Roman prêté et lu d'une traite. Merci Hed pour la découverte. J'aurais dit adoré, pourtant il me laisse dans les heures qui suivent un goût de déception, d'où la critique qui suit.
*** Attention spoiler***
Il y a tout d'abord le thème. Un “enfant (presque) sauvage”, muet élevé par sa mère et qui côtoie les bêtes, les soigne. L'Ours qu'on l'appelle, et évidemment ça me fait penser à mon ours à moi. Ce personnage en rupture qui me trotte dans la tête depuis que moi aussi j'ai vécu dans les bois. On y retrouve les mêmes éléments: incompréhension des autres, incapacité à s'exprimer, mutisme, vie solitaire, proximité avec les bêtes, peur… ça ne pouvait que me plaire.
Ensuite, il y a le parti pris de la narration. On ne fait pas parler ce genre de personnages, les ours, il faut que ce soit à d'autres de raconter leur histoire. On ne peut pas les comprendre, ils ne sont pas de notre monde, on ne peut comprendre que ce qui transparaît, ce qu'ils laissent comme impressions à ceux qui parlent notre langue. le choix de narration du coup - les témoignages des personnes qui l'ont côtoyé de près, au commissariat de police - est génial dans l'idée. Parce que c'est la meilleure manière de faire vivre l'Ourse que de n'être que l'objet de commérages, de on dit, d'hypothèses et parce que l'interrogatoire est le dispositif parfait pour faire parler. le tout d'ailleurs est assez habilement exécuté. Mais...
L'oralité est donc partout, rurale sans trop l'être, directe, simple. C'est assez juste souvent, sans être exceptionnel. Il y a un travail sur la langue mais le tout se veut assez efficace tout de même. du bon comme du plus facile. Certains personnages ont le ton plus marqué que d'autre mais leur voix seule peine souvent à les faire exister pleinement. Il servent trop l'histoire à mon sens et pas assez eux-mêmes pour qu'on y croit. Ce n'est pas toujours vrai, l'institutrice, par exemple, montre bien qu'elle veut se défendre, se protéger des reproches qu'on pourrait lui faire et ne manque pas, à son tour, d'accuser. Mais les pistes qu'elle lancent ne sont pas vraiment reprises, et, au final, de vrai personnage, il ne reste que l'Ours, un peu sa mère et un minimum la gamine. Malheureusement, rien des gens du village, rien des témoins, de leur lien, du contexte de leur discours. Les quelques références croisées (la mère parlant de Luc, un villageois de Albert ) donnent tout de suite une consistance aux témoignage que, à mon sens, il aurait fallu étoffer encore davantage pour donner une réelle solidité au décor dans lequel se déroule l'histoire et au contexte qui la fait exister.
On en vient peut-être ici au problème du roman. C'est presque un polar mais sans l'être. On comprend vite qu'il y a eu une petite fille qui n'est pas là où elle devrait l'être, certains évènements louches, et une arrestation... ça attise. Ce sont ces questions qui font tourner les pages, on s'attend donc à mener l'enquête. Sauf que les policiers n'existent pas. Leurs questions n'apparaissent pas (pas un mauvais choix en soi). Il ne reste que le témoignage des auditionnés, sans contexte, et leurs réponses - dont l'ordre et la structure semblent plus servir le propos de la romancière que celui d'un réel interrogatoire, les rendent, en fin de compte, assez peu crédibles… et donc tout le dispositif narratif apparaît très vite pour ce qu'il est, un prétexte pour raconter une histoire à travers de multiples voix creuses et cette histoire est la vie de l'Ourse et de sa mère, pas l'intrigue qu'elle sussite et les onséquences qu'elle a, tous les autres ne sont que des PNJ comme on dit dans le jargon du jeu vidéo. Ce qui n'est pas un mal, il y en a toujours, sauf qu'ici ce sont à eux qu'on confie le rôle de raconter l'histoire et de créer son monde et le fait qu'eux même sont relativement vides peine à la longue à la remplir, à donner matière à leur propos, l'histoire.
C'est une jolie histoire, c'est une gentille histoire. le muet a un don, il soigne les bêtes, il les comprend, c'est presque miraculeux. Non, c'est miraculeux, il vit en harmonie avec elles. C'est une histoire de conte de fées. Les fées sont là aussi, on en parle et elles parlent. Elles s'immiscent par de courts poèmes en vers libre entre les chapitres, elles ont leur voix pour donner de la substance à la légende. C'est une belle voix, ça ajoute du mystère à l'enquête, au début ça surprend, on est charmé, on sent qu'est là la clef. Et puis on nous le dit texto et à plusieurs reprises, donc assez vite on sait trop bien où on veut nous conduir. Il n'y a pas vraiment d'accusation, ni même de procès, ni même de coupable, ni même personne qui ne porte plaintes, d'ailleurs, pas vraiment de victimes. Ce sont des innocents et pas grand monde pour dire le contraire. Un randonneur qui s'étonne puis un dispositif administratif et policier qui s'exécute avec juste assez de vraisemblance pour qu'on décide d'y croire, mais mollement.
On comprend l'idée, elle est plaisante, j'y adhère aussi: ceux qui sortent des cases, qui ne veulent pas vivre selon la norme sont suspects. Ceux qui n'ont pas de voix, les trop grands, les hors-normes sont à enfermer même quand ils n'ont rien fait. Rien fait d'autre que vivre comme bon leur semblaient. Sauf que pour faire une critique d'un système il faut que celui-ci soit réaliste, ou en tout cas vraisemblant, et s'exécute dans une forme qu'on lui reconnaisse. Or ici, il n'est que critiqué et n'apparaît pas pour ce qu'il est. Alors même si on a beau partager la critique, l'objet de cette critique manque de palpapble pour réveiller en nous l'indignation. Pour qu'on ressente directement ce qui nous fait adhérer à cette critique.
Finalement ça reste un conte, avec une morale de conte. Quelque chose de beau et d'assez simpliste. Je m'étonne un peu en écrivant ces lignes car le livre n'est pas joyeux et n'a rien d'enfantin. Bien au contraire. Mais c'est l'impression de naïveté qu'il laisse alors même que ce qu'on comprend petit à petit être un des sujets central, le viol, ne l'est absolument pas. C'est peut-être à la manière dont les choses sont amenées, je ne sais pas. le discours de la pharmacienne est éloquent mais comme il apparaît au milieu de rien; il provient d'un personnage qu'on ne connaît pas et à qui personne ne répond, l'artificialité de sa présence lui hôte malheureusement une part de sa pertinence. Peut-être pas pour ce qu'elle dit qui est juste mais dans sa capacité à nous faire ressentir cette justesse. C'est tout le propre d'un roman de faire incarner un discour dans un personnage dont on a suivi l'histoire et dont on comprend, empathiquement, pourquoi il le tient, or pour moi, ici, à part l'Ourse et éventuellement sa mère les personnages n'ont pas de chairs, ils manquent de psychologie, de contraste, de corps tout simplement. ça ne poserait pas problème si on restait dans le registre du conte, du symbolisme sauf que des éléments ne font que de nous en sortir: le Commissariat, la scène crue du viole, l'absence de narrateur et la présence de témoins avec une langue en dure.
Pourtant c'était bien parti et j'ai eu du plaisir durant presque toute la lecture. Je m'étonne moi-même d'en faire un commentaire plutôt négatif alors que j'ai aimé le lire. Je crois que cela vient principalement de la fin qui m'a laissé indifférent et dont l'invraisemblance a fait ressortir toutes les incohérences sur lesquelles, par la magie du conte, j'ai fermé les yeux pendant le reste de la lecture.
Un bon livre si on attend rien de plus, mais qui, par les thèmes abordés, m'a laissé espérer plus. Parfois on juge un livre pendant la lecture et parfois par le goût qu'il laisse durant les heures (ou les jours, les années) qui suivent : ici le contraste est fort. D'où la un peu longue, et pas très objective, critique. Finalement ce que je retiens de ce roman, c'est qu'il est suffisamment bon pour que les petites erreurs qu'il contient m'apparaissent comme des fautes graves et que, par contraste, il me fait réaliser la prouesse que représentent ceux n'en contenant pas (ou très peu).
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