Vingt-quatre fois le Tour représentent sensiblement 100 000 kilomètres, soit deux fois et demie le tour de la Terre, bouclés à 37 kilomètres à l’heure dans le sillage de postérieurs court vêtus et relativement peu expressifs.
Vous apprenez à mettre des noms sur des visages, et ce sont des suiveurs... des visages sur des numéros de dossards, et ce sont des coureurs...
Le Tour de France est une épreuve de surface qui plonge ses racines dans les grandes profondeurs.
Depuis 1966, des opérations de contrôle se sont donné pour but de la démasquer [la face cachée de la lutte, le dopage]. Elles sont particulièrement draconniennes sur le Tour de France et furent si maladroitement menées, à l'origine, qu'elles provoquèrent une grève des coureurs sur la route de Bayonne. Qu'on imagine, au sortir cossu de Bordeaux, dans un ourlet d'ombre, une bonne centaine de champions descendus de vélo et se mettant à marcher, traînant leurs montures par les oreilles. Jockeys vers le pesage, étudiant confus de leur propre chahut, pélerins encombrés sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, rien ne peut rendre compte de cette marche pénible sous le soleil, sinon la pérégrination frémissante qui conduisait, à la même époque, les Noirs américains vers Memphis ou Jackson... "La Marche de la Peur"? Sans doute n'en étions nous pas encore là, mais il était certain que pour l'instant les coulisses primaient l'exploit. La revendication était simple, elle tenait dans l'aspiration de l'individu à disposer de soi-même. Quand quatre individus vêtus d'imperméables, frappent à votre chambre pour vous réclamer vos urines et vos papiers, voire pour fouiller votre valise, nous ne sommes plus sur le Tour de France, nous sommes dans une rafle à Pigalle. Soulignons que ces procédés se sont beaucoup améliorés dans le sens du tact et de la rigueur scientifique.
Soumis au fameux questionnaire de Marcel Proust, lorsqu'on me demanda ; "Quelle est votre occupation préférée ?", je répondis : "Suivre le Tour de France", au discret étonnement du Landerneau littéraire. En leur temps respectifs, Proust avait dit : "Aimer" et , un peu plus tard, François Mauriac : "Rêver".
Ils ne sont pas dopés, ils sont dupés.
S'il faut de tout pour faire un monde, il faut du monde pour faire un Tour.
Cette côte que nous venons de gravir prenait pour moi les proportions d'un Galibier. Dans le sillage des coureurs, j'ai cru que c'était une descente.
P134
Les coureurs de l'heure présente n'ont plus d'arrière-pays. Vous chercheriez en vain dans leur moustache un relent de gros rouge.
Rien n'est plus grandiose, malgré tout, que l'exacte rencontre d'un athlète et de son triomphe.
p21