Des rumeurs venues des temps perdus laisseraient supposer qu'avant l'Aventure de la Table Ronde, Merlin avait déjà plusieurs fois envoyé les hommes à la recherche du Graal. Car si nul ne sait ce que contient le Graal, du moins est-on assuré que lorsque les hommes s'en détournent, ils perdent la joie d'exister, car ils ne savent plus ce qu'ils sont, ni pourquoi ils sont. Ils cessent d'être vivants : ils sont seulement en vie.
C'était un malheur commun en ce temps-là : un dragon s'installait quelque part, près d'un village, de préférence dans une profonde caverne, et exigeait qu'on lui livrât à date fixe une fille vierge sans quoi il détruirait le village, incendierait les récoltes, et réduirait les paysans en bouillie.
On n'a jamais su pourquoi les dragons exigeaient des filles vierges. Car ils ne les demandaient pas pour en user charnellement, mais seulement pour les manger.
On aurait pu penser qu'une dame un peu grassette, ou même un boeuf, auraient mieux fait l'affaire. Mais non : les dragons, tous les dragons, ont toujours voulu des filles vierges. C'est un mystère.
Si le Diable parle parfois, Dieu se tait, toujours. Il faut trouver les réponses seul. Merlin cherchait.
Mais dans ce bout de continent qui avait encore des noms changeants, un dieu nouveau s'avançait, venu de Jérusalem, où il était mort et ressuscité, en même temps qu'il régnait en permanence dans les cieux.
Il balaya devant lui les autres dieux. Ce n'était pas qu'il refusât de partager : il n'en avait même pas l'idée.
Il était l'Unique, il occupait la totalité de l'espace et du temps, qu'il avait créés. Il eût, malgré cela, bien toléré les autres dieux, ils ne le gênaient pas, ils étaient éparpillés, minuscules, ils ne se différenciaient pas essentiellement de lui, ils étaient son propre reflet émietté par les miroirs de la vie. Mais une armée de prêtres et de moines intolérants ratissaient en son nom les campagnes, proclamant qu'il était un dieu jaloux, ce qui était faux, à son niveau on ne peut être ni jaloux, ni vengeur, ni justicier. La justice se fait d'elle-même dans le cœur des vivants.
On ne croyait pas uniquement à ce qui était raisonnable. La raison rétrécit la vie, comme l'eau rétrécit les tricots de laine, si bien qu'on s'y sent coincé et on ne peut plus lever les bras.
Où il y a du feu, dit Merlin, il y a toujours un peu du Diable.
A l'intérieur de cette page blanche Guenièvre et Lancelot s'aiment.
– Qu'est-ce qu'un roi ?
– Rien de plus qu'un homme.
A L’INTÉRIEUR
DE CETTE
PAGE BLANCHE
GUENIÈVRE
ET LANCELOT
S'AIMENT.
À l'intérieur de cette page blanche Guenièvre et Lancelot s'aiment