Vous n'avez pas fini de m'empoisonner avec vos histoires de temps ? C'est insensé ! Quand ! Quand ! Un jour, ça ne vous suffit pas, un jour pareil aux autres il est devenu muet, un jour je suis devenu aveugle, un jour nous deviendrons sourds, un jour nous sommes nés, un jour nous mourrons, le même jour, le même instant, ça ne vous suffit pas ? (Plus posément.) Elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis c'est la nuit à nouveau.
ESTRAGON. — Je me demande si on n'aurait pas mieux fait de rester seuls, chacun de son côté. (Un temps.) On n'était pas fait pour le même chemin.
VLADIMIR (sans se fâcher). — Ce n'est pas sûr.
ESTRAGON. — Non, rien n'est sûr.
VLADIMIR. — On peut toujours se quitter, si tu crois que ça vaut mieux.
ESTRAGON. — Maintenant ce n'est plus la peine.
Silence.
VLADIMIR. — C'est vrai, maintenant ce n'est plus la peine.
Silence.
ESTRAGON. — Alors, on y va ?
VLADIMIR. — Allons-y.
Ils ne bougent pas.
Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent.
VLADIMIR. - [...] À cheval sur une tombe et une naissance difficile. Du fond du trou, rêveusement, le fossoyeur applique ses fers. On a le temps de vieillir. L'air est plein de nos cris. (Il écoute.) Mais l'habitude est une grande sourdine.
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Estragon. - Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent.
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VLADIMIR. - Ça a fait passer le temps.
ESTRAGON. - Il serait passé sans ça.
VLADIMIR. - Oui. Mais moins vite.
VLADIMIR. - Qu'est-ce qu'il fait, monsieur Godot ? (un temps) Tu entends ?
GARÇON. -Oui monsieur.
VLADIMIR. - Et alors ?
GARÇON. - Il ne fait rien monsieur.
Silence.
VLADIMIR. - Comment va ton frère ?
GARÇON. - Il est malade, monsieur.
VLADIMIR. - C'est peut-être lui qui est venu hier.
GARÇON. - Je ne sais pas, monsieur.
Silence.
VLADIMIR. - Il a une barbe, monsieur Godot ?
GARÇON. - Oui monsieur.
VLADIMIR. - Blonde ou... (il hésite)...noire ?
GARÇON(hésitant). - Je crois qu'elle est blanche monsieur.
Silence.
VLADIMIR. - Miséricorde.
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Estragon. - Tu es sûr que c’est ici ?
Vladimir. - Quoi ?
Estragon. - Qu’il faut attendre.
Vladimir. - Il a dit devant l’arbre. (Ils regardent l’arbre. )Tu en vois d’autres?
Estragon. - Qu’est-ce que c’est ?
Vladimir. - On dirait un saule.
Estragon. - Où sont les feuilles ?
Vladimir. - Il doit être mort.
Estragon. - Finis les pleurs
On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner l’impression d’exister.
Vladimir. _ je reviens. (il se dirige vers la coulisse.)
Estragon. _ Au fond du couloir à gauche.
Vladimir. _ Garde ma place. (il sort.)
Pozzo. _ j'ai perdu mon Abdullah.!
Estragon ( se tordant). _ Il est tordant!
Pozzo (levant la tête). _ Vous n'auriez pas vu. _(Il s'aperçoit de l'absence de Vladimir.Désolé.) Oh! Il est parti !... Sans me dire au revoir ! Ce n'est pas chic ! Vous auriez dû le retenir.
Estragon. _ Il s'est retenu tout seul.
Pozzo. Oh! (un temps. ) A la bonne heure.