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EAN : 9782378562014
192 pages
Verdier (28/03/2024)
3.82/5   45 notes
Résumé :


Laetitia est née trois minutes avant sa sœur jumelle Margaux et trente-sept minutes avant l’explosion de Tchernobyl. Malgré des études dans une grande école de commerce, elle grenouille au Snowhall de Thermes-les-Bains, au désespoir de ses parents. Elle vit à La Cave où elle écoute Nick Cave, obsédée par les SUV et la catastrophe climatique en cours.

Il faut dire que Laetitia vit en Lorraine où l’État, n’ayant désormais plus de colonie... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Brûler un symbole de beauté et d'humanité ultime pour faire prendre conscience de l'urgence écologique…

Les combats écologistes de la génération des années 80/90, la génération Tchernobyl, sont d'une troublante actualité. J'ai choisi ce livre « Partout le feu », premier roman d'Hélène Laurain publié en janvier 2022 chez Verdier, suite à la magnifique critique de @Charybde2 afin de toucher du doigt ce sujet. Je vous invite à aller lire sa critique qui est très complète, érudite et enthousiaste.

« le 26 avril 1986
A minuit 44
Je naissais à la maternité des Orangers
3 minutes avant la Soeur
39 minutes avant la libération
A 2108 kilomètres de là
Des 200 bombes d'Hiroshima
Milliards de milliards de becquerel
C'est chouette
De fêter chaque année l'avènement
De la génération Tchernobyl »

Ce roman, très décalé dans sa forme, met en effet à l'honneur une jeune femme en proie à la solastalgie, angoisse profonde et existentielle, voire détresse, liée à la prise de conscience de l'urgence écologique, qui tente d'agir comme elle peut dans ce monde où déjà des feux brûlent partout. Actions vaines, à toute petite échelle, actions marquées par la rage, la révolte et l'angoisse : attaques de SUV, feux d'artifice dans les centrales nucléaires, violence des mots pour juger les comportements de sa soeur et de son beau-frère qui vivent une vie normale dans un certain luxe…en attendant mieux, en attendant l'action ultime, nichée dans une cave avec sa bande, Fauteur, Taupe, Dédé et Thelma, à boire, fumer, faire l'amour, cuisiner des graines, faire pousser des plantes, écouter Jeff Buckley, Cure, David Bowie, Depeche Mode, Fatboy Slim, entre autres. le film Wild plants en filigrane, sorte de mantra hypnotique toujours présent dans le roman guidant les comportements et les pensées. Lætitia est surdiplômée pourtant et était promise à une brillante carrière. Elle a tout laissé en plan, incapable de mener sa vie dans ce monde en déclin. Seule l'action militante a du sens même si dans sa famille personne ne comprend son errance, son absence de repère, cette façon de mener des actions à réinventer chaque jour.
La région où Lætitia a grandi a pu contribuer à cette sensibilité écologique et ce militantisme. Nous sommes en effet en Lorraine dans lequel le projet d'enfouissement des déchets nucléaires, le projet Cigéo, terrifie les consciences et est tout simplement inadmissible pour une partie de la population.

« Il disent qu'il faut que je fasse
Mon deuil
Mes deuils
Ils ont un nom
Solastalgie il parait
Moi j'appelle ça mes deuils
De la baignoire remplie de mousse
De la vie à 20° en toutes saisons
De la volupté de la voiture
Du bonheur d'accumuler
Le deuil des forêts humides
D'une vie sans cancer
Le deuil du désir d'enfant
De la légèreté
Des lacs gelés en hiver
De se savoir actrice d'au moins quelque chose le
Deuil
D'une vie consommée
De relations consommées
D'un travail consommé
Et de ces deuils
Presque
Vient le désir d'embrasement
L'envie qu'on m'effondre
Plus rapide
Plus net
Le désir de savoir
Et d'en finir tout à fait
Pour de bon
Le désir de me fondre dans les chiffres
Et qu'on a tous oubliés sitôt lus
Pourcentages et fractions
Qui additionnés font
Beaucoup trop
Ou vraiment plus rien du tout
Ça s'appelle
Bruler de douleur et faire avec… »

L'écriture est très particulière comme on peut le voir, marquée par des phrases entrecoupées, des scansions, des mots qui reviennent à la ligne, tel un long poème, voire du rap tant c'est nerveux et percutant par moment, forme littéraire qui nous permet une plongée sensible et poétique au coeur de l'activisme de cette poignée de jeunes ultra sensibles, cette vie placée entre espoir et désespoir, entre sens ultime et inutilité.
En tant que lectrice, de l'extérieur, cela m'a à la fois semblé vain et si important, inutile et nécessaire, dangereux mais beau, mystérieux et sacré…Les monologues de Lætitia où sont entraperçus les lassitudes, les espoirs, les convictions, les haines face à notre monde et nos habitudes, son dégout de nous voir hésiter à enfiler tel ou tel maillot de bain alors que le tsunami approche sont émouvants le plus souvent, énervants parfois…
Mettre partout le feu pour faire prendre conscience, secouer l'opinion publique, la choquer, alors qu'en faisant ainsi c'est parfois précisément l'inverse qui se produit : rejet et incompréhension.
Quant à devenir le feu, je suis restée circonspecte, distante, triste. La fin m'a plombée. Serait-ce que ce ressentent ces jeunes ? Sans doute et en cela, ce petit livre est très communicatif et immersif. Percutant. Hélène Laurain a vraiment réussi à nous faire ressentir l'angoisse de nos jeunes en la matière. Rien que pour cela, ce livre mérite d'être lu.

Mais je suis partagée. Confusément partagée. L'émotion a été au rendez-vous, je pense que j'aurai longtemps ce livre en tête et pourtant, cette forme particulière m'a à la fois beaucoup plu puis lassée au bout d'un moment, oui touchée par ce roman tout en lui trouvant une certaine facilité.
Et la fin, terrible, m'a laissée dubitative. La question étant : est-ce que saccager la beauté et le symbole de la beauté peut faire prendre conscience de l'urgence écologique ? Personnellement, je n'en suis pas certaine et cette façon de faire me trouble...peut-être, remarquez, est-ce là son objectif premier ? Troubler pour faire évoluer les consciences de façon insidieuse, troubler en dévoilant le désespoir et l'angoisse profonde. Rien que ça.

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Les combats de la génération Tchernobyl

Dans un roman à l'écriture très originale, Hélène Laurain met en scène une militante écologiste dans une Lorraine polluée. Elle mène un combat difficile sur une planète qui brûle alors que le monde regarde ailleurs.

Impossible de ne pas commencer par parler de la forme de ce roman très original. Il est composé de lignes sans ponctuation, que l'on pourrait assimiler à des vers d'un long poème, mais qui donne surtout à Hélène Laurain une liberté de construire une oeuvre à base de punchlines, de paroles de chansons, de SMS, de citations, de post-it, de formules qui font souvent mouche, sans pour autant empêcher la fluidité de la lecture.
Laetitia, la narratrice, est une militante écologiste qui, au début du livre, vient de se faire arrêter encore une fois par la police, après avoir pénétré illégalement sur un site nucléaire avec sa bande pour y déployer une banderole dénonçant les dangers de l'atome. Il semblerait du reste que dès sa naissance, elle était la prédestinée à endosser ce costume de militante:
«le 26 avril 1986
à minuit 44
je naissais à la maternité des Orangers
3 minutes avant La Soeur
39 minutes avant la libération
à 2 108 kilomètres de là
des 200 bombes d'Hiroshima
milliards de milliards de becquerel
C'est chouette
de fêter chaque année l'avènement
de la génération Tchernobyl.»
La région où elle a grandi aura aussi contribué à cristalliser son engagement. Car en Lorraine, outre la centrale nucléaire de Cattenom, se dessine le projet d'enfouissement de tous les déchets nucléaires. le projet baptisé Cigéo vise à stocker en couche géologique profonde les «déchets radioactifs de haute activité et à vie longue produits par l'ensemble des installations nucléaires françaises, jusqu'à leur démantèlement». Pourquoi cet endroit? L'explication d'Hélène Laurain peut faire froid dans le dos, car il y a sans doute une part de vérité dans la décision des autorités:
«Vous la connaissez celle-là
c'est l'histoire de trois énarques et quatre polytechniciens
dans une salle de réunion
ils disent beaucoup de choses
en écrivent beaucoup moins
dans leur rapport aux N +2
Nous nous inscrirons dans une démarche
de revalorisation des territoires ruraux ils écrivent
On n'a plus de colonies alors on va fourrer la merde
dans le trou du cul de la métropole ils disent
ils se demandent
s'ils devaient choisir une région bien pourrie
pour y déverser un torrent de déchets laquelle ils choisiraient
après un top 3 rapide
Nord - Picardie - Lorraine
ils remarqueront
qu'ils ont tous un faible pour la Lorraine
une région
triste comme une salle de cinéma vide
en pleine projection
ils se diront
Avec la sidérurgie ils sont habitués à se faire bien polluer
ils sont endurants
à défaut d'être résilients
les hommes s'intéresseront à la Meuse
presque vide.»
Face aux risques encourus et face à une planète qui se dérègle un peu plus tous les jours, elle se devait d'agir, même si pendant longtemps, elle aura cherché une autre voie. Après des études brillantes, classe prépa puis ESC Reims, elle a travaillé dans la communication, puis dans les relations publiques, mais sans s'épanouir. «puis j'ai fait une dépression j'ai arrêté
maintenant je fais des petits boulots
et je milite
j'essaie de trouver du sens à ce que je fais voilà.»
Après avoir vu le film Wild plants de Nicolas Humbert, qui agira pour elle comme un mantra et dont des scènes jalonnent le roman, elle choisit d'oublier ses brillants plans de carrière et part grenouiller à Thermes-les-Bains, où un espace balnéaire essaie de faire illusion tout près des anciennes aciéries et se lance dans l'action militante avec sa bande, avec Fauteur, Taupe, Dédé et Thelma. Mais au fil du temps, ils comprennent l'immensité de leur tâche. Refaire le monde en buvant des bières, en s'attaquant aux SUV, en se réfugiant à La Cave pour écouter Nick Cave ou faire l'amour, c'est bien loin de leur objectif. Expédients vite expédiés. Feux vite éteints. À moins que...
Hélène Laurain réussit son entrée en littérature dans un style qui n'est pas sans rappeler À la ligne du regretté Joseph Ponthus. La force des mots, scandés et alignés comme des paroles de rap, fait naître une étonnante poésie, teintée à la fois d'humour et de désespoir. le tout dans un rythme qui dit l'urgence. Comme une danse au bord du volcan.



Lien : https://collectiondelivres.w..
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D'une lutte écologique  radicale théoriquement perdue d'avance, extraire la poésie d'un espoir paradoxal et décapant.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/11/02/note-de-lecture-partout-le-feu-helene-laurain/

Laetitia appartient à une génération pour laquelle le désastre écologique n'est plus quelque chose qui fera mal « après notre disparition », mais bien « de notre vivant ». du fait d'un sentiment d'urgence si insuffisamment partagé du plus grand nombre, face à la force d'inertie du confort consumériste renforcé par le travail inlassable des lobbys industriels ralentisseurs d'action salutaire et accélérateurs de profit ponctuel, elle est parfois saisie, comme d'autres militantes et militants de son entourage ou de plus loin, par un mélange de découragement et de dépression, toujours à surmonter, pour rejoindre un état d'esprit qu'il vaut mieux en effet désigner du mot fureur que du (en l'espèce) trop mou anxiété, selon la remarque efficace de Jonathan Bouchet-Petersen dans Libération (à lire ici). Avec ses compagnes et compagnons de lutte, vivant comme elle à proximité immédiate d'un site lorrain sélectionné pour un enfouissement massif et « éternel » de déchets nucléaires (on peut lire chez le fabuleux John d'Agata de « Yucca Mountain » les tours et détours de cette notion d'éternité lorsqu'il s'agit d'éléments hautement radioactifs à longue demi-vie), elle imagine néanmoins au quotidien des moyens de retourner les liquides et les brumes cyniques du spectaculaire marchand contre le capitalisme tardif et jusqu'au-boutiste qui les alimente et les encourage.

Plongée poétique au coeur d'un activisme chaque jour à réinventer, mélange subtil d'un espoir et d'un désespoir qui se ré-enracinent au quotidien d'une manière échappant toujours aux classifications trop rapides, confrontation de discours et désamorçages de storytellings si bien rodés (la Claire Vaye Watkins des « Sables de l'Amargosa » n'est peut-être pas si loin), « Partout le feu », premier roman d'Hélène Laurain, publié chez Verdier en janvier 2022, compte parmi ces textes qui frappent immédiatement. En assemblant dans un même flot, à la scansion à la fois minutieuse et résolument étonnante, les doutes monologués intérieurement, les convictions, les lassitudes, les résidus de langue de bois technocratique, les injonctions de pré-violence policière (celle-là même qui fait s'étouffer métaphoriquement un ministre de triste renommée et pas du tout métaphoriquement quelque éventuel contrevenant « malchanceux »), les réflexions écologiques de première main et les élans de révolte plus sophistiquée qu'il n'y paraît d'abord, la complainte rageuse de Laetitia devient vite tout autre chose, mystérieux et combatif en diable.

Rythmé sans aucune gratuité, mais au contraire en développant une belle osmose avec sa narratrice, sous les signes de Tchernobyl et de Fukushima, de Svetlana Alexievitch et de Genichiro Takahashi, par les paroles (et musiques induites) de Bronski Beat, de The Cure, de David Bowie, de Depeche Mode, de The Verve, de Eurythmics, de Fatboy Slim, de Lykke Li, de Florence + The Machine et de bien d'autres encore, et naturellement du documentaire « Wild Plants » de Nicolas Humbert, dont on découvrira dans l'entretien cité ci-dessous qu'il se trouvait bien largement à la racine du projet, « Partout le feu » mobilise l'inattendu d'une pop culture tous azimuts, réagencée en dehors des canons du spectaculaire marchand pour fournir carburant et comburant secrets d'une autre mise à feu.

Comme le dit l'autrice dans son très bel entretien avec Johan Faerber dans Diacritik (à lire ici), à propos du personnage de Laetitia : « Par quoi remplacer la fiction capitaliste dans laquelle elle a grandi et qui s'avère inopérante et délétère ? ». Comme Alain Damasio dans « La horde du contrevent » et comme le collectif italien Wu Ming (lorsqu'il s'appelait encore Luther Blissett) dans « Q » et dans « Altai », par exemple, en recourant à un agencement très différent des métaphores vis-à-vis du réel contemporain, il s'agit bien d'inventer un autre récit du collectif, dans le creuset de la lutte, pour instiller une vibration différente et prometteuse, une embolie dans la déliquescence, un espoir paradoxal là où règne seul en apparence le désespoir.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Attention talent ! Qu'elle est belle, la littérature, quand elle nous arrive ainsi.
Le sujet n'est pas des plus doux. Un quotidien, fragile et heurté, raconté par les détails. Une lucidité désenchantée, alors l'activisme. Sinon quoi, l'amitié ? la nature ? l'art ? Un livre comme une voix sensible que l'on écoute et que l'on suit pour ressentir en profondeur quelle vie possible, quelle poésie possible quand partout le feu.
Ainsi résumé, on pourrait croire à un classique roman social. Non. Car la forme choisie, ramassée, éclatée, restitue une force et une densité que peu d'entre eux atteignent. Fortement sensorielle, la prose d'Hélène Laurain se déploie en multiples précipités. C'est une réduction extrême, cette prose-là. du puissant concentré, du cuit à feu doux pendant des mois. Nul besoin de ponctuation, les impressions ne se découpent pas, les fulgurances non plus.
Un premier roman remarquable, d'une classe rare.
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Ce roman est une vraie claque, tant au niveau de son rythme, de sa musicalité, que du portrait qu'il fait de la génération catastrophe climatique et des deuils qu'elle se traine. On passe de scènes loufoques et drôles à d'autres, très émouvantes. Une boule d'énergie et de rage à lire absolument !
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
souvent encore j’en rêve
je monte dans la camionnette blanche en dernier
quand nos regards se croisent on sourit nerveusement
Taupe a le visage jaune éclairé par son 3310
pianote pianote pianote
on l’appelle
la sonnerie c’est la symphonie de Mozart là
Taupe dit OK et raccroche
C’est bon l’appel a été passé dit Taupe à la cantonade
faut se grouiller
je nous regarde avec nos combis orange
des cosmonautes de Guantanamo
On est à une ou deux minutes dit Fauteur au volant
j’ai super envie de pisser
ça me fait tressauter le genou
Taupe me l’immobilise d’autorité
Ça va aller respire elle me dit
c’est un ordre c’est pas pour rassurer
je respire
personne dit rien
et on les voit au loin
les silhouettes
sales même la nuit
des tours de refroidissement
sabliers doux
et la fumée
toujours
déjà Taupe qui me dit plus fort
Tiens-toi prête
prends l’échelle prends l’échelle
tout le monde a dans la main son outil
elle la disqueuse
Dédé la pince à coupe rase
Thelma la pince multifonctions
Jona la moquette
Fauteur la bannière sur le siège à côté de lui
il freine en dérapant

Sors sors on me crie
j’ouvre la portière arrière saute fais glisser l’échelle
le sac de Taupe tombe au passage Fais gaffe putain
je m’enfonce les ongles dans le pouce ça saigne
on a quelques minutes pour entrer
Thelma commence à paniquer
C’est ça le bâtiment on est d’accord hein c’est ça hein elle dit
le premier grillage on le passe à l’échelle comme prévu
on essaie de stabiliser la moquette sur les barbelés
on glisse dessus
comme ça
on se ramasse comme des merdes de l’autre côté
à part Dédé qui galère à se relever ça marche ça fonctionne
on est tous passés en environ une minute
le deuxième grillage
faut l’ouvrir
la disqueuse de Taupe et de chaque côté les pinces
agrandissent le trou
c’est comme dans du beurre
désormais
chaque geste est limpide
Vite vite vite Taupe dit on entend la sirène de la police
on plaque la moquette à l’intérieur du trou
on y passe
y’a Taupe qui dit Putain et qui se tient l’oreille mais pas le temps
Bannière la bannière grouille
on se met en place comme prévu moi en deuxième entre Taupe et Fauteur
et on la déroule pour notre drone
F U R I E V E R T E
TCHERNOBYL, FUKUSHIMA… FICKANGE ?
derrière y’a Thelma et Dédé qui sortent les feux des sacs à dos
Thelma a une tête d’on-devrait-pas-être-là
Jona la face bourrée de tics

les copains ont même pas capté les flics qui sont sortis
de leur voiture dérapante
les flics savent que c’est nous
Olivier a appelé pour prévenir
normalement ils savent
ils ont ouvert le premier grillage
on est à trois mètres d’eux avec notre banderole
et ça commence à péter au-dessus de nos têtes
bombes prune
bouquets mer
embrasements pers
cascades
soleils
paillettes
doré doré doré
ça fait
un ascenseur de couleurs sur la façade crade
et tout ça
juste à côté de la piscine à combustibles
les explosions croustillantes puis les aigus en enfilade
les bruits qu’on connaît par cœur
ceux de la barbe à papa et des desperados
ça rappelle
l’été
la nuit
même aux flics
et toutes ces étoiles
se reflètent sur l’uniforme
et le bruit couvre leurs voix
leurs gestes
moi je ris
jusqu’à la claque de Taupe derrière mon crâne
Laeti oh
les flics finissent par ouvrir le premier portail
je pisse un peu quand je vois qu’ils ouvrent déjà le deuxième
adrénaline
on se rend les mains en l’air

on n’est pas des cow-boys
ils se jettent sur nous quand même
bam la tête par terre je finis de me pisser dessus
la dernière fusée est lancée par l’un l’une ou l’autre
BOUM le saule pleureur
les épaules des policiers absorbent le choc sonore
en même temps
ils dansent
la lumière dessine quelque chose sur leurs visages
ils me soulèvent à quatre
Ma chaussure je crie
putain
il me manque une chaussure
par terre ma chaussure je crie
une claque bouche/nez
Ma chaussure je chuchote
ils me jettent dans le fourgon Ta gueule ils disent je suis assise comme un tas tout mal fait
et les autres copains en tas tout mal faits à côté je les sens trembler
à l’intérieur ça jubile bien
en silence
compliqué de se sentir plus vivant que ça
Thelma a le visage de c’était-pas-une-partie-de-plaisir
Fauteur est en face de moi cette fois
d’une camionnette à l’autre
on se regarde
son visage à lui m’encourage
je pense
ils ont la police
on a la peau dure
je lui souris
j’ai peur
en route pour la garde à vue
c’était un beau feu d’artifice
*
eczéma : main gauche jusqu’au majeur
aujourd’hui je suis du matin à La Crasse
en arrivant j’ai écrasé
un pigeon
j’ai rêvé ou son aile tressaillait encore
Balec fait son interview
avec la journaliste de terrepourtous.fr
il est avec elle
à l’extérieur
il pointe fièrement l’enseigne
la commente content
Snowhall de Thermes-les-Bains
Tout schuss vers le fun
on s’était tapé des heures de brainstorming
pour cette enseigne
à la fin on avait dû choisir
la première idée de Balec
ils entrent dans le hall
Balec y reste pour que tout le monde le voie
il a dû travailler toute la nuit sur ses éléments de langage
je fais l’accueil
par la vitre je vois la piste
vide
secouée de neige artificielle
je l’observe
agiter son corps arqué
j’entends des bribes
Très select
accueillant une piste de ski indoor
d’Auckland Dubai Madrid La Haye Shanghai Barcelone
de 620 mètres de long aussi
heureux d’avoir construit les
crassiers des hauts fourneaux

sous la neige
de la revalorisation de l’image de la région dans la
démarche de proximité visionnaire de
la part belle également
à l’équipe de France de ski alpin qui passe
malgré les faux procès dont nous sommes
moins polluant qu’une grosse piscine
de l’avenir de la discipline
il serre la main à la journaliste
nous rejoint les joues rouges
s’accoude l’air de rien au comptoir de l’accueil
détaché
Et l’arsenic l’amiante et le plomb
l’air pourri qu’on respire
t’en parleras la prochaine fois je lui demande
il renifle
Laetitia
ah Laetitia
avec son monosourcil froncé là
ça fait presque des frisottis
arrête avec tes conneries un peu
c’est des rumeurs pour bosser moins ça
tu crois qu’ils nous laisseraient travailler ici si y’avait de l’arsenic
c’est toi l’arsenic
bon allez il dit en se mettant en chemin
à la sortie du boulot
le pigeon à côté de ma portière
n’est désormais plus qu’une crêpe
maximum 5 millimètres d’épaisseur
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Bonjour
comment allez-vous depuis le temps
C'est Madame Mueller bonjour
Ah vous êtes mariée félicitations
Non
un silence
Alors qu'est-ce que ça a donné après la prépa
vers quoi vous êtes-vous dirigée
J'ai fait l'ESC Reims
c'était un cauchemar
après j'ai travaillé dans la communication un peu par dépit
c'était pas mieux
d'abord marketing digital
je ne sais pas ce qui ma pris
puis communication culturelle
un passage malheureux par les public relations à Luxembourg
puis j'ai fait une dépression j'ai arrêté maintenant je fais des petits boulots
et je milite
j'essaie de trouver du sens à ce que je fais voilà
Ah
très bien
je vois
eh bien
bon courage alors mademoiselle
silence
Vous n'avez pas changé en tout cas p. 130-131
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Nous implanterons un laboratoire ils écriront dans le rapport
et en réunion publique
ils diront
Ne vous inquiétez pas
c’est juste pour chercher
dans le public des voix s’élèveront
et demanderont
instabilité de l’argile
risques d’incendie
fuites
transports des déchets
irréversibilité
les hommes
proposeront expertement
d’arrêter d’hystériser le débat
avec un geste concomitant des deux mains
qui tassent l’air
ils auront un maître mot
pé.da.go.gie
les tables seront en Formica
ils se donneront l’air médiocre
leurs costumes seront mal coupés
ils feront creuser des galeries des tunnels des caissons
y logeront des statues de Sainte-Barbe
dans les alcôves
pour se protéger
ils feront des saucissons coffrés de déchets nucléaires
entourés
de verre cristallisé
ou d’acier inoxydable
120 ans après
ils fermeront boutique
le centre d’accueil des déchets
la boîte
sera fermée
Hermétiquement ils écriront
un sarcophage
ce sera garanti pour toujours
pour l’éternité
comme l’amour
en dessous de Boudin
à côté des éclats d’obus
des crânes et des os des poilus
il y aura des saucissons de déchets nucléaires
Nous créerons des commissions
« mémoires et transmission » ils écriront
il faudra en effet réfléchir
à la méthode de signalisation
de ces déchets imputrescibles
les plus radioactifs de France
pour le million d’années à venir
alors
ils seront brusquement pris
d’envies de poésie
ils envisageront
de graver des informations sur un disque de saphir
c’est beau le saphir
c’est bleu
ils réfléchiront
à des dessins éternels
mais au fond ils sauront bien
qu’ils condamneront Boudin
à être rayé de la carte
Nous définirons chaque étape
en concertation étroite avec la population ils écriront
d’abord ils s’approprieront ce nom
ils le rendront encore plus misérable
et ensuite
ils s’approprieront le territoire
hameaux
villages
maisons
forêts
champs
englouti Boudin
avec un nom pareil de toute façon
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J'ai en persistance rétinienne
l'image de moi dans un EHPAD
avec personne d'aimé pour se souvenir
que j'existe
de toute façon
je serai morte avant
alors
quoi de plus généreux
que de ne pas enfanter
dans ma vie-deuil
et dans ce monde
trou noir
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je mate le JT avec Pépou
des femmes aux habits fuchsia et jaunes
qui chantent au sommet de cerisiers
chatouillent de leur plumeau
les fleurs
les plumes de poulet
– on utilise parfois
un filtre de cigarette
ou un effaceur Reynolds –
sont trempées au préalable
dans du pollen frais
tiré d’une boîte de chewing-gums
accrochée à leur cou
elles disent
Pour extraire du pollen fertile des fleurs mâles
ces fleurs il faut les frotter délicatement à l’aide
d’une brosse à dents
déposer les grains jaunes dans un carton
tapissé de papier journal
puis les faire sécher
sous une ampoule
ou au soleil
et les moudre
– on ne tombe pas dans le piège
d’acheter le pollen
qui perd si vite sa fertilité
rien que le temps du transport –
ensuite
agir vite
grimper aux arbres
chanter
caresser
danseuses des cimes on les appelle
ça fait plus folklore
moins cauchemar
elles font ça deux semaines par an
Ça aide les arbres à faire de plus gros fruits
dit l’une en souriant
le patron en lunettes de soleil confirme
il faut l’admettre
c’est plus cher que de louer des ruches d’abeilles d’élevage
ces femmes-abeilles
elles coûtent 11 € par jour
à quoi il faut ajouter déjeuner et dîner
mais c’est beaucoup plus rentable
conclut Lunettes-de-soleil
certaines ont acquis une belle dextérité
depuis plus de vingt ans de pratique
on attribue la plupart du temps la disparition des abeilles
au recul de la forêt
et à l’utilisation intensive de produits phytosanitaires
quelques-uns évoquent même
l’utilisation systématique des moineaux
lors du Grand Bond en avant
plus précisément
lors de la Campagne des quatre nuisibles
contre les rats
mouches
moustiques
moineaux
l’extermination de ces derniers
aurait conduit à une prolifération des insectes
qu’il a fallu exterminer à leur tour
cependant
cette dernière hypothèse n’a pas été confirmée
par tous les scientifiques
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