Citations sur Mémoires d'une jeune fille rangée (414)
Il me répéta que notre société ne respecte que les femmes mariées. Je ne me souciais pas d'être respectée.
Je faisais craquer entre mes dents la carapace d'un fruit déguisé, une bulle de lumière éclatait contre mon palais avec un goût de cassis ou d'ananas : je possédais toutes les couleurs et toutes les flammes, les écharpes de gaze, les diamants, les dentelles ; je possédais toute la fête.
Je renonçais de bonne heure à la monarchie ; je trouvais absurde que le pouvoir dépendît de l'hérédité et échût la plupart du temps à des imbéciles.
La terre roulait dans un espace que nul regard ne transperçait, et perdue sur sa surface immense, au milieu de l’éther aveugle, j’étais seule. Seule : pour la première fois je comprenais le sens terrible de ce mot.
Seule : sans témoin, sans interlocuteur, sans recours. Mon souffle dans ma poitrine, mon sang dans mes veines, et ce remue-ménage dans ma tête, cela n’existait pour personne.
Je me suis souvent interrogée sur la raison et le sens de mes rages. Je crois qu’elles s’expliquent en partie par une vitalité fougueuse et par un extrémisme auquel je n’ai jamais tout à fait renoncé. Poussant mes répugnances jusqu’au vomissement, mes convoitises jusqu’à l’obsession, un abîme séparait les choses que j’aimais et celles que je n’aimais pas. Je ne pouvais accepter avec indifférence la chute qui me précipitait de la plénitude au vide, de la béatitude à l’horreur ; si je la tenais pour fatal, je m’y résignais.
Je détestais, je l'ai dit, que la condescendance des grandes personnes nivelle l'espèce enfantine. Les qualités et les défauts que les auteurs prêtaient à leurs jeunes héros semblaient, ordinairement, des accidents sans conséquence : en grandissant ils deviendraient tous des gens de bien ; d'ailleurs ils ne se distinguaient les uns des autres que par leur moralité : jamais par leur intelligence ; on aurait dit que, de ce point de vue, l'âge les égalisait tous.
"La littérature permet de se venger de la réalité en l’asservissant à la fiction ; mais si mon père fut un lecteur passionné, il savait que l’écriture exige de rebutantes vertus, des efforts, de la patience ; c’est une activité solitaire où le public n’existe qu’en espoir."
Seul Clairaut se montra morose ; il faisait à ma sœur une cour empressée mais qui ne rendait pas du tout. Il faut dire qu’il s’y prenait d’une drôle de manière ; il nous invitait à boire un verre dans quelque arrière-boutique de boulanger, et commandait d’autorité :
- Trois thés – Non je prendrai une limonade, disait Poupette. – Le thé est plus rafraîchissant. – J’aime mieux la limonade. – Bon ! alors trois limonades, disait-il avec colère. – Mais prenez du thé. – Je ne veux pas me singulariser.
Différence entre la notion de concept et le concept de notion?
A la campagne je jouais à la libraire ; j’intitulai Reine d’azur la feuille argentée du bouleau, Fleur des neiges la feuille vernissée du magnolia, et j’arrangeai de savants étalages. Je ne savais trop si je souhaitais plus tard écrire des livres ou en vendre mais à mes yeux le monde ne contenait rien de plus précieux.
[…] Enfouies dans le silence, masquées par la sombre monotonie des couvertures, toutes les paroles étaient là, attendant qu’on les déchiffrât. Je rêvais de m’enfermer dans ces allées poussiéreuses, et de n’en jamais sortir.