Camille non plus n'entretient pas une foule dans son entourage. Elle n'est pas une it girl avec des milliers de followers sur sa page Instagram. Ce n'est pas le désert, non plus. Elle a des potes de la fac de droit et de l'école de police, avec lesquels elle fait des fêtes. Pas de mec attitré, mais des histoires. Pas d'enfant, mais elle n'a que vingt-neuf ans. Elle a un frère, elle a des parents. Ni trop cons, ni trop futés. Elle boit l'apéro avec les collègues, célèbre les anniversaires à la bonne date et rapporte un pack aux crémaillères. Elle se marre aux blagues et se tait quand il faut se taire, elle fait corps.
Les selfies des autres, les téléphones pleins comme des œufs rances et doux, de secrets et de petits arrangements, de suspicion et d’impudeur.
Il aurait tant aimé faire cela, se prendre en photo à bout de bras, plonger ses yeux, à travers la lentille morte, dans les yeux d’un autre qui aurait envie de le regarder, qui serait intéressé par son geste, quelqu’un qui regarderait sa photographie.
Certaines rencontres interpellent sur le champ, sans que l on puisse compter sur le recul ou l l'expérience
. Certains êtres augmentent l'intensité, agissent de manière imprévue, donnent à l oxygène une couleur inoubliable.
Certains secrets frissonnent comme des phares dans la tête, parceque ils ne seront pas partagés.
_Tout ce qu'elle construit: tout son scénario visuel, je ne sais pas comment l'appeler, tout ça, ça raconte ce qui m'est arrivé à Vallé quand j'avais dix-huit ans. Le 14 juillet...
On apprend cela à ses dépens, qu'il faut poser certaines questions sans attendre, parce qu'après, c'est trop tard, les gens ne peuvent plus y répondre.
Une des frustrations qu’ils partageaient était de ne jamais savoir la suite des appels qu’ils avaient reçus. Est-ce que ça s’était bien fini ? Est-ce que la personne avait été prise en charge ? Est-ce que la situation était sous contrôle ? Omar trouvait ce sentiment terrible. Il avait dit à Julie une fois : « C’est comme si on t’obligeait à lire un livre, en sachant que tu ne pourras jamais le terminer. » Les appels demandant une intervention n’étaient pas les plus nombreux. Sept ou huit appels sur dix pouvaient être superficiels : des gens qui cherchaient une info ou faisaient une blague, mais aussi des paumés, des personnes âgées, des gens seuls, en crise, en manque, beaucoup d’appels de personnes qui ne supportaient plus le bruit que faisaient leurs voisins, quelques appels de délation aussi, des propos racistes qui fusaient, des gens au bout du rouleau, sous médocs… Il fallait faire le tri très vite : situation d’urgence ou non, besoin d’intervention ou non. Puis, éventuellement, diriger l’interlocuteur vers un autre numéro d’aide.
Il n'avait aucun goût pour l'analyse, mais les pensées sont des chauve-souris qui tournent, sifflent et se cognent dans le clocher de la tête.
Elle se dit qu'ils devraient se parler vraiment. Sans jeu, sans évitement. Et elle pense à cette phrase idiomatique : il faut qu'on se parle vraiment. Ce cliché langagier des couples ou des famille en crise, qui, en disant cela, désirent provoquer un chambardement, un changement de décor ou d’atmosphère. Comme si d'habitude on se parlait faussement. Comme si se parler en prenant des pincettes, en mesurant la susceptibilité de l’autre, en calculant les pièges des aveuglements et des failles narcissiques, c'était se parlait avec fausseté.
Rien ne lie tant les être que le secret.