Second volume, après un "
Permafrost" qui nous avait déjà bouleversé en 2020 (plus violent, plus tourmenté, d'ailleurs, ce premier récit, autour d'un eprotagoniste aux prises avec la folie, si l'on se souvient bien), d'une trilogie romanesque qui explore les traductions physiques intimes du désir féminin,
Boulder est un texte fort, au style incisif, sans fausse pudeur quand il évoque, dans une langue poétique vibrante et flamboyante, où se mêlent souvent la chair et la chaire, les relations érotiques entre les deux héroïnes. Un récit qui interroge aussi, avec beaucoup de finesse, le piège psychologique d'une maternité imposée, quand l'une des femmes du couple est obligée d'accepter le désir d'enfant de l'autre.
Celle que Samsa appellera
Boulder, un nom comme une image célébrant ou stigmatisant sa solitude – « Elle n'aime pas mon nom et elle m'en invente un. Elle dit que je ressemble aux gros rochers solitaires du Sud de la Patagonie, des chutes du monde, en surplus, abandonnées après la création, isolées, exposées à tout vent […]. Elle m'appelle
Boulder et nous rions sans trop savoir pourquoi. » -, est cuisinière sur un vieux cargo dans les mers qui bordent les côtes de l'Amérique du Sud. Elle est venue là chercher le « zéro originel », choisissant, dit-elle, d' « affronter le vide », aspirant au milieu du bruit des vagues et du vent à des « territoires hurlés ». Ce métier et cette condition nomade conviennent parfaitement à son tempérament, elle qui n'aime que sa solitude et sa liberté, lui permettant de ne pas se fixer, pour ne s'arrêter qu'une poignée d'heures dans les ports et y rencontrer des femmes, parfois ses amantes d'une nuit.
Un jour, elle croise ainsi Samsa, et le coup de foudre se produit, magnifique. « Je la regarde et je chavire, bien qu'elle soit suédoise et touche le salaire souillé de sang d'une multinationale. Je la regarde et elle remplit tout l'espace. Mon regard est une corde qui l'entoure et l'amène vers moi. Elle lève les yeux, elle me trouve. Elle sait. » Les deux femmes s'aiment, se séparent, se retrouvent. Samsa propose à «
Boulder » de la suivre dans son pays, l'Islande, et de s'y installer avec elle, et elle finit par accepter, apprivoisant la langue et le territoire. Jusqu'à ce que…
« Et cela arrive. Cela qui n'a rien à voir avec ma vie, ni avec le périmètre kilométrique de vie censé me protéger des lois gravées dans le marbre, intemporelles, celles qui défient la contingence. Cela arrive à la maison comme un invité mortel. Inattendu et funeste. La maladie qui ne frappait que les autres. Je veux un enfant, dit Samsa, un enfant à nous. À toi. Elle le dit et je ne sens rien, comme si j'avais avalé de l'arsenic. »
Dès lors, rien pour «
Boulder », rien entre les deux femmes, ne sera plus jamais comme avant…
Un livre qui saisit comme un cri, dans l'expression de la joie, celle sensuelle des corps noués, mais aussi dans celle de la douleur, celle d'une âme piégée dans le carcan d'une situation qu'elle n'a pas choisie, et qui mettra du temps à s'apaiser. Un livre dont on pourrait lire à voix haute chaque page (et il faut saluer l'excellente traduction d'Annie Bats, qui ne fait rien perdre au texte de ses vibrations), se laissant séduire par le rythme et les images de sa poésie, envoûtante comme le chant des sirènes d'Ulysse… Alors, prêt(e)s à tenter l'odyssée, cette lecture de grand large, vers cet(te) attachant(e)
Boulder de Patagonie ?