Il y a plus de mille ans vivait en Bretagne un enchanteur qui se nommait Merlin.
Il était jeune et beau, il avait l'oeil vif, malicieux, un sourire un peu moqueur, des mains fines, la grâce d'un danseur, la nonchalance d'un chat, la vivacité d'une hirondelle.
Le temps passait sur lui sans le toucher. Il avait la jeunesse éternelle des forêts.
Il possédait les pouvoirs, et ne les utilisait que pour le bien, ou ce qu'il croyait être le bien, mais parfois il commettait une erreur, car s'il n'était pas un humain ordinaire, il était humain cependant.
Pour les hommes il était l'ami, celui qui réconforte, qui partage la joie et la peine et donne son aide sans mesurer. Et qui ne trompe jamais.
Pour les femmes, il était le rêve. Celles qui aiment les cheveux blonds le rencontraient coiffé d'or et de soleil, et celles qui préfèrent les bruns le voyaient avec des cheveux de nuit ou de crépuscule. Elles n'étaient pas amoureuses de lui, ce n'était pas possible, il était trop beau, inaccessible, il était comme un ange.
Seule Viviane l'aima, pour son bonheur, pour son malheur peut-être, pour leur malheur ou leur bonheur à tous les deux, nous ne pouvons pas savoir, nous ne sommes pas des enchanteurs.
Pour tous il était l'irremplaçable, celui qu'on voudrait ne jamais voir s'en aller, mais qui doit partir, un jour.
Quand il quitta le monde des hommes, il laissa un regret qui n'a jamais guéri. Nous ne savons plus qui est celui qui nous manque et que nous attendons sans cesse, mais nous savons bien qu'il y a une place vide dans notre coeur.
(introduction de "L'enchanteur" paru chez "Folio" en 1987)
Si beau, si bon, si parfait soit un être humain homme ou femme, il cache toujours au fond de son cœur quelques grouillements de crapauds qu'il veut ignorer ou qu'il combat et maîtrise.
On ne saura plus rien, à l'époque où on croira tout savoir.
Il élevait des bêtes et cultivait des fleurs nouvelles dans ses jardins où se promenaient avec orgueil des paons stupides et superbes qui portent toute leur gloire au derrière.
Mais les dieux ne meurent pas. Quand le temps de leur puissance s'achève, ils se retirent en des lieux secrets ou se transforment en des phénomènes naturels qui leur permettent d'être présents sans qu'on les reconnaisse.
C'était un malheur commun en ce temps-là : un dragon s'installait quelque part, près d'un village, de préférence dans une profonde caverne, et exigeait qu'on lui livrât à date fixe une fille vierge sans quoi il détruirait le village, incendierait les récoltes et réduirait les paysans en bouillie.
On n'a jamais su pourquoi les dragons exigeaient des filles vierges. Car ils ne les demandaient pas pour en user charnellement, mais seulement pour les manger. On aurait pu penser qu'une dame un peu grassette, ou même un bœuf, auraient mieux fait l'affaire. Mais non : les dragons, tous les dragons, ont toujours voulu des filles vierges. C'est un mystère.
Nous ne savons plus qui est celui qui nous manque et que nous attendons sans cesse, mais nous savons bien qu'il y a une place vide dans notre cœur.
"[En parlant de Guenièvre et Lancelot]. Les amants ont leur propre vocabulaire mais il n'a de signification que pour eux. Alors laissons Guenièvre et Lancelot murmurer, balbutier, chanter leur amour, leur folie, leur éblouissement. La porte s'est refermée. Eloignons-nous, en silence..."
Le reste de la page est vide.
Au milieu de la page suivante il y a :
A l'intérieur de cette page blanche Guenièvre et Lancelot s'aiment.
On me nomme parfois fils-de-roi, dit Lancelot. Qu'est-ce qu'un roi ?
Rien de plus qu'un homme, dit Viviane.
Ici nous ne pouvons que nous taire. Pour décrire l’amour qui s’accomplit, tant de joie éperdue, la timidité d’abord, peut-être l’effroi, le cœur qui veut sauter hors de la poitrine, les mains qui veulent connaître, qui se tendent, qui se posent, qui se brûlent, la découverte, l’émerveillement, les corps qui se joignent peau à peau et s’unissent, la stupeur, l’envol, le bonheur de l’autre, la douce lassitude, la tendresse, la gratitude infinie, et la redécouverte et le nouvel élan, et les frontières de la joie sans cesse reculée, et celles du monde volant en éclat, pour dire la délivrance du cœur que plus rien ne gêne, l’épanouissement de l’esprit qui comprend tout, pour donner même une faible idée de ces moments hors du temps et de toutes contraintes, il faudrait employer d’autres mots que ceux dont dispose le langage ordinaire.