Ma vie est un désastre mais personne ne le voit car je suis très poli : je souris tout le temps. Je souris parce que je pense que si l'on cache sa souffrance elle disparait. Et dans un sens, c'est vrai : elle est invisible donc elle n'existe pas, puisque nous vivons dans le monde du visible, du vérifiable, du matériel. La douleur n'est pas matérielle ; elle est occultée. Je suis un négationniste de moi-même.
Ma devise : deviens ce que tu hais.
La vie est humiliante de simplicité : on fait tout pour échapper à ses parents, et puis on devient eux.
10h24
J'ignore vraiment pourquoi j'ai écrit ce livre. Peut-être parce que je ne voyais absolument pas l'intérêt de parler d'autre chose. Qu'écrire d'autre . Les seuls sujets intéressants sont les sujets tabous. Il faut écrire ce qui est interdit. La littérature française est une longue histoire de désobéissance. Aujourd'hui les livres doivent aller là où la télévision ne va pas. Montrer l'invisible, dire l'indicible. C'est peut-être impossible mais c'est sa raison d'être. La littérature est une "mission impossible".
Ecoute, je suis chrétien, il est musulman et t'es juif, ce qui veut dire qu'on croit tous dans le même Dieu, OK? Alors tu te calmes. On a qu'à prier dans nos trois religions, comme ça Dieu aura trois fois plus de chances de nous entendre et d'ouvrir cette goddam door! p.183
8 h 30
Vous connaissez la fin : tout le monde meurt. Certes, la mort arrive à plein de gens, un jour ou l’autre. L’originalité de cette histoire, c’est qu’ils vont tous mourir en même temps et au même endroit. Est-ce que la mort crée des liens entre les hommes ? On ne dirait pas : ils ne se parlent pas. Ils font la gueule, comme tous ceux qui se sont levés trop tôt et mastiquent leur petit déjeuner dans une cafétéria de luxe. De temps en temps, certains prennent des photos de la vue, qui est la plus belle du monde. Derrière les immeubles carrés, la mer est ronde ; les sillages des bateaux y dessinent des formes géométriques. Même les mouettes ne vont pas aussi haut. La plupart des clients du Windows on the World ne se connaissent pas entre eux. Lorsque leurs regards se croisent par mégarde, ils raclent leur gorge et replongent illico dans les journaux. Début septembre, tôt le matin, tout le monde est de mauvaise humeur : les vacances sont terminées, il faut tenir bon jusqu’à Thanksgiving. Le ciel est bleu mais personne n’en profite.
Dans un instant, au Windows on the World, une grosse Portoricaine va se mettre à crier. Un cadre en costume cravate aura la bouche bée. « Oh my God. » Deux collègues de bureau resteront muets de stupéfaction. Un grand rouquin lâchera un « Holy shit! » La serveuse continuera de verser son thé jusqu’à ce que la tasse déborde. Il y a des secondes qui durent plus longtemps que d’autres. Comme si l’on venait d’appuyer sur la touche « Pause » d’un lecteur de DVD. Dans un instant, le temps deviendra élastique. Tous ces gens feront enfin connaissance. Dans un instant, ils seront tous cavaliers de l’Apocalypse, tous unis dans la Fin du Monde.
Pourquoi je me plains alors qu’il ne m’arrive rien ? Ni violé, ni battu, ni abandonné, ni drogué. Juste des parents divorcés et excessivement gentils avec moi. Je suis traumatisé par mon absence de traumatisme. J’accepte de devenir ce qu’ils veulent faire de moi. J’affronte la lâcheté de mon adolescence.
Nous voulons être aimés parce que nous sommes blessés. Nous voulons avoir un sens. Servir à quelque chose. Dire quelque chose. Laisser une trace. Ne plus mourir. Compenser l'absence de signification. Nous voulons cesser d'être absurdes
Le terrorisme ne liquide pas des symboles mais découpe en morceaux des individus de chair et de sang.
"Je voyage pour vérifier mes rêves."