Nous trouvâmes les Chattes de la Pairie qui venaient me féliciter et m'engager à entrer dans leur Société Ratophile. Elles m'expliquèrent qu'il n'y avait rien de plus commun que de courir après les Rats et les Souris. Les mots "shocking", "vulgar", furent sur toutes les lèvres.
- My dear, lui dis-je, avez-vous le capital nécessaire pour payer les dommages et intérêts au vieux Puff ?
- Je n'ai d'autre capital, me répondit le Français en riant, que les poils de ma moustache, mes quatre pattes de cette queue.
Il était donc réservé à la race anglaise, qui pouvait aller d’un bout du monde à l’autre sur ses vaisseaux sans avoir à craindre l’eau, de répandre les principes de la morale ratophile. Aussi, sur tous les points du globe, des Chats anglais prêchaient-ils déjà les saines doctrines de la Société qui d’ailleurs étaient fondées sur les découvertes de la science. On avait anatomisé les Rats et les Souris, on avait trouvé peu de différence entre eux et les Chats : l’oppression des uns par les autres était donc contre le Droit des Bêtes, qui est plus solide encore que le Droit des Gens. « Ce sont nos frères, » dit-il. Et il fit une si belle peinture des souffrances d’un Rat pris dans la gueule d’un Chat, que je me mis à fondre en larmes.
En me voyant la dupe de ce speech, lord Puff me dit confidentiellement que l’Angleterre comptait faire un immense commerce avec les Rats et les Souris, que si les autres Chats n’en mangeaient plus, les Rats seraient à meilleur marché ; que derrière la morale anglaise, il y avait toujours quelque raison de comptoir ; et que cette alliance de la morale et du mercantilisme était la seule alliance sur laquelle comptait réellement l’Angleterre.
Revenons à la vie sauvage où nous n'obéissons qu'à l'instinct, et où nous ne trouvons pas des usages qui s'opposent aux vœux les plus sacrés de la nature.
Je suis née chez un ministre du Catshire, auprès de la petite ville de Miaulbury. La fécondité de ma mère condamnait presque tous ses enfants à un sort cruel, car vous savez qu'on ne sait pas encore à quelle cause attribuer l'intempérance de maternité chez les Chattes anglaises, qui menacent de peupler le monde entier.
Beauty, tu pourras sacrifier les convenances avec d'autant plus de charme que tu te seras retenue en public. En ceci éclate la perfection de la morale anglaise qui s'occupe exclusivement des apparences, ce monde n'étant hélas ! qu'apparence et déception.
…le Pair amena le plus beau matou de la Pairie. Puff, noir de robe, avait les plus magnifiques yeux, verts et jaunes, mais froids et fiers. Sa queue, remarquable par des anneaux jaunâtres, balayait le tapis de ses poils longs et soyeux. Peut-être venait-il de la maison impériale d’Autriche, car il en portait, comme vous voyez, les couleurs. Ses manières étaient celles d’un chat qui a vu la Cour et le beau monde. Sa sévérité, en matière de tenue, était si grande, qu’il ne se serait pas gratté, devant le monde, la tête avec la patte…. Puff était, dans le beau monde des chats anglais, le plus riche parti pour une chatte née chez un ministre ; il avait deux valets à son service, il mangeait dans de la porcelaine chinoise, il ne buvait que du thé noir, il allait en voiture à Hyde-Park et entrait au parlement.
On ignorera toujours ce que pensent les femmes, surtout celles qui se mêlent d’écrire ;