Ma grand-mère vous passe le bonjour

Mamie détestait l’environnement, mais elle était de ceux qu’on emmène avec soi à la guerre. Elle s’était faite terroriste pour Elsa. Et plus que tout, Elsa est furieuse contre mamie pour ça, en fait, parce qu’elle veut être furieuse contre mamie. Pour tout le reste. Pour les mensonges, pour avoir abandonné maman et pour être morte. Mais c’est super-impossible d’être furieux contre une mamie prête à se faire terroriste pour sa petite-fille. Elsa est furieuse de ne pas pouvoir être furieuse. Elle ne peut même pas être en colère comme tout le monde. Même ça, ce n’est pas normal avec mamie.

— Elle était une grand-mère fantastique, Elsa. Tu étais toutes ses secondes chances, dit maman en lui caressant les cheveux. Je crois que ta mamie fonctionnait aussi bien dans les endroits chaotiques parce qu’elle l’était elle-même. Elle a toujours été prodigieuse dans les contextes catastrophiques. C’est juste avec tout le reste, le quotidien et la normalité, qu’elle ne savait pas comment s’y prendre.
— Comme une horloge pas à l’heure. Ce n’est pas qu’elle soit déréglée, c’est juste qu’elle est toujours au mauvais endroit, dit Elsa en essayant d’étouffer sa fureur.
Ça réussit vachement mal.

Tous les cœurs, tous les miroirs ont volé en éclats le jour où Elsa est née, brisés avec une telle force par la vague que leurs débris se sont éparpillés sur toute la terre. Les catastrophes improbables suscitent des réactions improbables chez les hommes, du chagrin improbable, de l’héroïsme improbable. Elles causent plus de morts que ne pourra jamais l’appréhender l’âme.
Deux garçons qui portent leur mère en sûreté et retournent secourir leur père. Qui repartent, vers la vague. Parce qu’une famille n’abandonne aucun de ses membres. Pourtant, c’est exactement ce qu’ils ont fait, ses fils. Ils l’ont abandonnée. Tous les miroirs, tous les cœurs ont volé en éclats ce jour-là. Dans un fracas audible à mille lieues à la ronde.
La mamie d’Elsa ne vivait pas au même rythme que les autres. Dans le monde réel, au milieu de ce qui fonctionne, elle était le chaos. Mais quand le monde s’écroule, quand tout n’est plus que ruine, les gens comme elle sont parfois les seuls qui fonctionnent. C’était son super-pouvoir. Alors, quand la mamie d’Elsa se rendait dans un coin précis de la terre, une chose était certaine : c’était le genre d’endroit que tous les autres essayaient de quitter. Si on lui demandait pourquoi, elle répondait :« Parce que je suis médecin, merde. Et quand je le suis devenue, j’ai renoncé au luxe de choisir qui sauver. »Elle n’était pas très douée en matière d’efficacité et d’économies, mamie, mais là, au milieu de l’apocalypse, tous l’écoutaient. En temps normal, les autres médecins ne l’auraient sans doute même pas accompagnée dans un magasin, mais quand le monde s’écroulait, ils la suivaient comme une armée. Car les catastrophes improbables engendrent des réactions improbables chez les hommes. Engendrent des super-héros improbables.

Mamie et Elsa jouent au Monopoly. Mamie ne parle pas du cancer, pour Elsa. Elsa ne parle pas de la mort, pour mamie. Parce que cette dernière n’aime pas parler de la mort ; elle n’a jamais aimé l’évoquer, surtout la sienne. La mort, c’est l’ennemi juré de mamie. Alors, quand maman et les médecins sortent de la chambre pour s’entretenir d’une voix grave, Elsa essaie de ne pas montrer son inquiétude. Ça ne réussit pas très bien non plus.

[…] une reine n'a de pouvoir qu'aussi longtemps que ses sujets craignent les conflits.

On veut être aimé, faute de quoi on veut être admiré, faute de quoi on veut être craint, faute de quoi on veut être haï et méprisé. On veut inspirer aux hommes quelque sentiment. L’âme frémit face au vide et aspire au contact à n’importe quel prix.

Le cerveau adore faire passer son propriétaire pour un idiot.

Seuls les gros futés du monde réel qui n’y comprennent rien débitent des âneries comme « c’était juste un cauchemar ». Il n’y a pas de « juste » avec les cauchemars.

Il a vu beaucoup… beaucoup de guerres. Il a vécu presque toute sa vie en guerre, d’une façon ou d’une autre. Les… les gens y endurent des choses terribles.

Il ne faut pas avoir d’enfants si on ne veut pas s’occuper d’eux.