Ce que j'avais vécu avec elle, je l'avais vécu seul. Les promenades, elle ne les avait point faites ; ses gestes d'amour, sa gaieté lascive ne s'adressaient à personne. Elle n'aimait pas un homme ou les hommes, elle n'aimait que l'amour.
La forêt exhalait des senteurs fortes qui me troublaient comme le souvenir de gestes que l'on croit avoir accompli en rêves.
Parfois passait une vache très noire et luisante, aux cornes écartées, dont la cloche sonnait très fort et c'était sur la montagne le seul balancement.
Je ne comprenais plus. Surtout, je ne pouvais comprendre l'amour que j'avais eu pour cette femme. Il était tombé de moi, d'un seul coup, comme tombe un manteau.
Je regardais Jeanne. Je la regardais sans trouble maintenant et comme de très loin. Notre histoire était finie. Je me savais séparé d'elle à jamais. Je ne cherchais plus à la rejoindre. Il avait fallu qu’Anathase meure pour qu'il se dressât entre nous.
Je regardais battre imperceptiblement le poignet bleu de Jeanne. J'avais envie d'elle. Non pas... c'était plus : j'aurais voulu supprimer le monde et qu'elle fût le monde.
Elle aimait plus que tout la sensation physique, si aiguë et apaisante de l'amour.
L'herbe étrangement fine et bleue était glissante, et Jeanne jouait à se laisser rouler à mon grand effroi sur ces minuscules prairies bordées par l'abîme ! Je m'agenouillais pour la retenir, je rampais, la suppliant de cesser ce jeu. Alors elle s'agrippait à moi et feignait de m'entraîner avec elle pour mieux sentir mes muscles lui résister. C'était dans ces moments-là qu'elle me plaisait le plus ; elle perdait sa solennité habituelle et redevenait une enfant.
La pluie maintenant faisait partie de nos amours. Elle était là, donnant son goût à nos étreintes, les mêlant de larmes, faisant luire la peau de Jeanne que l'air avait à peine bronzée.