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sur 340 notes
Que Dieu me savonne !
Et que Bernard Pivot me pardonne !
Je ne l'ai pas lu, et du coup sans l'avoir lu, j'ai décidé de ne pas le lire, car sans avoir l'intention d'en parler en ne l'ayant pas lu, je me porte aussi bien que ceux qui en parlent en l'ayant lu.
Donc on pourrait ne pas lire les livres dont on va parler !
Voilà un théorème qui ouvre de nouvelles perspectives.
Et qu'en est-il de sa transitivité* ?
A-t-on le droit de lire un livre dont on ne va pas parler ?
A-t-on le droit de ne pas lire un livre dont on ne va pas parler ?
A-t-on le droit de lire un livre qui n'a pas été lu ?
A-t-on le droit de lire un livre qui n'a pas été écrit ?
Déjà, avec Mr Pennac, le droit du lecteur avait bien progressé.
Merci Mr Pennac !
Nous avions acquis le droit de griffonner, de corner, d'abandonner, de lire n'importe où, et n'importe quoi, le droit de grappiller, de lire à haute voix ou de nous taire ...
C'est encore parfois ce que l'on fait de mieux.
Que Dieu me savonne !
Et que Bernard Blier, Jean Lefebvre, Michel Serrault et Tsilla Chelton me pardonnent !
C'est pas parce qu'on a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule ...

*Je ne suis pas sûr du terme "transitivité", je n'ai pas lu, durant mon année de sixième, le manuel de math dont par contre je pourrai bientôt faire une critique passionnante, acerbe, drôle mais cependant émouvante, et finalement si juste.






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"Le Marchand de Venise, hein ! Voilà une pièce, monsieur ! le génie ! Merveilleux, monsieur, c'est merveilleux ! Prenez tous les personnages, et où trouvez-vous quelque chose de semblable ? Prenez Antonio, prenez Sherlock, prenez Saloonio...
- Saloonio, colonel ? Ne feriez-vous pas erreur ?"
(S. Leacock, "Saloonio : une étude de critique shakespearienne")

L'histoire humoristique de Stephen Leacock parle de l'astucieuse tactique du colonel Hogshead, qui veut éblouir un ami par sa connaissance de Shakespeare. Plutôt qu'accepter qu'il se trompe, il va établir une vision radicalement novatrice de l'ensemble des pièces du célèbre dramaturge, à travers le métaphysique personnage de son invention, l'insaisissable Saloonio. C'est évidemment très drôle...
Le bon colonel n'a probablement jamais lu "Le Marchand de Venise". Il est tout aussi possible qu'il ait complètement oublié, ou qu'il en ait seulement entendu parler par un tiers.
Sans peur et sans reproche, Pierre Bayard examine toutes ces situations, en se posant la question si on peut vraiment parler des livres que l'on n'a pas lus, comment s'y prendre, et surtout à quoi bon.

Le titre délibérément provocateur est déjà susceptible de déstabiliser le lecteur potentiel : soit il va se jeter dessus en espérant un poilant canular, soit il se sentira vexé par son impertinence. Dans les deux cas, c'est un bon coup de marketing. Si Bayard a vraiment conçu son livre comme une vaste blague, mea culpa, je n'ai rien compris, car je n'ai pas ri beaucoup. S'il l'a écrit dans le but de susciter une polémique, alors c'est une réussite. Une déclaration d'amour à la littérature présentée comme une apologie de la non-lecture : un paradoxe dont on s'arracherait les cheveux ! En tout cas, j'ai bien lu "Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?" et je cherche en vain comment en parler, ou même à savoir ce que j'en pense vraiment.

Pour commencer, j'ai bien apprécié la première partie.
Elle parle des problèmes de mémoire de Michel de Montaigne, des "hommages" de Paul Valéry à Anatole France (qu'il n'a pas lu), du "bibliothécaire idéal" de Robert Musil qui n'a jamais lu un seul livre de l'immense bibliothèque impériale de la Cacanie... et des nombreux autres exemples de la savante non-lecture.
La question si "le livre que l'on a lu et dont on a oublié le contenu, ou pire, on a oublié qu'on l'a déjà lu" peut encore être considéré comme un "livre lu" vaut largement la réflexion à plusieurs autour d'une bouteille de prune à 65°. Et comment ne pas être d'accord avec l'évocation de l'importance de l'"aperçu général", qui englobe forcément les ouvrages importants que l'on n'a pas lu et que l'on ne lira probablement jamais ? Bayard encourage son lecteur à se déplacer dans le panthéon littéraire selon ses envies et sans culpabiliser, glaner des informations et créer des liens, et à réfléchir sur de nombreuses possibilités dans la perception de nos lectures, ce qui est une bonne chose. Ceci dit, il ne découvre pas l'Amérique en nous révélant qu'il est impossible de lire tous les livres du monde, ni de se souvenir de tout ce qu'on a lu.
Etrangement, le plus grand attrait de ce chapitre sont les extraits des romans qui parlent de la non-lecture. Ils font sourire, interpellent, donnent véritablement envie de lire Musil, Eco, Greene ou Siniac, et par ce fait contredisent l'idée même de l'essai de Bayard.

C'est ici que les choses se corsent.
Oui, on peut en effet très bien parler des livres qu'on n'a pas lus. C'est d'ailleurs souvent le cas, et vu le nombre décourageant de titres qui se présentent à nous, on ne peut pas faire autrement. Si on prend "Ulysse" de Joyce, que Bayard appelle au secours pour soutenir sa théorie, on sait que peu de lecteurs ont réussi à le lire jusqu'au bout, et pourtant on ne peut pas nier son importance dans l'histoire littéraire. Certes, mais il me vient une hypothèse (sans doute complètement saugrenue) que la non-lecture avertie d'"Ulysse" (ou de n'importe quel autre livre) n'est possible que grâce aux lectures pertinentes des autres qui la précédent. Ces lecteurs mis au bûcher, la communauté des non-lecteurs érudits périra avec eux, dans les flammes de leur propre ignorance.
Les citations De Wilde amusent beaucoup ("Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer !"), mais je ne suis pas convaincue qu'avec leur deuxième degré, elles suffisent pour soutenir les bases de ce qui va suivre.

La deuxième partie de l'essai décrit toutes sortes de situations qu'un hardi non-lecteur peut rencontrer en société. Rencontre d'un professeur avec un étudiant, rencontre avec un auteur, ou avec un être aimé. Dans ces cas, selon Bayard, rien de plus charmant que de commencer à inventer ses "propres" livres. Ses recommandations m'ont fait fortement penser au proverbe tchèque "la tête effrontée apporte plus qu'un riche domaine". N'ayez pas peur d'exprimer ce qui vous passe par la tête ; on ne sait jamais si par hasard vos observations ne seront pas justes.
L'auteur découvre une autre Amérique en rappelant que chaque interprétation d'une oeuvre littéraire reste subjective, et chacun peut y voir autre chose :
"Le titre de l'oeuvre, sa place dans la bibliothèque collective, la personnalité de celui ou celle qui l'évoque, l'atmosphère qui s'instaure alors dans l'échange oral ou écrit, sont, parmi beaucoup d'autres possibles, ces prétextes dont parle Wilde, permettant de parler de soi-même sans trop s'attarder sur l'oeuvre".
Rien de plus simple que d'en déduire que personne ne sera plus en position de nous reprendre sur un discours le plus idiot qu'il soit.

Ceux qui pensent que la gradation de la théorie a atteint ici son climax se trompent. L'auteur n'a pas peur d'aller encore plus loin, en qualifiant les hâbleries de ce genre de louable "acte créatif" (par opposition à la lecture passive), qui propulse la critique littéraire dans les sphères d'un art autonome, en la "libérant" de sa secondaire et dégradante fonction de commenter un livre lu.
Je ne sais pas, les amis... il ne vous est jamais arrivé de changer d'opinion sur un livre après l'avoir lu ? Ou d'être énervé par l'insupportable jargon universellement omniscient des journalistes qui n'ont (probablement) pas eu envie de lire l'ouvrage qu'ils doivent critiquer ?

"Comment parler des livres que l'on n'a pas lus" complète parfaitement l'image de l'époque où il est important de parler, peu importe le sujet, qui se transforme idéalement en évocation de "moi-même". Il sera apprécié par ceux qui se sentent, pour des raisons différentes, gênés pour s'exprimer sur les sujets dont ils ne savent rien, qu'ils ne comprennent pas, mais ont tout de même envie d'apporter un peu de leur farine au moulin.
Instruisons-nous chez les autres lecteurs, n'ayons pas peur d'avouer qu'on n'a pas lu tel ou tel fameux classique (ce qui n'empêche pas d'en parler, évidemment), mais pas au détriment de la lecture ! Même nos avis les plus subjectifs doivent être basés sur quelque chose de concret, sans parler de l'irremplaçable richesse cachée dans un bon roman. Il se pourrait aussi que dans ce roman - écrit par quelqu'un d'autre - vous ferez tellement de découvertes surprenantes sur "vous-même" que vous n'aurez plus du tout envie d'en parler, ou alors bien autrement que prévu.
Le paradoxal essai de Pierre Bayard m'a autant plu que déplu, je vais donc trancher par les philosophiques 3/5, tout en me demandant si ce billet serait encore plus long s'il était basé sur la non-lecture du présent ouvrage.
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Situation assez courante, surtout dans un métier qui à pour principale marchandise les livres. Vu le nombre de parutions à l'année, impossible de tout lire (car oui, les libraires sont en fait des humains comme les autres, sisi) Que faire alors pour ne décevoir nos clients ? Je vous le donne en mille : parfois on ment (un peu). Merci la 4 è de couverture, les sites et blogs littéraires et les clients lecteurs qui nous parlent !
Que faut-il ? de l'aplomb, de l'honnêteté (un peu tout de même) et une grande force de conviction. Parfois, vous pouvez même avoir envie de le lire, ce texte, ensuite !
Ce texte de Bayard, professeur de littérature, chroniqueur dit clairement que lire n'est pas indispensable pour parler des livres et de littérature. Que faire semblant, créer l'intrigue de toute pièce est beaucoup plus valorisant et surtout plus intéressant.
Et dites vous bien que ce n'est pas grave si vous n'avez pas lu tous les classiques de la littérature française parce que vous n'aimez pas ça. Vous serez bien loin d'être le seul (quoiqu'on en dise) !
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Arrêtez de lire! ça abime les yeux, ça fait perdre du temps, ça coûte cher, il faut s'acheter des étagères, qu'il faudra épousseter, ça prend trop de place, et surtout ça ne sert à RIEN!
Contentez-vous d'être des non-lecteurs, et avouez franco que vous n'avez jamais lu Proust, ni Shakespeare, ni Montaigne, ni le Parfum, ni Houellebecq. Mais attention, vous savez de quoi ça parle. Vous l'avez vu au cinéma, ou à la télé, vous avez lu des critiques, des amis vous en parlent, bref, vous en savez quelque chose. Il en est ainsi pour les milliers de livres que nous n'avons pas lus, que nous avons oublié, ou dont nous gardons un souvenir confus.
Le lecteur est comme un nageur, plongé dans l'immense océan de l'écriture, il dérive et s'accroche un moment aux Trois Mousquetaires, ou à Crime et Châtiment, à Jane Eyre, à Don Quichotte, jusqu'à ce que la vague les emporte ou que Moby Dick les avale.
le lecteur est un naufragé. Peut-être est-ce la raison du succès de tous ces récits de voyage, ces romans de pirates et d'îles mystérieuses, ces histoires de héros des mers ou du désert. Parfois il croise un autre naufragé qui lui parle de certaines rencontres, inoubliables, magiques, surnaturelles. Des livres qui lui ont révélé ce qui est enfoui et caché au fond de lui, qu'il ignorait, qu'il taisait. le lecteur transporte avec lui ces milliers de livres, livres d'images, romans de jeunesse, livres scolaires, de poche, de collection, livres-cadeau, livres volés, feuilletés, relus, rejetés, détestés.
Mais des phrases ont disparu, des pages manquent, elles se sont collées ou sont devenues blanches, elles se sont envolées, les mots se sont embrouillés, se sont dissous pour mieux faire partie de nous.
Cessez de lire pour savoir, pour comprendre, pour grignoter, comme des souris, la haute montagne des nouveaux_livres_qu'il_faut_lire.
Cessez de lire: écrivez!
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Ce titre est provocateur et peut sembler viser à la moquerie, mais tout juste s'agit-il d'ironie. La douce ironie du véritable homme de lettres.

Passé le premier paragraphe assez osé, où l'auteur explique qu'il n'a pas le temps de lire, puisque il trop occupé à enseigné la littérature, on s'engage vite dans la véritable démarche de l'auteur : lire c'est quoi ? Nous lisons tous des livres, (enfin, je crois) mais tous à notre manière. Il y a les livres qu'on a lu de la première à la dernière ligne, les livres dont on nous a parlé et que bon finalement pas la peine de le lire pour en parler. Et puis il y a les souvenirs qu'on a des livres de notre lointain passé, avec ce que le temps opère de modifications à notre mémoire. Comme il y a un méta langage, il ya une méta lecture.

S'appuyant sur des exemples de lecteurs célèbres, Pierre Bayard fait surtout l'apologie de la lecture comme plaisir libre et renouvelé, qui n'obéit à aucun carcan. Il y autant de version d'un même livre qu'il y a de lecteurs. Ce qui reste en définitive, c'est le souvenir intérieur de ce livre, propre, de fait, à chacun de nous. Il y a une sorte de bibliothèque universelle, dans laquelle il nous est donné de tracer notre propre labyrinthe.

J'aime cet éloge de la lecture libre, parce qu'il la désacralise, il l'ouvre au plus grand nombre. Quel lecteur peut se targuer d'être le plus près de la vérité livresque ?
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Bof, bof, bof... Ou comment parler d'un livre dont on espérait beaucoup, qu'on a lu consciencieusement et qu'on n'a pas aimé? L'auteur enfonce des portes ouvertes et le texte est ennuyeux. Voilà ce que je retiendrai de ce livre qui démarrai bien pourtant... Mais je n'ai pas accroché et je n'ai rien appris. Au final une grosse déception malgré un titre accrocheur.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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Cet essai gentiment provocateur (et attention, je divulgache, parfois piégé) est un petit bonheur de lecture. Je l'ai lu, mais pour mettre en application ses préconisations peut-être aurais-je du écrire cette critique sans l'avoir ne serait-ce qu'ouvert ? Je dois avouer que j'aurais eu bien du mal à imaginer des arguments aussi réjouissants et intelligents que ceux qui s'y trouvent vraiment…

Pierre Bayard nous fait vertigineusement toucher du doigt le peu de certitudes que nous pouvons avoir en matière de lecture. Peut-on dire que l'on a lu un livre dont on n'a pas le moindre souvenir, et parfois même qu'on ne se rappelle pas avoir lu ? Et quand bien même on en aurait gardé quelques bribes, peut-on être sûr que celles-ci sont bien dans le texte ?

Quid des livres seulement parcourus ? Ou bien partiellement explorés ?

Notre ressenti d'un livre peut-il seulement être partagé ?

Grâce à de judicieux exemples et citations, cet essai ne relève pas de l'exercice de style un peu trop sec. J'y ai découvert quelques monuments de vacherie, comme le discours de réception de Paul Valéry à l'Académie Française : il aurait dû faire l'éloge de son prédécesseur, Anatole France. Et il s'arrange pour ne pas le nommer une seule fois et ne pas donner un seul exemple de son style ou de son oeuvre !
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Excellent ouvrage qui nous plonge dans une réflexion sur l'acte de lecture, l'acte de non-lecture, l'art de briller en société (ou pas...), la capacité à se saisir de lieux communs ou de travaux concernant pes oeuvres littéraires.
Bref, Pierre Bayard affirme, avec aplomb, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu un livre pour en parler. Dans un autre essai, il tient les mêmes propos concernant les films.
Il brouille les codes, s'en amuse et nous amuse.
Un essai savamment drôle ou drôlement savant, c'est selon, dont je vous recommande la lecture (ou pas).
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Ce livre contient un florilège de citations extraordinaires (Valéry, Montaigne, Balzac, Wilde, Eco, Lodge, Greene (Graham) et aussi Pierre Siniac, dont il m'a donné une envie furieuse de découvrir le Ferdinaud Céline : http://www.babelio.com/livres/Siniac-Ferdinaud-Celine/106364).
Au début j'ai eu du mal à savoir s'il parlait sérieusement (surtout après avoir bien ri en lisant son Qui a tué Roger Ackroyd : http://www.babelio.com/livres/Bayard-qui-a-tue-roger-ackroyd-/28543). Comment croire que Paul Valéry ait pu faire un discours sur Bergson devant l'académie Française sans avoir lu une seule de ses lignes? Mais l'évident goût de Pierre Bayard pour le paradoxe est appuyé sur des réflexions qui me semblaient tellement vraies et sur des citations irréfutables, et j'ai fini par comprendre qu'il fallait prendre tout ou presque au premier degré. Donc oui il est parfois nécessaire (en tant que professeur ou critique) de parler de livres qu'on a peu ou pas lus, et c'est vraiment possible, en ayant lu quelques critiques, d'autres ouvrages du même auteur, et en comprenant les relations qui existent entre ce livre et la bibliothèque universelle.
Beaucoup de thèmes intéressants liés à la lecture et à l'oubli (voyez par exemple la critique de Ohoceane) mènent à comprendre que si un livre imprimé est irréfutable (merci Vialatte pour ce mot que j'adore et répète : voyez http://www.babelio.com/livres/Vialatte-Lelephant-est-irrefutable/285222), le livre existe en nous (nous en tant qu'individu, en tant que collectivité), à un moment donné et est un objet extrêmement variable. Et ces chapitres sont d'une lecture très stimulante.
La dernière partie, avec l'aide d'Oscar Wilde, autre maître du paradoxe, nous donne une vision bien amusante et parfaitement acceptable du rôle du critique - j'ai beau être critique débutant, j'ai quand même compris qu'il ne faut pas tout dire, aussi je vous invite à en découvrir plus par vous-mêmes.

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Le titre peut sembler provoquant, et encore plus venant d'un professeur de littérature. A voir certaines réactions indignées, Pierre Bayard a indéniablement réussi à faire réagir. Mais je crois qu'il faut lire son livre au second degré, l'auteur revendique l'humour, l'ironie, et pense avoir crée un genre qu'il est le seul à pratiquer : la fiction théorique. Dans ce cadre qu'il pose, le narrateur du livre n'est pas l'auteur. Il faut toujours avoir cette distinction en tête en lisant l'ouvrage.

Une deuxième donnée essentielle se trouve pour moi dans le titre du livre. Il ne s'agit pas d'évoquer l'acte de lire, une lecture intime, le plaisir que cela nous procure. Mais de « parler » c'est à dire de communiquer, d'échanger, bref d'être dans une interaction sociale à partir du support que sont les livres. Donc exister dans le regard de l'autre, se positionner, se définir par rapport aux autres à travers un discours sur les livres. Et le livre est un objet qui a une charge forte dans notre société, qui est valorisé, qui confère un statut. Parler des livres peut être perçu, surtout dans certains milieux professionnels, comme une sorte d'épreuve, qui va légitimer ou pas le locuteur, lui conférer une position, plus ou moins haute dans une hiérarchie. Lui donner une valeur. C'est cette attitude, qui fausse d'une certaine manière le rapport spontané aux livres et à la lecture, que Pierre Bayard interroge, et met en scène, d'une manière parfois très amusante, et en s'appuyant sur des livres, célèbres ou moins, qu'il connaît très bien, soit dit en passant, même si parfois il les détourne quelque peu.

Le narrateur rappelle d'emblée qu'il n'est pas possible de tout lire, que tout lecteur aussi passionné soit-il, ne pourra au cours de sa vie, lire qu'une très faible minorité de livres qui existent, il est donc pour la majorité des livres, un non-lecteur. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir une idée sur les autres. En partant de l'exemple du bibliothécaire du roman de Musil, L'homme sans qualités, le narrateur nous explique comment le non-lecteur que nous sommes, s'oriente à travers une «bibliothèque collective » qui est l'ensemble de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné. C'est la maîtrise de cette bibliothèque collective, la capacité à situer un livre, même si on ne l'a pas lu, à une position précise dans cette bibliothèque, qui nous permet d'échanger autour de ce livre. le narrateur semble dire le contraire (d'une manière ironique à mon sens), mais plus on a lu de livres et plus on a sans aucun doute la capacité à maîtriser cette bibliothèque. le cas du bibliothécaire de Musil qui ne lit que les catalogues et les index, et jamais les livres, est évidemment un paradoxe amusant, il n'est en aucun cas un modèle, ni chez Musil ni chez Bayard, c'est juste une illustration de l'importance des correspondances, des liens entre les livres. Ces derniers ne prennent effectivement souvent leur sens que les uns par rapport aux autres.
Autrement dit, la culture dont on dispose permet à situer les livres dans la bibliothèque collective, et elle permet aussi de se situer à l'intérieur de chaque livre. D'une manière paradoxale, en s'appuyant sur des autorités comme Valéry, le narrateur nous soutient qu'il est possible de ne faire que parcourir un livre, pour comprendre suffisamment de quoi il parle, mais on peut aussi penser que cela permet également de mettre un sens sur ce que l'on lit.

Le narrateur s'interroge ensuite, en s'appuyant sur le Nom de la Rose d'Umberto Eco sur le l'adéquation entre le livre « réel » et la représentation qu'en a le lecteur après la lecture, qu'il appelle le « livre-écran », considérant que le lecteur interprète le livre, en fonction de ses présupposés, attentes, illusions, limitations, projections. Il y a une distorsion, un écart entre le livre réel et le livre écran. Sans oublier le phénomène d'oubli, qui transforme le souvenir de la lecture, n'en retient que certains éléments, voir qui efface presque tout, au point que l'on peut parfois se demander si on a bien lu tel ou tel livre. le narrateur propose un deuxième livre, qu'il appelle « le livre-intérieur » qui est constitué de l'ensemble de représentations mythiques, collectives ou individuelles, qui s'interposent entre le lecteur et tout nouveau écrit. Il influence toutes les transformations que nous faisons subir aux livres pour les transformer en livres-écrans. On lit en fonction de ce livre intérieur, on donne sens à partir de lui. Et enfin, le narrateur évoque le livre fantôme, qui surgit lorsque nous évoquons un livre, par oral ou par écrit. Nos échanges autour des livres, ici ou ailleurs, appartiennent à cette catégorie. Il est le point de rencontre des différents livres-écrans construits à partir de livres intérieurs.

A ces différents types de livres, correspondent différentes sortes de bibliothèques. le livre-écran appartient à la bibliothèque collective. le livre-intérieur appartient à une bibliothèque intérieure, qui est une bibliothèque propre à chaque individu, qui la construit à partir de ses expériences, et qui contient les livres marquants pour chaque personne. Enfin, la bibliothèque virtuelle, qui correspond au livre-fantôme, est un espace de communication dans lequel les échanges entre lecteurs ou non lecteurs peuvent se faire. Nous sommes donc ici dans une bibliothèque virtuelle.

Le narrateur insiste sur cet espace, et sur le livre-fantôme. de ce qui découle précédemment, parfois par le biais de paradoxes, il fait ressortir à quel point la lecture et la représentation de livres qui en découle est subjective, liée à un contexte, culturel, historique etc. Et que par conséquent, il ne faut pas avoir honte de la sienne, que le rapport aux livres doit être décomplexé, et surtout créatif. On peut créer, inventer à partir des oeuvres des autres (ce que l'auteur illustre brillamment ici). L'auteur (encore plus que le narrateur je pense) introduit l'idée de plaisir, procuré par une démarche active du lecteur, qui assume sa position du cocréateur, puisque tout ce que l'on va dire sur un livre est un reflet de ce que nous sommes.

Au contraire d'un encouragement à la non-lecture, j'ai trouvé que le livre de Pierre Bayard parle du plaisir de s'approprier les livres, d'en faire d'une manière assumée des objets que l'on manipule, sans fétichisme mais avec inventivité. Et que pour ce faire, il est drôle et très agréable à lire, bien plus que mon résumé, dans lequel j'ai essayé de fixer les idées qui m'ont parues essentielles, en essayant de les dégager des brillantes (et parfois un peu détournées) analyses d'oeuvres, des paradoxes qui jouent à provoquer les amoureux de livres, de tout ce plaisant enrobage qui fait de la lecture de ce livre un excellent moment.
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