Le communisme et les élites en Europe centrale

Un autre domaine sensible de la mythologie communiste a été l'émancipation de la femme et son égalité complète avec l'homme. Ceci devait se refléter aussi au niveau des élites où on constate effectivement une certaine infusion féminine : les femmes dans l'appareil politique, où il n'y en avait trace le communisme, ou un nombre sensiblement plus grand de femmes dans les universités (enseignantes et étudiantes). Les résultats furent pourtant modestes par rapport à l'égalité proclamée. À mesure que l'on montait l'échelle, le nombre des femmes se raréfiait.
À l'époque de Ceaușescu, deux tendances contradictoires s'affrontèrent de : d'une part, une certaine insistance sur le rôle de la femme dans la vie politique, la culture et la science (symbolisée par l'épouse du dictateur et, à l'ombre de celle-ci, par quelques autres figures féminines), et, d'autre part, la politique nataliste lancée en 1966, qui affirmait sans ambages la mission essentiellement reproductrice et maternelle de la femme (aboutissant à une véritable surveillance policière de l'acte de reproduction, extrêmement humiliante pour les femmes et les familles). Entre la mythologie et la réalité, ce fut plutôt la réalité qui s'imposa : égale à l'homme au travail, la femme remplissait un travail supplémentaire à la maison et était fortement conditionnée par ses obligations de mère de famille, dans une société où, au-delà du discours communiste libérateur, les habitudes restaient plutôt patriarcales.
(p. 211, La part des femmes, dans Lucian Boia, « Les élites communistes roumaines, réalités et imaginaires »)

L'actuelle élite–et en particulier l'élite politique et économique–est en train de réussir la performance de conserver, voire d'amplifier la prééminence acquise au temps du communisme, tout en faisant semblant de n'avoir pas grand-chose en commun avec cette époque-là. Le résultat le plus durable du communisme aurait été la substitution des anciens élite par des élites nouvelles. Évidemment, tout change avec le temps ; ces élites sont elles aussi en train de se renouveler sous la pression des nouvelles réalités historiques et par l'affirmation d'une nouvelle génération.
(p. 203)