Le roman de Bernard Blangenois, Une Odeur de Neige, nous plonge dans l'Ariège ensevelie, l'Ariège endormie ; "Je me demandais... Qui pourra encore parler du hameau, de ceux qui y vivaient? Qui connaîtra leurs noms, leur histoire?" p209 .
Un pays perdu , perdu comme le petit garçon, Barthélémy.
Lorsqu'il avait dix ans, "son père est mort en tombant d'un frêne qu'il émondait pour la pâture des bêtes.
l'enfant est resté là longtemps, les bras passés autour de ses genoux osseux et nus comme les deux ailes d'un oiseau malade, il contemplait les minces filets de sang sinuant des oreilles... p9
le silence s'installe dès les premières lignes, le texte est d'une entêtante beauté, beauté des lieus saturés d'odeurs inconnues, ondoyés de couleurs impalpables, les Pyrénées ariégeoises, le pays des derniers boscatiers, comme son père avant lui.
C'est avec le jeunot qu'il termine sa carrière le vieux Bart, né braconnier, il revient au Hameau parmi les masures en ruine, il y a enterré sa mère, il y recrée son repère pour les vieux jours.
Comme une odeur de neige, cette sensation que l'on ressent aux premiers flocons tombés sur le pré et la haie d'églantiers, comme un souvenir d'enfance encore ténu, Bart si imbibé de la nature sent cette froideur et frisonne à l'arrivée de l'Hiver. le dernier habitant de ce hameau abandonné descend dans la vallée faire le plein pour l'hiver, au village il retrouve l'amitié d'Alex, de Gabrielle, et d'Olivia...Angèle et José ses plus proches voisins, derrière les combes de Fontfrède à une journée de marche, ont compris que les chutes de neige sont pour demain. Il reprendra sa marche et sa vie basculera, en découvrant une jeune femme mourante.
Le récit est guidé par les pas pesants du boscatier, rythmé à pas comptés, il suit le battement régulier du vent, permet d'écouter les bruits, de suivre les traces des daguets ou des sangliers, de sentir les présences indésirables, ou les parfums glacés des bois.
Les mots sont comme un terreau natal, riches, charnels, gourmands, ils émergent des sentiers ariégeois, des futaies ou de ses chantiers de coupe ; les chênes bancroches, les paludes, les jeunes baliveaux, la mule étique...
Le ciel changeant joue avec les hommes, comme avec le garde-chasse qui malgré son acuité et son sens de la montagne est toujours en retard d'une risée. Surveillant le vieux Bart, le garde après une journée de marche, est sûr de lui, il est à peine à 2heurs du fuyard, le 2ème jour c'est Bart qui suivait les traces laissées par le garde se délectant de ses conjectures, ce 2ème jour comme un ultime défi à lui-même.
Dans ce décors d'hiver, il va vivre une dernière embardée, avec rage et panache, entouré de ses complices de toujours, rugueux, émouvants, des bavards, ou des taiseux attachés à leurs habitudes ou à leurs vieilles chimères et d'une jeune Malvina, sauvée malgré elle. Un récit rêche comme des draps usés de fatigue, poignant dans cette nature âpre et désertée, où les murs suintent le froid et l'eau gelée.
Bernard Blangenois est un écrivain impressionniste, il écrit dehors, mi végétal ou mi animal, sans cesse relié par sa plume à cette nature, ses silences, ses odeurs, ses soubresauts. Ses couleurs coulent comme les ruisseaux, " se heurtent à une masure, une sorte d'orry dépenaillée", où à "mille variétés de bruns, d'ocres et de pourpres se fondant dans les arbres".
Un livre sur un pays qui se meurt dans le froid et la neige,"dans une sorte de somnolence stupide, hébétée, mâchonnant dans le vide".les odeurs flottent aux nez des derniers Mohicans de ces vallées perdues, et la neige elle même s'invente une présence faite d'odeurs, d'ombres et de douleurs.
Quel beau texte ! Comme une vie, pleine, forte ou la nature est en éveil.
Ce roman doit sortir de l'oubli.
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Lorsqu'il avait dix ans, son père est mort en tombant d'un frêne
qu'il émondait pour la pâture des bêtes.
l'enfant est reste là longtemps.
Accroupi sur les talons, les bras passés autour de ses genoux osseux et nus comme les deux ailes d'un oiseau malade, il contemplait les minces filets de sang sinuant des oreilles et du nez, la vieille tête grise versée sur le côté dans l'or éteint des feuilles, les graviers du chemin.
Jamais touché, jamais vu de si près, nimbé du pâle soleil matinal, un énorme grain de beauté poilu sur sa joue comme une île, les dents gâtées par le tabac et le mauvais vin telle la denture d'un ancien ruminant, les mains informes, calleuses, crevassées, crochées sur une ultime poignée de terre.
P9
Dans cette répétition aveugle de blancs et de gris
désolés, des chênes bancroches et tout rogneux instal-
laient la vigoureuse graphie de leurs branches noires et
convulsées.
Ils avaient l'air en colère, désespérément en
colère, tandis que les hêtres fusaient vers les paludes du
ciel.
P122
Et partout et toujours cette odeur répandue qui n'en était pas une, une odeur crue et candide, immémoriale, l'odeur du Nord et des névés, une idée de propre, de net, d'ajournement.
p210
Bart, Je me demandais... Qui pourra encore parler du hameau, de ceux qui y vivaient? Qui connaîtra leurs noms, leur histoire?
-Personne
-Je trouve ça terrible. L'oubli absolu.
p209
L'air était neuf, avec un goût de glace, et partout se répandait l'odeur de l'eau sans odeur.
p164