Les corps souffraient dans cet enfer, mais les âmes vivaient. La volonté toujours tendue, luttant contre l’avilissement moral, contre le découragement, contre l’abandon fatal, le détenu, au milieu des privations, des vexations, des humiliations sans nom qui lui étaient imposées, gardait en son cœur une flamme qui le soutenait et que, malgré leurs efforts, les bourreaux ne pouvaient éteindre.
Quand auront disparu les survivants de la déportation, les archivistes de l’avenir tiendront peut-être en main quelques papiers aujourd’hui cachés ; mais la principale source leur fera défaut : je veux dire la mémoire vivante des témoins. L’étude exhaustive du système concentrationnaire sera faite par notre génération, ou elle ne le sera jamais.
Les philosophes parlent beaucoup de la liberté. Je crois que nous avons découvert la notion de liberté que chacun de nous possède ; et finalement nous concevons que les libertés soient comparables. Celui qui estime que la liberté de mouvements, la liberté physique ou l’art de bien manger est dans son esprit la chose fondamentale, s’est aperçu rapidement, quand il n’en est pas mort, qu’en déportation ça ne tenait pas. Et finalement probablement on arrive à cette notion de liberté individuelle qui est fondée certainement d’abord sur le sens que l’on donne à la vie de l’homme.
Pour payer, il fallait fournir quelque chose. C’est pourquoi la plupart des ouvriers de la fabrique, ceux qui en étaient capables tout au moins, « perruquaient » à tour de bras. Un travail mieux soigné possédait une plus grande valeur et ce n’était que justice car l’auteur y avait consacré de longues heures, encourant de grands risques. Il y avait aussi la cession d’objets précieux que certains camarades, ayant réussi à dissimuler à travers les fouilles, vendaient pour s’assurer, quelque temps, un supplément de nourriture.
Tout ce que nous avons pu voir et qui dépasse de loin les horreurs ou les souffrances de la guerre et de la déportation, montre que, ce que je crois avoir écrit un jour, c’est que consciemment ou inconsciemment, tous les hommes ont manifesté une vie spirituelle, qu’ils fussent croyants ou incroyants, c’est que l’homme ne vit pas seulement que de pain.