C'est l'histoire d'un homme à la chevelure d'or et de feu et d'une blanche licorne qui s'aiment dans l'embrasement d'un lointain automne et la lumière des genêts.
C'est l'histoire de leurs descendants, lignée royale -ou un peu moins- au sang dans lequel coule autant de fureur et de douceur que de piété, d'amour et de folie.
C'est l'histoire -tourmentée- de l'Irlande. L'Irlande dépossédée, humiliée, affamée, mais fière, belle, sauvage. Belle et rebelle.
C'est l'histoire d'un renard qui un peu comme celui du Petit Prince ne se laisse apprivoiser que par celles et ceux qui le méritent, qui croient en lui.
C'est l'histoire de l'île de Saint-Albans, toute au bord de l'Irlande et couverte d'arbres et de fleurs, prison merveilleuse de brume et d'eau.
C'est surtout l'histoire de cinq filles libres et rêveuses, fortes et fragiles à la fois, incroyablement vivantes, charnelles qui se ressemblent sans se ressembler, qui ne se comprennent pas toujours. Elles sont filles d'Irlande et du Gulf Stream -dragon de vent et d'eau- , filles surtout d'un père rêveur et érudit, petite fille aussi d'un grand-père fantasque.
C'est une histoire d'amour et de sang, de révolte et d'espoirs, de deuils, de grands malheurs.
C'est une histoire fantastique aussi, frémissante de cette magie en laquelle on se désole de ne pas croire.
J'ai tellement aimé "
Les Dames à la Licorne", plus encore que "
L'Enchanteur" qui m'avait pourtant bouleversée. et je sais déjà que je le relirai.
Alors oui, il ne faut pas se fier aux atroces couvertures dont les éditeurs l'ont affublée et qui font croire à la pire des harlequinades, et si vous passez outre le mauvais gout, vous risquez d'être ensorcelé comme je l'ai été.
Tout commence par la rencontre de Foulques d'Anjou avec la Licorne dont les enfants essaimeront et graviront les trônes d'Angleterre et d'Europe, par ce sang qui charrie la violence de l'être humain et la lumière de la fée. Les chapitres qui inaugurent ainsi le roman font la part belle au Moyen-Age et à la lignée d'Anjou dont ils énumèrent les hauts faits avec faste, somptuosité, opulence (les accumulations sont nombreuses!) dans une langue incroyable de poésie et un présent de narration qui peut dérouter mais qui m'a envoutée. Un fil rouge dans cette généalogie: la présence du sang de la licorne -et de sa magie- dans chaque descendant de la lignée jusqu'au XIX°siècle et l'arrivée en Irlande d'une branche abâtardie des Plantagenêt.
Il y a d'abord sir Jonathan qui voit mourir ses parents, graciles et diaphanes comme des anges et qui, aussi amoureux de l'Irlande que de la femme qu'il épouse, quitte le sombre manoir de ses ancêtres pour bâtir son paradis sur Saint-Albans. L'homme est un peu fou, fantasque mais sait gagner l'amour des paysans irlandais de ses terres grâce à son affection pour le pays et au temps de la grande famine qui tua tant d'habitants, il parvient à sauver plus de vies que quiconque ne l'en aurait cru capable.
John, son fils, s'installe à son tour sur l'île qu'il avait quitté pour étudier à Londres. A ses côtés, Harriett, une jeune britannique qui craint l'Irlande autant que les fantômes mais qui par devoir plus que par amour suit son chercheur de mari à Saint-Albans où elle donne naissance à cinq filles: Alice, Kitty, Griselda, Helen et Jane aux tempéraments dissemblables, cinq soeurs dont les destins prendront des chemins bien différents. La plus romanesque, la plus sauvage d'entre elle porte un prénom de conte de fées; c'est Griselda, Griselda qui rêve d'aventures, de liberté. Griselda l'irlandaise, la passionnée, l'oiseau, libre comme le vent, changeante comme le ciel.
Les intrigues se croisent dans ce roman qui parle autant d'Histoire et de l'Irlande, de légendes que de foi, de politique que de famille mais je crois qu'au fond ce qui l'habite -ou en tout cas ce que j'en perçois- le plus intensément c'est l'amour: l'amour pour la personne qu'on aime à la folie, l'amour pour les siens, pour sa maison natale, pour son pays et c'est ce qui rend ce roman aussi lumineux et paradoxalement aussi mélancolique, un peu comme "
L'Enchanteur" et comme dans ce dernier, ce qui fait la grande force de ces "Dames à la Licorne", c'est la langue et le style de
Barjavel: lyrique, poétique, sensuel qui rend chaque élément décrit réel, palpable, tangible, qui transfigure et transcende chaque passion vécue jusqu'à la rendre vivace, presque douloureuse.
Ainsi l'amour de Shawn et de Griselda va au delà des mots et devient si tangible qu'on perçoit jusqu'à leurs frissons, qu'on entend leurs battements de coeur.
Ainsi, on voyage en Irlande et on la sent balayée par les vents, nimbée de brume. On aperçoit ses landes de bruyères parsemées de chaumières dans lesquelles flambe un feu de tourbe. On respire l'air de la mer chargé d'écume et on croit entendre, au loin, le chant poignant d'un violon.
L'Irlande, c'est d'ailleurs -et au même titre que l'amour fou qui l'irrigue- l'autre merveille de ce roman, l'Irlande et ses paysages donc, mais l'Irlande et son histoire aussi, ses rébellions, ses espoirs et ses malheurs qui en font une terre de légendes. Une terre fière surtout.