Kaboul Express

— C'est une pure, insiste le vieillard, se méprenant sur la réponse de Zwak. Pas une femme d'occasion. Personne ne l'a encore touchée. C'est le plus beau des cadeaux, qu'Allah soit Loué pour Sa munificence ! Tu peux faire ce que tu veux avec elle. Tout. Ainsi, tu seras bien expérimenté quand tu recevras les soixante-douze houris promises aux martyrs, au paradis d'Allah.

Vengez tous nos frères humiliés depuis des siècles par les complots des juifs et des croisés français ! Tuez les hommes, ce sont des porcs ! Tuez leurs femmes, elles ne sont que des prostituées. Tuez leurs nourrissons et leurs enfants maudits, ils ne sont que des singes qu'il faut écraser ! Il est licite de frapper. Il est juste de frapper. Frappez, frappez fort, frappez toujours et frappez encore !

Un autre, brûlé au troisième degré dans sa cuisine – hum... sans doute un crime d'honneur raté, il devait s'apprêter à corriger sa femme et c'est lui qui s'est brûlé, ce crétin. – Il relève la tête. – Ça arrive souvent, il y en a plein, des idiots pas foutus de foutre correctement le feu à leur bonne femme. L'alcool à brûler, quand la bouteille explose, ça rigole pas.

Zwak n'est qu'un adolescent mutique et chétif, sans le moindre poil au menton dans un monde où la foi se juge à la longueur de la barbe.

Les talibans prouvent leur présence par des attentats presque toutes les semaines, ils gagnent partout du terrain. Désormais, ils contrôlent officieusement près du tiers du pays - des poches d'insurrection sont signalées à moins de cinquante kilomètres de la capitale, mais chacun fait comme si de rien n'était. Cela donne une atmosphère étrange, entre espoir, résignation et déni de la réalité. Une atmosphère de fin de règne. L'apparence des passants - de plus en plus arborent une barbe fournie et un pantalon retroussé sur les chevilles - indique que le vent pourrait tourner, que certains se préparent déjà à un changement de régime.

Dans le monde de Daech, la mort fait partie intégrante de la vie quotidienne, on ne la cache pas, au contraire : elle est en scène pour l'édification du peuple.

Je n'en peux plus de devoir regarder derrière mon dos quand je marche dans la rue, d'avoir peur que quelqu'un me poignarde ou me vitriole parce que je ne porte pas le voile. De cacher à tout le monde à l'hôpital quelles sont mes vraies croyances. De me réveiller le matin au son des explosions, en sachant qu'une nouvelle boucherie vient d'avoir lieu.

Sur le côté de la place centrale, deux cadavres sont accrochés à des lampadaires, des traîtres pendus pour une raison quelconque par la police islamique, un panneau avec la mention « Hypocrite » attaché à leur cou. Les adultes passent devant sans y prêter attention – peur ou habitude -, mais Zwak remarque un instituteur accompagné d’une dizaine de petits garçons, en pleine explication devant le macabre spectacle. Dans le monde de Daech, la mort fait partie intégrante de la vie quotidienne, on ne la cache pas, au contraire : elle est mise en scène pour l’édification du peuple.

Le pire, ici, ce n'est pas la chaleur, ce sont les tempêtes de sable. Quand le vent se lève, on change de monde. Il peut atteindre deux cent kilomètres à l'heure et souffler pendant des jours, parfois des semaines. Il est si puissant qu'il charrie des quantités de déchets, ce qui le rend complétement opaque, d'où son nom de vent noir. Une fois dedans, on se croit en pleine nuit.

Ici, les gens sont pauvres, trouver de l'eau et de quoi manger occupe l'essentiel de leur quotidien. Ils se déplacent à pied ou à motocyclette, dans un désordre complet.