J'ai rarement lu un livre qui a suscité en moi autant de sentiments négatifs.
Comment parler des livres que l'on a pas lus ? Naïvement je pensais que cet ouvrage aurait pour but de déculpabiliser les lecteurs sur le fait de ne pas pouvoir tout lire ou de pas avoir tout lu mais de néanmoins avoir le droit d'en parler ou encore sur d'éventuels techniques pour imbriquer vague connaissances et façon de s'exprimer pour pouvoir en parler à son aise.
Que nenni.
Pierre Bayard nous étale ici 160 pages d'une logorrhée nombriliste, condescendante et à côté de la plaque. Ce livre m'a mis mal à l'aise et m'a extrêmement dérangé. Pas une seule fois, je répète, pas une seule fois l'auteur ne mentionne le plaisir de la lecture. Ni l'amour de la littérature. Pas une seule.
Ce livre est une véritable apologie de la non lecture. D'ailleurs l'auteur le dit lui même : «je m'exprime pour ma part d'autant plus longuement et d'autant mieux sur les livres que j'ai pratiquement cessé d'en lire», sidérant. Son ouvrage et son argumentation sont entièrement tourné vers l'ostentation de la lecture. Ou plutôt de la non-lecture. Dans ce livre il n'est nullement question de la lecture pour soi, mais de la lecture pour les autres. Celle qu'il faut montrer, étaler, laisser dégouliner de toute parts dans un espèce de culte du paraitre dont il nous semblait pourtant que la société actuelle était déjà gavé.
L'ouvrage s'articule en trois parties : la première est sur les « différentes manières de ne pas lire », qui sont au nombre de quatre selon lui : les livres parcourus, les livres oubliés, les livres qu'on ne connaît pas et les livres dont on a entendus parler. Cette entrée en matière est la partie où il fait montre du plus grand snobisme que j'ai jamais lu. Matraquant que la culture n'est pas de lire des livres mais de savoir faire les liens entre eux, d'en connaitre les enjeux, le contexte et que sais-je encore, bref de connaitre tout ce qui entoure l'oeuvre, que cela suffit et que ça peut donc se faire en se passant de la corvée avilissante de lire, réservé semble t-il une catégorie de population aux capacités intellectuels bien pauvres, voire limités. « Les communication et les correspondances, c'est bien cela que doit chercher à connaitre l'homme cultivé, et non un tel livre en particulier (…) les relations entre les idées importent beaucoup plus, dans le domaine de la culture, que les idées elles-mêmes ».
Si ne ce n'était pas assez pour nous éblouir de son complexe de supériorité, voici qu'il ajoute plus loin (à propos d'une personne qui ne lirait aucun livre à l'instar du bibliothécaire de Musil) « c'est sa compréhension du lien étroit entre contenu et situation, qui la détermine à agir ainsi, avec une sagesse supérieur à celle de nombreux lecteurs », nous voilà, pauvres lecteurs, rhabillés pour l'hiver.
Donc pour chaque catégories de livres non lus (parcourus, oubliés etc), il illustre ses raisonnements à l'aide d'exemples issu de sa culture (qu'il conviendrait d'appeler non-culture si on lui appliquait son propre raisonnement) littéraire, mais les liens qu'il établi avec ces exemples sont pour le moins alambiqués et improbables, donc à peine pertinents. Dans son chapitre sur les livres oubliés il prend pour exemple
Montaigne, qui dans ses Essais s'est confié sur les oublis dont il est la proie (enfin si j'en crois Monsieur Bayard… et puisque l'on ne peut pas se fier à ses « lectures »…) bref, ses oublis sont prétexte à l'auteur pour établir l'édifiante conclusion que : « la notion même de lecture tend à perdre toute pertinence, n'importe quel livre, ouvert ou non, finissant par équivaloir à n'importe quel autre ». Surréaliste.
La seconde partie porte sur « les situations de discours » : dans la vie mondaine, face à un professeur, face à un écrivain et face à l'être aimé. Cette partie est d'une vacuité totale où tout le fond tient dans l'illustration grâce, encore une fois, à des exemples décortiqués à outrance et n'ayant qu'un vague lien (ou pas) avec la situation qu'il se proposait d'aborder. Vacuité totale dis-je. Mais ce qui est le plus tristement frappant c'est que l'auteur considère que la lecture n'a pour unique fin que de briller en société. Ni plus ni moins. Si l'on lit, pardon, si on « non-lit », c'est pour pouvoir montrer que nous l'avons fait. C'est d'une tristesse abyssale.
La dernière partie s'intitule « des conduites à tenir » et nous assomme avec les quatre sous thèmes suivants : ne pas voir honte (d'étaler notre culture ? nooon !), imposer ses idées (oui puisque la lecture n'est qu'un rapport de force !), inventer des livres (au point où on en est…) et parler de soi (narcissisme quand tu nous tiens !).
Affligeant.
Il aurait fallu que l'auteur soit honnête et avouer que ce livre a été écrit pour un espèce d'entre soi universitaire (combien de fois nous a t-il rappelé son formidable statut et les contraintes qui y sont liés ! notamment quand il est forcé de lire les livres rébarbatifs de pauvres collègues qui attendent son avis, lecture qu'il ne fera pas bien sûr car il adoptera l'exact opposé de l'adage "séparer l'oeuvre de l'artiste" et puisqu'il connait ses collègues...il connait donc leur oeuvre sans besoin de lire !).
Ou bien alors s'agissait-il de rédiger un manuel à l'adresse du métier de critique littéraire ? Car lorsque l'on lit « parler d'un livre a peu de choses à voir avec la lecture », « devenir soi même créateur, c'est bien à ce projet que conduit l'ensemble des constatations faites ici (…) car parler des livres non lus est une véritable activité de création » le doute n'est plus permis…
Pour qui est amoureux des livres, de ce qu'ils sont, ce qu'ils procurent, ce qu'ils véhiculent, ce qu'ils créent sur nos coeurs, nos esprits et nos imaginations, voir l'acte de lecture ainsi bafoué, ainsi piétiné, ainsi réduit à une vulgaire action mécanique, est véritablement navrant.
L'auteur termine en disant ceci (à propos de lire pour parler des livres) : « j'aurais le sentiments, si je procédais autrement et rejoignais la foule de lecteurs passifs, de me trahir moi-même en étant infidèle au milieu d'où je viens », et bien restez-y Monsieur Bayard.
Quel regret pour moi, et quelle ironie, d'avoir lu un livre dont l'auteur se targue de ne jamais lire…
Lecteurs sincères et ordinaires, fuyez ce triste ouvrage, nous n'en sommes pas les destinataires.