Le titre est assez dérangeant. Associer enfant et mal a quelque chose de contre-nature. Un enfant, fruit d'un acte d'amour, est un miracle. Normalement. Il peut aussi hélas être le fruit d'une union délétère…Les enfants d'assassins, de violeurs, de pédophile, de criminels nazis, de déséquilibrés mentaux violents, bref de ce que « tout le monde peut contenir d'horreurs et de laideurs », voilà à qui donne la parole
Laure Barachin et c'est une chose suffisamment rare pour être, avant toute chose, salué. Et ces enfants de personne, ces enfants de rien, ces abandonnés, ces rejetés, ces non aimés, ces mal aimés deviennent aussi des miracles de vie lorsqu'ils sont capables de dépasser leurs origines, de faire taire cette sensation de culpabilité qui très souvent les suit, d'annihiler ce sentiment d'être irrécupérables car héréditaires de gènes monstrueux. Certains y parviennent. D'autres non.
« Des parents détestables ne sont pas eux-mêmes détestables. Ceci dépend de la volonté de chacun. N'écoutez pas ceux qui disent le contraire. Ils condamnent leur prochain avant qu'il ait commis une faute. Rassurez-vous, la naissance n'en est pas une».
Je ne peux m'empêcher de penser à celles et ceux qui en font une force. Voire qui transforment l'origine du mal en source de beauté. L'origine du mal en source d'inspiration artistique. Je ne peux m'empêcher de penser notamment à Barbara et à l'aigle noir…ce père incestueux…J'ai toujours ressenti un respect admiratif pour cette femme sombre qui est fêlure et délicatesse, faille et touchante sincérité. Se transcender, trouver une forme de résilience par le chant, la musique, la danse, la peinture ou par l'écriture.
Capucine, dans le livre qui nous concerne, en fait un beau récit qu'elle dédie à sa fille. Lui offrir toute la vérité, depuis le foyer des Lilas où elle a été recueillie après avoir été abandonnée tout bébé jusqu'à ses origines retrouvées (tout à la fin du livre, très marquante d'ailleurs cette fin, menée avec brio par l'auteure). Ce récit est la preuve que Capucine est un miracle. Malgré tout. Il n'y a aucune fatalité. Pour peu qu'on ait le courage d'affronter ses origines, de les accepter. Barbara, revisitant son enfance, chantait de sa voix unique : « J'ai marché les tempes brulantes / Croyant étouffer sous mes pas / les voies du passé qui nous hantent / Et reviennent sonner le glas ».
« Nous sommes des fleurs, surtout moi grâce à mon prénom, judicieusement choisi par le prêtre qui m'a trouvée, des fleurs qui poussent et grandissent coûte que coûte sur une terre hostile et rocailleuse en proie aux vents du nord. Quelle belle image, n'est-ce pas ? », oui une belle image, c'est exactement comme ça que je vois ces enfants, comme ça que
Laure Barachin braque ces lumières sur tous les enfants que nous trouvons dans son livre, Capucine, Lucie, Chris, Samuel.
Des fleurs de bitume. Des fleurs de bunker. Des lys dans des vallées de désolation et de violence. Et non des mauvaises herbes. Ce livre leur rend hommage, explique les conséquences possibles des traumatismes subis (la lecture peut être délicate par moment), et détaille le parcours de Capucine et de Chris. Leur combat. Leurs choix. Leurs décisions.
On rencontre dans ce roman de belles et touchantes fleurs de bitume, des citations et des
poèmes de grands auteurs,
Victor Hugo,
Baudelaire,
Balzac,
Emily Brontë, entre autres, tels des moments de respiration bienvenus, un style sincère, tendre, sans fioriture, quoique, et ce sera mon seul bémol, par moment un peu trop éploré pour moi et dans lequel
le message religieux est (trop ?) présent (avis éminemment personnel), un témoignage dont l'intensité monte crescendo et dont la fin, captivante, se termine par un grand message d'amour et d'espoir. L'amour qu'éprouve
Laure Barachin pour les enfants, quels qu'ils soient, est une graine ayant enfanté ce livre, livre nous permettant de nous poser de multiples questions, des questions liées à l'hérédité, à notre liberté par rapport à nos origines, à l'éducation, à nos choix.
« Vous auriez sûrement préféré ne pas venir au monde mais vous avez tort car chaque vie est nécessaire. Tout être humain est libre de choisir entre le bien et le mal, vous y compris, loin des déterminations de l'hérédité. Vous êtes vous et non un mélange des caractéristiques de votre père et de votre mère. Votre existence sera ce que vous en ferez, vous serez ce que vous voudrez être. »
Une lecture qui ne peut laisser indifférent ! Un texte pour les bercer sans douces illusions, ces fleurs de bitume libres au vent…pour cueillir en tremblant, des étoiles, des étoiles…