Même pour conduire les inévitables luttes, un peu plus d'intelligence des âmes serait nécessaire; à plus forte raison pour les éviter, quand il en est encore temps. L'histoire, à condition de renoncer elle-même à ses faux airs d'archange, doit nous aider à guérir ce travers. Elle est une vaste expérience de variétés humaines, une longue rencontre des hommes. La vie, comme la science, a tout à gagner à ce que cette rencontre soit fraternelle.
Le tome premier des admirables Sources de l'histoire de France, que nous devons à Émile Molinier, n'a pas été réédité depuis sa première apparition en 1901. Ce simple fait vaut un acte d'accusation. L'outil, certes, ne fait pas la science. Mais une société qui prétend respecter les sciences ne devrait pas se désintéresser de leurs outils. Sans doute serait-elle sage aussi de ne pas trop s'en remettre pour cela à des corps académiques, que leur recrutement, favorable à la prééminence de l'âge et propice aux bons élèves, ne dispose pas particulièrement à l'esprit d'entreprise. Notre École de guerre et nos états-majors ne sont pas seuls, chez nous, à avoir conservé, au temps de l'automobile, la mentalité du char à bœufs.
La vie est trop brève, les connaissances trop longues à acquérir pour permettre, même au plus beau génie, une expérience totale de l'humanité. Le monde actuel aura toujours ses spécialistes, comme l'âge de pierre ou l'égyptologie. Aux uns comme aux autres, on demande simplement de se souvenir que les recherches historiques ne souffrent pas d'autarcie. Isolé, aucun d'eux ne comprendra jamais rien qu'à demi, fût-ce à son propre champ d'études; et la seule histoire véritable, qui ne peut se faire que par entraide, est l'histoire universelle.
Un grand mathématicien ne sera pas moins grand, je suppose, pour avoir traversé les yeux clos le monde où il vit. Mais l'érudit qui n'a le goût de regarder autour de lui ni les hommes, ni les choses, ni les événements, méritera peut-être, comme disait Pirenne, le nom d'un utile antiquaire. Il fera sagement de renoncer à celui d'historien.
Ainsi les périodes les plus attachées à la tradition ont été aussi celles qui prirent avec son exact héritage le plus de libertés. Comme si, par une singulière revanche d'un irrésistible besoin de création, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l'inventer.
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Et si nos défaites étaient dues à une faillite intellectuelle et administrative ? C'est à méditer...
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