Violaine Bérot se joue de son lecteur, l'amène sur un territoire dans lequel il n'a aucun repère si ce n'est de savoir que le récit se déroule en France dans un futur assez proche, un an après les prochaines élections électorales. le reste est une énigme, un jeu auquel le narrateur est forcé de se soumettre.
Dans ce long monologue, dans un style narratif très brut (qui m'a rappelé celui de
Sandrine Collette avec le personnage de Liam dans
On était des loups), on suit le fil des pensées de celui qui s'avère être un professeur d'université dans la cinquantaine. Il va peu à peu raconter son aventure rocambolesque ; il est subitement kidnappé en pleine rue par des hommes, conduit dans un hangar dans lequel il va se retrouver parqué avec un millier d'hommes comme un
animal. Là, il va subir la promiscuité, la faim, la soif, mais surtout pire que tout, il ne comprend pas pourquoi il est là. Qu'a-t-il fait ? au nom de quoi est-il enfermé ? pour quel crime réel ou fictif ? et les autres ?
Le narrateur semble dans un état de sidération tel que cet état va l'empêcher de communiquer et de réfléchir sur les raisons de son enfermement. Dans sa propre prison mentale, il retourne fiévreusement ses multiples interrogations.
Du fait de cette perte de repères, le lecteur peut calquer toutes sortes d'images sur les épreuves vécues par le personnage : migrants, Shoah, prisonniers politiques …
Ce n'est là que la première étape d'un voyage que je ne raconterai pas plus en détail pour ne pas gâcher les effets de surprise.
Comme le narrateur, le lecteur entre dans un questionnement permanent auquel il ne reçoit aucune réponse, si ce n'est celle qu'il est peut-être prêt à entendre ou capable de formuler lui-même.
C'est la force de ce livre, il nous questionne sur de multiples sujets de société en très peu de pages : la réalité vs l'utopie, l'individualisme vs le groupe, l'oppression d'un régime sur les individus … Quelle place pour chacun dans la société, jeune ou vieux ? Quels idéaux ? Quelles utopies, quelles révolutions le monde porte-t-il encore en lui ? Qui pour y croire encore ?
Qu'est-ce-que notre vie, qui sommes-nous ? vivons-nous dans notre propre représentation, que se passe-t-il le jour où nos chimères deviennent réalité ? pouvons-nous toucher du doigt nos rêves les plus fous ? le rêve est-il plus beau que la réalité, même celle ardemment désirée ? Quel est notre rapport à l'autre, qu'aimons-nous chez lui ? ce qu'il est ou ce qu'il représente ?
Un livre déroutant à lire non pour trouver des réponses mais se poser des questions.
L'écriture à l'os de l'auteure m'a interpellée, avec une économie de mots, des concepts plus que de réels personnages, elle arrive à faire passer un nombre foisonnant d'idées. Une réflexion poussée et originale qui m'a réellement bluffée. J'ai retrouvé dans ce texte très court la puissance d'écriture d'
Emilienne Malfatto (
Que sur toi se lamente le Tigre), preuve que la qualité d'un texte ne se mesure au nombre de ses pages.
Une auteure au style percutant à suivre pour les réflexions et interrogations qu'elle suscite chez le lecteur. Un livre à lire et à relire, à la frontière du réel et de l'imaginaire, qui va me poursuivre et m'interroger pendant quelques temps je pense.