Citations sur Le miel et l'amertume (142)
Je l'interrompis et lui demandai son nom :
—Je m'appelle Viad.
—Viad ? C'est la première fois que j'entends ce nom. Ça vient d'où ?
— De Mauritanie, madame.
— Vous êtes mauritanien ?
— Oui, de père sénégalais et de mère mauritanienne. Ce n'est pas un prénom habituel ; c'est un prénom que je me suis donné. Il veut dire : La Vie (est) Impossible (sans) Amour et Dignité. V.IA.D.
— Vous ne seriez pas un intellectuel par hasard ?
— Un peu J'ai fait des études et soutenu une thèse, mais après la mort de mes parents, j'ai dû quitter Nouakchott où sévit un racisme and-Noirs terrible.
— Ainsi il y a du racisme entre les Noirs ?
Ainsi, ce militant de la culture, cet amoureux de la poésie, cet homme élégant et humble, a eu de belles funérailles. Les personnes qui accompagnaient le défunt se congratulaient en se disant «nos condoléances sont communes». Beaucoup d'émotion, ce matin, dans ce cimetière où il venait tous les vendredis se recueillir sur la tombe de sa pauvre épouse, partie à la fleur de l’âge.
La rédaction de notre journal présente ses condoléances sincères et émues à sa famille et à tous ses amis. Nous sommes à Dieu, et à Dieu nous retournons.
Après cette tragédie, ma vie n'a plus eu ni sens ni valeur. Alors, autant devenir quelqu'un de quelconque, avec une bonne dose de médiocrité, un peu de vulgarité et beaucoup d'indifférence.
C'est le cas d'un nombre impressionnant de citoyens, qui ne s'en plaignent même pas.
Depuis que j'ai pris ma retraite, j'essaie de ne pas mourir. Je me demande bien pour quelle raison je résiste. Mes joies sont si rares. Mes souvenirs sont fatigués et je fais un effort pour ne plus les convoquer, m'y réfugier. J'apprends à m'en méfier.
Je suis ce que je peux. Pas grand-chose.J'ai essayé de fermer la blessure, non pas de l'effacer, mais au moins de l'éloigner de moi, de nous.
A mon frère Abdelaziz, qui a tant aimé la vie et que la vie n'a pas assez aimé .
J'habite un sous-sol tellement bas qu'il m'arrive parfois de le confondre avec une tombe .Il est froid, ce qui m 'arrange l'été et qui m'agace l'hiver, surtout que cette saison, à Tanger, est très humide .Au-dessus, nous avons une une maison, construite à l'époque où tout allait bien et où nous étions, ma femme et moi, assez confiants dans l'avenir .Nous étions stupides et nous ne le savions pas . Nous étions même heureux et nous ne nous rendions pas compte de notre chance .
Un pays où on construit plus de mosquées que d'écoles ou d'hôpitaux est un pays fini. Rien de bon n'en sortira.
- Vous avez raison Monsieur. Nous avons le même problème en Mauritanie. Mais c'est à cause des Saoudiens. Ils ont donné de l'argent pour des mosquées et rien pour des hôpitaux. Quant aux écoles, quand ils les financent, c'est pour enseigner leur islam, dur et très rétrograde.
La solitude, que je considérais parfois comme une amie, est devenue une bête méchante et sans pitié. Elle m'a condamnée à souffrir avant de m'en aller.
Ma femme a toujours caché ses cheveux même quand on est seuls à la maison. Quand il nous arrivait d'aller en vacances en Espagne, elle changeait du tout au tout. Fini la djellaba, le voile, et tout ce qui rappelle qu'elle est musulmane. Elle devenait européenne, enfin, elle essayait de faire comme si elle était espagnole. La pauvre, elle était ridicule.