Les noirs et les blancs
Il est étonnant que le plus grand livre sur l'esclavage aux Etats-Unis soit l'oeuvre d'un blanc. En l'occurrence, une blanche, puisque
Harriet Beecher Stowe raconte le sud des Etats Unis au tournant du XXème.
Le livre connut un immense succès dès sa parution. Il relate, bien entendu, le parcours de noirs (de nègres disait-on à l'époque, même dans la bouche des abolitionnistes) au sein d'une société basée sur l'esclavagisme. Harriet insiste énormément sur le côté humain de ces « choses » : les esclaves noirs étant considérés comme des objets, des meubles, pouvant être vendus en dépit de leurs attaches familiales. Combien de séparations filiales, de vies brisées ? On évoque même la spéculation de certains marchands d'esclaves.
Cette peinture très réaliste d'un monde heureusement révolu (mais en est-on si sûr ? l'esclavage moderne existe bel et bien, il suffit de se pencher sur les conditions de travail dans certains ateliers, mines ou sites réputés dangereux et cela, parfois pas si loin de chez nous) est marqué par plusieurs caractères.
C'est, par ses personnages, que le roman de
Beecher Stowe est fondamental.
Elisa, simple bonne, qui ne se résout pas à être séparée de son unique enfant lors de la vente obligée qu'est forcé de consentir son maitre. Car, comme dans la vraie vie, les propriétaires terriens ne sont pas tous des monstres.
Ainsi Saint Clare, idéaliste qui tente d'offrir la meilleure vie à ses « nègres ». Sa soeur, la tante Ophelia, rigoureuse protestante venue tout droit de la Nouvelle Angleterre qui entend bien éduquer Totsy, une sauvageonne jugée irrécupérable (même par elle-même), pour prouver la force d'une éducation religieuse. Mais c'est Eva, la fille unique de Saint Clare qui y parviendra, grâce à son amour, tout simplement.
Ainsi, ce n'est plus un livre sur l'esclavage que nous avons entre nos mains, mais une sorte de bible où la fillette, se sachant condamnée à brève échéance, fait figure d'un Christ moderne. Son plus fervent disciple sera l'oncle Tom. Là, le récit bascule dans une religiosité un peu grossière. Tandis qu'Elisa et George refusent leur sort en prenant leur destin en main, épaulés par une communauté de mormons (là, j'ai vu un parallèle avec l'occupation nazie où Saint Clare serait Schindler et les mormons de
Beecher Stowe les héroïques résistants cachant les juifs pourchassés), Tom se résigne à son sort, torturé, cassé, brisé. Lui aussi gagnera sa liberté… dans la mort.
Le pauvre Tom est en réalité tombé chez le pire planteur de coton du grand sud : Legree. Lui n'a aucun état d'âme et seule une quarteronne, la belle Cassy, peut avoir de l'influence sur lui (là encore parallèle avec les nazis qui s'amourachaient parfois des belles juives, provocant d'interminables cas de conscience). Legree est le rebut de l'humanité. Un de ces personnages que l'on aime haïr. Il n'y a rien à sauver en lui.
Cette morale, un peu lourdaude, est le seul point noir du roman. Et également le choix des prénoms, souvent les mêmes pour des personnages bien différents, qui embrouille un peu la lecture avant de pouvoir vraiment entrer vraiment dans l'histoire.