Citations sur L'homme qui pleure de rire (192)
Je devrais être habitué au déclassement : le mien a commencé bien avant ma naissance, avec la Révolution française. Mes ancêtres aristocrates furent exécutés en 1794 et jetés dans une fosse commune au cimetière de Picpus. Le dernier château, celui de mon arrière-grand-mère, vient d'être vendu à un trader. Le niveau de vie de notre famille n'a fait que décroître continuellement depuis trois siècles. D'aristocrate, je suis passé à roturier. Puis de grand bourgeois à petit bourgeois. Plus rien ne me distingue de la classe moyenne, à part le snobisme.
Si j'ai perdu ma bande de potes, c'est peut-être par ma faute. je n'ai pas su les retenir, je les ai laissés s'éloigner, je me suis trop souvent absenté, j'aimais tellement disparaître. En croyant qu'on va manquer aux autres, on se contente de les perdre.
Aujourd'hui, la drôlerie est obligatoire. Les présentateurs plaisantent, les hommes politiques badinent, les chauffeurs de taxi galéjent, même les pilotes d'avion et les conducteurs de train tentent des annonces comiques au micro. La grande rigolade est universelle. Le monde entier se gondole en même temps qu'il se réchauffe. Le sérieux est interdit.
Dans l'enfance, le temps passe si lentement qu'il semble immobile. Vers l'âge adulte, le rythme s'accélère mais on ne s'en aperçoit pas encore car on est obsédé par le futur, ce gisement inépuisable. Et puis vient l'âge mûr et alors le temps file à toute allure, comme la corde d'un arc qu'on avait tendue à l'extrême depuis sa naissance, pour la retenir, et qui lâche brusquement. Le temps fonce alors si vite que les années durent des minutes. comme si Dieu avait appuyé sur la touche "avance rapide". Les enterrements s'enchaînent, les anniversaires aussi. Soudain les bébés des autres passent le baccalauréat, le permis de conduire, se marient ou meurent. Passé cinquante ans, l'accélération vers le tombeau donne le tournis. Le futur n'est plus une richesse infinie. On croise des copains de l'adolescence devenus chauves comme des sénateurs. Nous sommes ridés parce qu'il est tellement fatigant d'essayer de retenir le temps ; c'est comme empêcher les chutes du Niagara de couler avec les deux paumes écartées.
Une mauvaise réputation se gagne en un clin d’œil, et se perd plus lentement.
Le smiley est une onomatopée dessinée, un borborygme illustré, une réduction du langage à minima.
- chérie, ton cou est tellement sucré qu'il va augmenter mon taux de glycémie. Étant diabétique de type 2, si je mords ton oreille vanillée, je risque de ne plus sentir mes pieds, et si je lèche tes lèvres fruitées, je pourrais bien devenir aveugle.
Il y a trente ans, j'avais l'instinct grégaire. J'ai vécu toutes les années 1980 et 1990 en troupeau. Et puis un matin, mon entourage s'est volatilisé. Je suis passé de la foule bruyante à la solitude muette. Je ne pouvais pas protester : ce mouvement s'appelle la vie. Dans son enfance, on passe ses jours et ses nuits avec ses frères et sœurs et puis ils s'éparpillent. On les remplace par une bande d'amis dont on croit, dur comme fer, qu'elle sera sa vraie famille, choisie celle-là, et puis eux aussi s'envolent. La vie consiste à s'entourer de gens qui, progressivement, s'éloignent, se retranchent, se réfugient.
Encore trois claquements de doigts et c'en sera fini.
L’humour, le vrai, n’améliore pas le monde, il le rend brièvement supportable, le temps d’un hoquet.