1954 : 9 ans seulement après la seconde guerre mondiale,
René Coty cède le pouvoir à Vincent Auriol. L'hiver n'en finit pas de finir, offrant aux français une icône humanitaire, l'
Abbé Pierre, qui jamais ne cessera son combat contre la misère. Pour bien saisir la déflagration littéraire qu'a constituée la parution de
Bonjour Tristesse (comme celle d'Histoire d'Ô, la même année), il faut se replonger, comme le fait
Anne Berest, dans le climat bien-pensant et rigide de cette époque, qui n'autorisait pas encore le port du pantalon aux filles, dans laquelle la majorité était encore fixée à l'âge vénérable de 21 ans, dans laquelle ce que pouvaient espérer de mieux les jeunes filles, était de se marier. L'heure n'était guère propice à l'émancipation des femmes, ni même seulement à leur insolence ou rébellion.
Aussi, lorsqu' "un charmant petit monstre" d'à peine 18 ans, donc mineure, doté d'une intelligence de renard exceptionnelle, d'un toupet infernal, et d'une impudeur qui ressemble à du génie, arrive chez Julliard avec son premier manuscrit, n'ayant peur de rien ni de personne, un coup de tonnerre déchire le ciel serein de l'édition. René Julliard pense devant le manuscrit de
Sagan à l'un de ses livres préférés "Les Jeunes Filles"
De Montherlant, d'une "misogynie réjouissante" : "Les jeunes filles sont comme ces chiens abandonnés, que vous ne pouvez regarder avec un peu de bienveillance sans qu'ils croient que vous les appelez, et que vous allez les recueillir, et sans qu'ils vous mettent en frétillant les pattes sur le pantalon".
Sagan n'était pas précisément en parfaite adéquation avec l'image que les auteurs reconnus des années 50 véhiculaient sur les femmes, lorsqu'elle affirmait en conférence de presse que "boîte de nuit, whisky et Ferrari valent mieux que cuisine, tricot et économies".
La suite, la carrière de
Sagan, chacun la connaît peu ou prou, son nom fait désormais partie d'une légende, d'une nébuleuse. Beaucoup de journalistes ironiques et ricaneurs ont malheureusement mis en exergue ses excès en tous genres, son goût pour les alcools, les substances, la vitesse automobile, sa frivolité, son aptitude à claquer son fric – celui qu'elle a gagné -. Ils ont oublié sa générosité, sa fraîcheur, son sens de l'amitié indéfectible notamment avec Florence
Malraux, son intelligence hors de normes, et surtout son talent.
Anne Berest a opté pour une forme singulière d'écriture : "mon livre prend une forme bizarre, entre roman, biographie et autofiction". Victime d'une rupture douloureuse dans sa vie, l'auteure s'est toute entière plongée dans
Sagan, sa vie, son oeuvre, pour oublier ses propres souffrances. Elle a marché dans les pas de
Sagan, chez une voyante ou à St Tropez, elle a fréquenté les mêmes lieux, brasseries, restos branchés, et ainsi, avec une délicatesse et une véracité étonnantes, nous restitue "cette petite musique", à nulle autre pareille, que l'on peut entendre, lorsque l'on lit un roman de
Françoise Sagan. Merci à
Anne Berest de nous avoir rappelé quel évènement fut
Bonjour Tristesse pour toute une génération sortant de la guerre, surtout pour le deuxième sexe dit faible. Je la remercie également pour cette très belle évocation de la France des années 50 dont elle n'aurait sans doute pas pu livrer la substantifique moëlle sans avoir consulté une immense documentation. Les notes et la bibliographie rappellent en fin d'ouvrage, l'étendue de son travail.