09/11/gwenaelle-aubry/
Lien : https://vagabondageautourdes..
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De Gwenaelle Aubry, je n'ai lu que deux titres : "Lazare mon amour" et "Persephone 2014". C'est un auteur à l'écriture tout à fait singulière, pas toujours évidente, très riche de nombreuses références. J'ai voulu lire "Personne", livre abécédaire qui nous parle de son père, maniaco-dépressif (bipolaire) : je n'ai pas pu, peut être parce que ce sujet est malheureusement trop proche de moi, qu'il me renvoie à un membre de ma famille qui souffre de la même pathologie, je ne sais pas.. J'ai laissé "Personne" comme on rejette un miroir qui vous tend une image déplaisante.
J'ai, malgré mes appréhensions, été tout de suite tentée par le texte "Saint Phalle, Monter en enfance". J'ai aimé ce que l'auteur a "extrait" de Sylvia Plath dans "Lazare mon amour" et je me doutais que son approche De Saint Phalle serait tout sauf conventionnelle : c'est le cas et c'est très intéressant.
Bien sûr, on y retrouve la biographie de l'artiste, mais vraiment dans le fonds de la toile qu'a tissé Aubry autour d'elle. Ici, c'est vraiment le personnage, l'artiste dont nous parle l'auteur au travers de ses oeuvres, ses performances. L'auteur a utilisé comme point de référence le Jardin des Tarots qui se trouve en Toscane, à Garavicchio. Saint Phalle va pouvoir y donner toute sa puissance, sa créativité, Tout au long des arcanes majeurs qui composent le jardin (qui m'a bien sûr rappelé le jardin Guëll à Barcelone de Gaudi), l'auteur livre et délivre le parcours de Niki (avec un seul K) Saint Phalle (alias Catherine de Saint Phalle, née et issue d'un milieu aisé, mariée de façon fort conventionnelle, mannequin, mère de famille de deux enfants) Catherine, comme "la femme gelée" d'Annie Ernaux qui se réveille et qui s'affranchit dans un monde qui attend d'une femme qu'elle soit toujours présente pour ses enfants, mais comment est-ce possible lorsque votre enfance a été fracassée ?
On dit des arcanes majeurs qu'ils représentent les enseignements à partir desquels une personne construit sa personnalité et obtient de l'expérience. En ce sens, le jardin des tarots de St Phalle en est la représentation en 3 D.
Je garde de ce texte, une grande poésie, comme une leçon philosophique, toujours cette étrangeté des mots de l'auteur et sa façon de les agencer, une grande richesse culturelle. le roman est dédiée à sa grand-mère, devenue sénile et décédée durant l'écriture du livre : une grand-mère très aimée semble-t-il, au delà de la maladie, redevenue une enfant, accompagnée par une autre enfant : Gwenaelle Aubry devenue adulte, mais qui a gardé de l'enfance, sa magie.
Merci à Net Galley et au Mercure de France de m'avoir permis de découvrir ce titre.
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#SaintPhalleMonterenenfance #NetGalleyFrance
Avant tout merci à NetGalley et aux Editions Stock de m'avoir permis de lire ce livre, avant sa parution ( 8 septembre). C'est un livre ardu, mais avec un foisonnement de références. On sent que l'auteure, Gwenaëlle Aubry, connait parfaitement son sujet. le sujet c'est Niki de Saint Phalle, sa vie son oeuvre replacée également dans le contexte des autres artistes de son époque, des différents mouvements littéraires et artistiques qui ont pu influencer ses choix. le titre "monter en enfance" avant tout, en effet on tombe en enfance, mais Niki n'a pas eu réellement d'enfance donc elle a du se la conquérir, et cela lui a permis aussi de s'élever, d'aller vers une résurrection, une catharsis après toutes les choses horribles qu'elle a vécu dans son enfance, et puis après. En analysant son oeuvre, on comprend pourquoi elle a d'abord voulu se protéger avec les Nanas, se défendre et se redonner de la force avec les Tirs, sortir des chemins classiques avec Hon, et finalement accéder encore plus haut avec son jardin des tarots. Avec l'aide et l'émulation de Jean Tinguely, elle va monter en enfance, et monter aussi dans ses capacités artistiques, et surtout pouvoir parler des sujets qui la touchent, le féminisme complet, le racisme, surtout pour des femmes.
Cette fresque est dure, mais elle sonne juste lorsque l'on regarde ses oeuvres, je n'ai vraiment qu'une seule hâte aller d'abord à Bomarzo voir le jardin des monstres, qui avec le palais du facteur cheval et les oeuvres de Gaudi ont été les déclencheurs du Jardin des tarots, et ensuite me laisser submerger en entrant dans le jardin des tarots, et faire réellement connaissance avec Niki, ce sera pour bientôt je pense. Superbe livre.



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critiques presse (1)
Telerama
12 juin 2023
Au plus près du secret du geste créateur de Saint Phalle, qui elle-même y vécut, enfouie dans les entrailles scintillantes, tapissées de tessons de miroirs, de L’Impératrice, dans son « ventre de pierre, vivant, inervé », dont elle avait fait une matrice
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Elle ne se raconte pas d’histoires, elle ne se bande pas les yeux : elle cherche derrière le crime privé, la loi générale. Cette loi qu’elle énonce, c’est celle de la domination, de la tentation du pouvoir absolu, mais aussi d’une « fausse » révolte et d’une « lamentable rébellion ». Elle n’aura, pour trouver la sienne, qu’à en inverser les termes : créer, au lieu de détruire, passer du côté des dominés, aller vers la « vraie révolte » : « Le viol me rendit à jamais solidaire de tous ceux que la société et la loi excluent et écrasent. » Il faut, pour mener à bien pareille inversion, un sacré courage, et un formidable appétit de vie. De fait, tout se passe comme si elle était étrangère aux passions tristes. « Ne pas rire ; ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre » : on connait la maxime de Spinoza. Saint Phalle ne pleure pas (ou juste des pierres), elle comprend, mais elle rit – et elle raille, elle déraille, elle déteste, aussi, on y viendra.
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Comme de la chambre, comme des musées, elle est sortie du monde. «Il faudrait, écrit Heinrich von Kleist, faire le tour du monde pour voir s’il ne s’y trouverait pas, quelque part derrière, une autre ouverture. » Cette ouverture, elle l’a percée. C’est en Toscane, dans la Maremma : enfoui sous les chênes, les oliviers et les cyprès, épousant la pente d’une colline qui dévale doucement vers la mer, un jardin où reposent, placides, barbares et miroitantes, des figures nommées d’après les arcanes majeurs du tarot : La Force et Le Magicien, La Papesse et Le Fou, L’Empereur et Le Pendu, Le Monde et La Mort, La Justice, L’Impératrice, La Lune, d’autres encore – tous sont là. Leurs flancs pleins, sertis de céramiques et d’éclats de miroirs, leurs lignes frêles de Skinnies, abritent, outre ce jeu du hasard et du destin, des mythes anciens et des rituels naïfs, des gestes de conjuration et des peurs archaïques. À croire que le Jardin des Tarots a toujours existé, que Saint Phalle l’a, non pas créé, mais découvert, caché derrière une porte secrète du monde, enfoui dans un pli du réel.
Ce jardin, elle l’appelle son « destin ». Elle en a eu la révélation très jeune, en 1955, alors qu’elle arpentait l’Espagne avec son premier mari, l’écrivain Harry Mathews. Un jour, elle est entrée dans le Park Güell, construit par Gaudí sur les hauteurs de Barcelone, et elle a su d’évi‐ dence qu’elle devait faire ça : édifier à son tour un « jardin de joie », un « jardin des Dieux ». Ce fut, dit Bloum Cardenas, sa petite‐fille, « son jour Eurêka ». Saint Phalle a fait le tour du monde, détruit, construit, et des années après, en 1978, est venu le temps du Jardin. Pendant près de vingt ans, elle a travaillé à faire surgir des ondulations de la colline ce que Baudelaire nomme le beau bizarre. Modeler des maquettes de terre agrandies ensuite à l’échelle par Tinguely et son « œil médiéval », tresser d’arachnéennes armatures de fer, pulvériser du béton, mouler et cuire des céramiques, tailler et agencer des fragments de miroirs – mais aussi détourner les sources, apprivoiser les pierres, les épineux, le maquis de genêts et de genévriers, les troncs courbes des chênes et des oliviers : travail de pharaonne et de sorcière. Une équipe s’est peu à peu constituée : amis et collaborateurs de toujours, prince et princesse de Grèce, céramistes, maçons et jardiniers, postier et cuisinière, Tinguely, bien sûr, qui détestait le mot « artiste », préférait se dire « poète », au sens ancien, « celui qui fait », c’est tout, ou encore « bricoleur superlouche ». Des bricoleurs superlouches, donc, une tribu de princes‐ouvriers et de poètes‐artisans, dont les noms, mêlés à ceux de dieux antiques, sont gravés en caractères grecs sur les allées du Jardin.
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Elle s’appelle Saint Phalle, et à l’âge de onze ans elle a été violée par son père. On pourrait commencer par là, tout reprendre à zéro. Elle est née le 29 octobre 1930, Catherine Marie‐Agnès Fal de Saint Phalle, et un jour de l’été 1942, son père, André Marie Fal de Saint Phalle, a « mis son sexe dans [sa] bouche ». C’est ainsi qu’elle le raconte dans Mon secret, l’un des trois courts récits qui composent son autobiographie, et qui prend la forme d’une lettre adressée à sa fille, Laura : « Chère Laura, l’été des serpents fut celui où mon père, ce banquier, cet aristocrate, avait mis son sexe dans ma bouche. » Elle dit tout et sans détour, cash, mais ces phrases nues tracées de sa main, et que le livre reproduit à l’identique, avec leurs américanismes, leur syntaxe et leur orthographe anarchiques, sont habillées par le dessin. Les mots lourds, les mots écrasants, « Peur », « Mort » ou « Viol », « Père », « Dieu » ou « Daddy », elle les enlumine, tel un moine médiéval, les orne de hachures, de traits sinueux et d’étranges pétales, elle en comble les vides, elle les fait serpenter. Elle signe « Niki », le prénom vif et clair que sa mère a substitué à celui, sage et blanc, d’Agnès, lequel fut choisi par son père en souvenir de l’une de ses maîtresses.
Elle s’appelle Niki de Saint Phalle, ces syllabes qu’elle fait claquer portent la victoire, le saccage et le sacre, sa vie entière elle jouera les cartes distribuées par ce nom, elle traquera la main triomphale.
Le saccage, c’est sous ce signe qu’elle a débuté, le saccage et la profanation. Avant les sculptures monumentales et les Nanas, elle a piégé dans des tableaux un arsenal de tueuse et de ménagère, poêle à frire et lame de rasoir, débris de vaisselle et pistolet, parfois aussi des jouets en plastique ou une dame de pique ; moulée dans une combinaison blanche, elle a, en pleine guerre d’Algérie, tiré à la carabine sur d’autres assemblages recouverts d’une couche de plâtre, fait exploser au .22 long rifle les poches de couleur enfouies sous cette surface immaculée. Elle a entendu le mot d’ordre dada : « Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir. Balayer, nettoyer. » Sur des autels, autour d’un nu antique, elle a cloué des crucifix, une chouette taxidermisée, des nonnes en cornette, des moines en prière, puis, toujours à la carabine, les a ensanglantés de peinture noire ; elle a accouplé Kennedy et Khrouchtchev en un monstre phallique et bicéphale ceinturé de soldats de plomb, elle a sculpté des mariées blêmes et des parturientes au ventre de charognes, grouillantes de baigneurs démembrés ; les Nanas sont venues, leur plénitude aveugle, sphérique et bariolée (et à leur tête la Hon, « la plus grande putain du monde », construite, puis méticuleusement détruite, de concert avec Tinguely), mais aussi le ballet, le théâtre et les films – parmi lesquels Daddy, le très violent et sacrilège, le très dada Daddy – et, en fin de cortège, les Skinnies vagabonds et filiformes, modelés de vide et d’air. On peut être un grand artiste et peindre toujours le même tableau, écrire le même livre, faire varier à l’infini une même forme : elle n’a cessé de rebattre et de réinventer les cartes. Glissant dans les salles des musées, les rétrospectives, on est pris dans cette frénésie de métamorphose: « Liberté, écrit Tzara, hurlement des couleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE. »
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« Moi, je m’appelle Niki de Saint Phalle, et je fais des sculptures monumentales. »
Elle est assise au fond d’une demi‐sphère orange, un fauteuil‐œuf qui engloutit son buste sanglé dans une veste blanche de karatéka, d’un coup elle se redresse, croise les bras, pose son menton sur sa main, darde un regard bleu très fardé, elle dit ça. Elle dit « moi je », elle fait claquer les syllabes, elle prononce le p de « sculpture », elle fait rimer « Saint Phalle » avec « monumental ». Elle est insolente, moqueuse et bien campée, elle a l’air de s’amuser follement, elle ne s’en laisse pas conter, avec ses airs de Madone pop elle pourrait bien rugir comme le lion de la Metro‐Goldwyn‐Mayer. Puis elle se renverse en arrière, fait pivoter le fauteuil : elle disparaît.
C’était en 1966, la bande‐annonce d’un ballet de Roland Petit, Éloge de la folie. Avec Jean Tinguely et Martial Raysse elle en a conçu les décors, et même un peu plus : elle a semé la scène de sculptures colossales, de géantes sans visage, gravides et colorées. Les danseurs s’en saisissent, délicats et ternes dans leur justaucorps noir, leurs collants gris, ils épousent leurs formes pleines, leur insufflent mouvement et vie, ils les portent en triomphe.
Quelques décennies plus tard, c’est cette trace monumentale que l’on retient de Niki de Saint Phalle : les Nanas. Les enfants les dessinent à l’école, dans les expositions, les musées où on les traîne ils les regardent complices, courent se lover, comme les danseurs de Roland Petit, contre leur ventre, leurs cuisses, leurs seins démesurés. On ne va pas s’en plaindre, peu d’artistes ont, autant que Saint Phalle, annulé la distance avec l’enfance, tant d’autres ne sont connus que par une œuvre unique. Être à ce point identifiée aux Nanas, dit‐elle dans un entretien accordé en 1991, onze ans avant sa mort, ça l’a parfois un peu agacée, mais ça n’est pas grave. Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle disparaît dans ce monument‐là, qu’elle y est engloutie, comme la karatéka de 1966 dans sa sphère orange.
On l’identifie aux Nanas et on l’appelle Niki – sans trop savoir que Niki vient du grec nikē, qui signifie « victoire », et dont la ville de Nice tire elle aussi son nom : Nice où, très jeune, bien avant la vidéo karatéka, la rencontre avec Tinguely, l’Éloge de la folie, « Niki » a vécu, tenté de se tuer, été internée, subi des électrochocs, commencé à peindre. « Nanas », « Niki » – babil enfantin, diminutif affectueux, quoique un brin agaçant : appelle‐t‐on Picasso « Pablo », Gaudí « Antoni » ? Mais Saint Phalle est une femme, alors on s’autorise à la désigner par son prénom, comme on le fait pour les mannequins, les actrices, les autrices. À quoi s’ajoute qu’elle est belle, d’une beauté canonique et irréfutable, ça saute aux yeux, autant le dire d’emblée. Avant Nice, avant les électrochocs et les premières gouaches, quand elle n’était encore qu’une jeune patricienne promise à un avenir américain, luxueux, et mortifère, elle a d’ailleurs été mannequin. Elle a appris à jouer de sa beauté, à prendre la pose, elle sait donner du regard.
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Pourquoi s'enfermer dans un rôle ? homme, femme, vieillard, enfant, nous sommes-nous pas tout cela à la fois? on se rend très malheureux en se coupant de ces possibilités.
Être tout, vouloir être tout, ici encore Saint phalle parle comme Sylvia Plath, ou comme la sorcière de Michelet qui a envie du Tout du Grand tout universel et c'est là, plus profond que l'appétit de vengeance, de conquête, ou de domination, le vrai désir, le désire monstre dont naissent des mondes et qui ne satisfait d'aucun empire.
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Vidéo de Gwenaëlle Aubry
Célèbre pour ses sculptures imposantes et colorées, Niki de Saint Phalle a tenté de se libérer par l'art d'une enfance meurtrie. L'autrice Gwenaëlle Aubry et l'éditrice Christine Villeneuve sont les invitées du Book Club pour évoquer sa vie.
#bookclubculture #Nikidesaintphalle #sculpture ___________ Venez participer au Book club, on vous attend par ici https://www.instagram.com/bookclubculture_ Et sur les réseaux sociaux avec le hashtag #bookclubculture
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